Par Philippe Fabry
En ce qui concerne la grande guerre à venir, j’ai assez parlé de Poutine et des vraisemblables mouvements russes. C’est pourquoi je n’écris plus guère sur le sujet : j’ai dit l’essentiel, et le « suivi » des évènements est fait à travers la page Facebook de La guerre de Poutine.
En revanche, je n’ai en définitive que très peu parlé de l’autre grand front de cette guerre, le front asiatique, autour de la Chine. Nous avons d’ores et déjà créé une page dédié au suivi de l’actualité dans cette région, intitulée La guerre de Xi. Son lancement est l’occasion pour moi d’aborder de manière plus complète cette question de la physionomie du conflit à venir dans cette région.
Je ne reviendrai guère sur les grandes lignes du parallèle avec le Japon Meiji et Showa que l’on trouvera ici et avec quelques détails supplémentaires là, où l’on trouvera aussi les éléments généraux concernant le danger des ambitions chinoises en mer de Chine.
Sur ce dernier sujet, avec une perspective américaine sur le danger chinois dans le Pacifique, voir cette vidéo en anglais. Elle appelle selon moi trois remarques :
1) Seule une intervenante évoque rapidement un parallèle possible avec le Japon, mais ne constate pas à quel point il n’est pas seulement possible mais avéré
2) Aucun des intervenants ne souligne l’alliance militaire de fait entre Chine et Russie : lorsque l’un des deux entamera les hostilités avec l’Amérique, l’autre saisira l’occasion pour avancer ses pions face aux Etats-Unis, car ce sera une opportunité à saisir.
3) Le reportage est américano-centré : il se soucie surtout de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique, et ne parle guère de l’Inde, cible importante.
Aujourd’hui, c’est précisément de cela dont je voudrais parler : la menace d’un conflit armé entre l’Inde et la Chine.
En effet, j’avais déjà évoqué ici le fait qu’économiquement l’Inde, désormais plus compétitive que la Chine, devient chaque jour un concurrent plus dangereux, un véritable rival pour le titre d’atelier du monde. Je soulignais aussi un événement démographique majeur à venir : en 2022 l’Inde ravira à la Chine le titre de pays le plus peuplé du monde, ce qui ôtera à l’Empire du milieu un important élément de prestige qui est en même temps un avantage stratégique d’un point de vue militaire.
On peut ajouter à ceci que la Chine est aujourd’hui dans une phase démographique curieusement très favorable à la guerre, contrairement à ce que l’on pense souvent. Car si la politique de l’enfant unique a engendré des familles resserées où l’envoi à la guerre du fils serait naturellement plus mal vécu que quand il y a plusieurs enfants, on doit noter que les 15-24 ans en Chine, c’est environ 190 millions de personnes, dont 100 millions de mâles, car le différentiel H/F est très élevé. Ce qui signifie que la Chine peut perdre dix millions de jeunes hommes virtuellement SANS conséquence démographique à long terme, puisque ces gens ne pourraient de toute façon pas se reproduire. Et ce nombre double si vous ajoutez les 25-34 ans. Si l’on réfléchit comme un statisticien communiste – ce que sont, ne l’oublions pas, les dirigeants chinois – cela s’appelle une opportunité démographique : aucun pays n’a jamais pu se vanter d’avoir 20 millions d’hommes à perdre sans conséquence démographique. Et si l’on songe que dans 30 ans ils ne seront plus disponibles et quel’Inde aura alors 400 millions d’habitants de plus que la Chine, soit 30% de plus, et un PIB alors plus important que celui de la Chine, la fenêtre de tir apparaît bien étroite.
Il faut savoir ensuite que de nombreux éléments de contexte font que, un demi-siècle après la guerre sino-indienne, les tensions persistent dont cet article, quoique vieux d’un an, fournit une bonne synthèse. Et ces dernières semaines, le risque de confrontation a encore grimpé d’un cran.
D’abord, nous avons assisté à une provocation sino-pakistanaise dans province du Cachemire occupé par le Pakistan.
De son côté, l’armée indienne a augmenté sa présence à la frontière chinoise (Tibet occupé). Et l’on ne parle pas d’un petit déploiement mais de plus d’une centaine de tanks T 72, toute une brigade blindée, qui devrait être montée à une division après que le Pentagone ait informé les Indiens de ce que la Chine masse elle-même des troupes de son côté de la frontière.
A la suite de cela, de grands médias ont commencé à envisager sérieusement l’hypothèse d’un futur, sinon imminent, conflit armé entre Inde et Chine.
Nous avons aussi appris que l’armée chinoise avait fait plusieurs incursions en territoire indien au début du mois de juillet ; il a aussi également été question de « repérages » par hélicoptère.
L’Inde présente en effet plusieurs raisons d’être la première cible de la Chine, bien avant que celle-ci ne décide de s’en prendre à ses voisins en mer de Chine.
La première raison, je l’ai évoquée ci-dessus, vient du caractère imminent du dépassement démographique de la Chine par l’Inde, et dans les années qui suivront d’un dépassement économique ; cela crée un sentiment d’urgence, et l’on sait que l’émergence d’une nouvelle puissance face à une puissance installée est de nature à dégénérer en ce genre de conflit. La Chine, habituée à être, face aux USA, la puissance émergente, est pourtant déjà menacée par une Inde émergente qui constitue pour elle un défi prioritaire, et d’autant plus prioritaire qu’elle se trouve entre elle et ses fournisseurs d’hydrocarbures. C’est d’ailleurs pour cela que, depuis des années, la Chine s’efforce d’encercler l’Inde par terre et par mer.
