Étrange image que celle de ce vieil « empereur » au pas hésitant et au sourire figé qui vient jusqu’en Europe pour assurer que le suzerain remplira son devoir de protection à l’égard de ses vassaux, qui s’empressent autour du vieil homme comme pour renouveler leurs hommages féodaux. Dans son marathon entre OTAN, G7 et Conseil européen, Joe Biden incarne un Oncle Sam fatigué. S’il s’agissait de symboliser l’unité des Occidentaux face à la Russie, la chose est faite. Pour l’apparence. Car dans la réalité, la tournée européenne du président américain ne change pas grand-chose sur le terrain.
Les limites fixées par Biden restent inchangées : pas d’envoi de troupes en Ukraine et pas d’interdiction de survol de l’Ukraine, qui impliquerait que l’on abatte des appareils russes, en dépit des appels répétés de Zelinski. L’Américain veut éviter à tout prix une confrontation armée entre l’OTAN et la Russie qui pourrait provoquer un engrenage fatal.
On s’en tiendra à renforcer les sanctions économiques, sans toucher à l’approvisionnement en énergie venant de Russie, et à accroître l’aide humanitaire pour les infortunés Ukrainiens. De nouveaux groupements tactiques seront constitués en Roumanie, Hongrie, Bulgarie et Slovaquie afin de compléter le dispositif existant en Pologne et dans les pays baltes.
Le président américain, qui revendique le rôle de « leader » du monde occidental et assure que « l’OTAN n’a jamais été aussi unie », a fini par concéder aux journalistes que « les sanctions ne dissuadent jamais ». Dès lors, quelle sortie de crise ?
Seule la diplomatie permettra de mettre fin à ce drame. À l’évidence, « l’opération militaire spéciale » de Poutine n’a pas fonctionné comme prévu. L’Ukraine, son gouvernement et son armée ne se sont pas effondrés comme un château de cartes et l’opération s’enlise. Mais à long terme, l’Ukraine ne peut tenir dans cette confrontation du fort contre le faible.
La diplomatie donc, mais pas la diplomatie spectacle à la Macron. La diplomatie secrète qui permet de sauver la face des belligérants et qui se fait par des canaux détournés. Pour cela, il ne faut pas se laisser submerger par l’émotion et l’indignation mais faire preuve d’un pragmatisme froid. L’Union européenne parle et s’agite comme si la Russie n’avait d’autre possibilité que la reddition sans condition, le retour au statu quo ante. Or, on sait que c’est irréaliste.
Reste donc à trouver un terrain d’entente acceptable pour les deux parties, dont on connaît les axes de discussion : le maintien de la souveraineté de l’Ukraine mais sa non-appartenance à l’OTAN, l’application des accords de Minsk, des garanties pour les russophones ukrainiens, la reconnaissance du retour de la Crimée à la Russie.
Le pire est que cette guerre et cette nouvelle confrontation Occident-Russie auraient sans doute pu être évitées. Si, à la chute du communisme, nous avions accepté que la Russie redevienne ce qu’elle était avant 1914 : une grande nation européenne. Or, on a fait tout le contraire. Certes, après 70 ans de communisme, le pays était exsangue, ravagé sur le plan moral et économique. Au lieu de l’aider, on a voulu lui appliquer des politiques ultralibérales absurdes et Londres s’est empressé d’accueillir les oligarques, et leurs fortunes, qui mettaient l’économie russe en coupe réglée. L’ordre du jour était plutôt d’humilier les Russes et d’exorciser la peur qu’avait causée l’URSS pendant des décennies. Pour aggraver les chose, la CIA n’a cessé d’agiter les ex-républiques sœurs aux marches de la Russie, comme si, par un jeu absurde, il fallait tirer sur les moustaches de l’ours russe pour le sortir de son hibernation.
Évidemment, les États-Unis ne voulaient à aucun prix la constitution d’un ensemble géopolitique fondé sur une coopération étroite entre l’Union européenne, avec sa force économique, et la Russie, avec ses ressources naturelles immenses, ses ingénieurs et ses scientifiques. Les Européens se sont conformés au schéma atlantiste. La venue éclair de Joe Biden à Bruxelles est surtout le symbole de l’alignement européen sur la politique américaine, que souligne de façon éclatante la présence du président américain au Conseil européen. Les États-Unis vont vendre des F-35 à l’Allemagne, des chars Abrams à la Pologne, du gaz de schiste liquéfié à l’Europe. C’est la faillite de la politique de sécurité et de défense commune. L’Union européenne reste un nain militaire et diplomatique. Washington règne sans partage sur l’Occident. Les Ukrainiens, eux, restent sous les bombes russes.