Ci-dessus, la Chine, avec en violet son « collier de perles » autour de l’Inde, son allié pakistanais et le « Corridor économique » (en noir) financé par la Chine pour avoir un accès direct à la Mer d’Arabie et aux hydrocarbures.
La deuxième raison est que dans la perspective de sa confrontation avec les Etats-Unis (à un terme de plus en plus court), la Chine peut considérer qu’elle doit au préalable se débarasser d’un rival puissant qui pourrait devenir allié des USA et la frapper dans le dos. C’est ce que représente l’Inde, dont les Etats-Unis cherchent à se rapprocher depuis des années. Dans cette optique, la Chine pourrait recherche un conflit localisé afin de modifier de fait le tracé des frontières à son avantage, en repoussant la frontière indienne au pied de l’Himalaya, et non sur sa crête, transformant ainsi la plus haute chaîne montagneuse du monde en grande muraille pour le flanc sud de la Chine, transformant ainsi l’Ouest de la Chine en forteresse.
Ci-dessus, en vert l’actuelle frontière sino-indienne. En rouge la nouvelle frontière que pourrait tenter d’obtenir la Chine par une guerre éclair, en s’emparant des provinces limitrophes de la Chine : l’Himachal Pradesh, l’Uttarakhand, le Sikkim et l’Arunachal Pradesh, qu’elle convoite depuis longtemps.
Enfin, l’Inde n’étant pas formellement alliée des Etats-Unis, la Chine pourrait s’en prendre à elle sans craindre une intervention immédiate américaine, et cela fait des Indiens la cible idéale d’un test militaire permettant de détourner l’attention de la population, par un engagement nationaliste, des difficultés économiques que rencontre le pays depuis un an.
La dernière raison pour laquelle je suis enclin à penser que les hostilités en Asie devraient démarrer par ce conflit entre Chine et Inde est plus « historionomique » et nous ramène au parallèle avec le Japon impérial.
L’Inde : la Chine de la Chine ?
Il faut en effet se souvenir que c’est du côté de la Chine que se trouvent les origines du volet Pacifique de la Seconde guerre mondiale.
Revenons un peu en arrière : en 1894-1895 se tint la première guerre sino-japonaise, par laquelle l’Empire du Japon, en pleine modernisation depuis le début de l’ère Meiji (1868) contraignit l’Empire de Chine, dont le développement économique était plus en retard, à lui céder plusieurs îles, dont Taïwan, et la suzeraineté sur la Corée. Le Japon fut cependant empêché par la pression occidentale et russe d’obtenir toutes les concessions territoriales qu’il souhaitait.
Ce n’est qu’à partir des années 1930, et spécifiquement de 1937, que l’expansionnisme japonais se déchaîna en Chine, avec à la clef un bilan humain de plus de 20 000 000 de morts. Comme chacun sait cette guerre, que les Japonais prévoyaient courte à l’origine, espérant placer des gouvernements vassaux sans avoir à occuper et administrer eux-mêmes des territoires aussi vastes, s’enlisa, dura huit ans et se termina par la défaite japonais dans la Seconde guerre mondiale.
Entretemps, l’invasion chinoise avait, pour une bonne part, provoqué l’embrasement de l’Asie. En effet, les agissements du Japon contre la Chine entraînaient une forte réprobation internationale, notamment des Etats-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, présents dans la région par leurs colonies et possessions, qui instaurèrent un embargo général sur le pétrole et les matières premières afin de contraindre le Japon à cesser son agression et à négocier la fin du conflit. Refusant de se soumettre, le Japon préféra tenter sa chance dans l’agression générale, avec Pearl Harbor et l’attaque générale des possessions britanniques et néerlandaises en Asie, profitant de ce que les puissances européennes étaient paralysées par la guerre contre l’Allemagne et les succès germaniques.
La Chine, depuis l’instauration de la République populaire en 1949, suit une trajectoire similaire. La première guerre sino-indienne, en 1962, a permis à la Chine de faire reculer sa frontière, quoiqu’elle ait été bridée dans son avancée par la pression soviétique et américaine. A partir de cette date, elle a renforcé sa coopération avec le Pakistan, Etat créé en 1947 par détachement de l’Inde et qui, aujourd’hui, est pratiquement devenu un vassal de la Chine, tenant un peu le rôle de la Corée entre Chine et Japon jadis.
Aujourd’hui, le gouvernement chinois pourrait être tenté de reprendre une escalade militaire avec l’Inde pour les raisons et les buts invoqués ci-dessus, et sur le modèle de ce que fit le Japon, sans avoir forcément la maîtrise des événements, qui pourraient dégénérer : l’Inde comme la Chine sont des puissances nucléaires, ainsi que le Pakistan. Nul ne sait jusqu’où pourrait aller un conflit, surtout si les Chinois sont prêts à recourir à la même brutalité que les Japonais jadis contre eux.
En tous les cas, il susciterait une forte réprobation internationale, en particulier des Etats-Unis qui ne manqueraient sans doute pas de soutenir l’Inde. Des sanctions économiques seraient à prévoir, qui pourraient achever d’ébranler l’économie chinoise et pousser les dirigeants chinois à des aventures en mer de Chine, développement d’autant plus probable si dans le même temps la Russie de Poutine pousse ses pions en Europe et occupe l’attention de l’OTAN. On serait alors dans un schéma de guerre mondiale tout à fait similaire à celle de 1940, et que j’ai déjà évoqué sur ce blog.
Pour l’instant, suivant les mêmes pratiques que la Russie de Poutine, la Chine de Xi joue l’hypocrisie. Et, toutes deux ensemble, les forces de l’Axe de notre temps se préparent.