Deux amis de Riposte Laïque, l’abbé Arbez et Bat Ye’or, débattent du conflit entre l’Ukraine et la Russie, et cela sur un site, Dreuz, qui ne partage absolument pas, sur cette question, notre approche. Nous ne pouvons d’abord que nous réjouir que malgré tout, cet échange, très riche, ait été publié, ce qui est à l’honneur du site animé par Jean-Patrick Grumberg. Ensuite, nous encourageons nos lecteurs à découvrir cet échange, cela vaut le coup.
DIALOGUE ENTRE BAT YE’OR ET L’ABBÉ ARBEZ autour des enjeux de la guerre Ukraine/Russie
Abbé Arbez : chère Bat Ye’or, nous constatons tous la complexité du conflit entre la Russie et l’Ukraine, ses côtés tragiques et les répercussions sur l’avenir dans une Europe maintenant fracturée entre l’Est et l’Ouest.
Bat Ye’or : si l’on prend du recul, on doit se souvenir qu’après la chute du mur de Berlin en 1989, nous eûmes l’espoir d’une relation pacifique entre l’Est et l’Ouest. Mais des réactions venant du monde musulman s’avérèrent très négatives. Elles insinuaient qu’une réconciliation avec la Russie aboutirait à faire de l’islam un ennemi. L’immigration en provenance de la Méditerranée serait remplacée par celle de l’Europe de l’Est (Polonais, Hongrois, Tchèques, etc.) …
Abbé Arbez : mais en quoi le monde musulman a-t-il été concerné par un projet d’ouverture vers l’Est ?
Bat Ye’or : la oumma a bénéficié de la guerre froide : immigration vers l’Occident, chantage du pétrole… La problématique de l’énergie a joué un rôle majeur dans les politiques internes et internationales des pays occidentaux. De plus le combat contre le communisme incita les États-Unis surtout à encourager le réseau international des madrassas, le mouvement des Frères musulmans et l’endoctrinement religieux traditionnel.
Abbé Arbez : mais ce qui apparaît actuellement dans le conflit avec l’Ukraine, n’est-ce pas l’engrenage dangereux autour d’enjeux territoriaux et stratégiques mis en avant par la Russie de Poutine ?
Bat Ye’or : certes, mais les blocages actuels, à partir d’accords antérieurs n’ayant pas été respectés par les USA, l’Union européenne et le gouvernement de Kiev, sont hérités du passé. Il est extrêmement dommageable qu’un mur de la haine s’édifie entre l’Europe occidentale et la Russie, à grand renfort de discours médiatiques biaisés et focalisés sur la personne de Vladimir Poutine, alors que l’origine de la confrontation provient du combat fratricide en Ukraine même. Pendant qu’une hystérie russophobe conduit au risque d’une déflagration nucléaire en Europe, comment oublier que l’armée ukrainienne a mené une guerre sur son propre territoire depuis 2014, faisant 13 500 morts dans la région russophone du Donbass. Ces victimes ne méritaient-elles pas une compassion égale à celles de la guerre actuelle ?
Abbé Arbez : cependant, les médias et les « experts » des plateaux télé nous présentent la Russie comme l’agresseur et l’Ukraine comme l’agressé. En passant sous silence le fait historique que les accords de Minsk ont été trahis par le gouvernement Zelinsky et que l’est russophone du pays a été harcelé par l’armée ukrainienne, son bataillon Azov aux insignes nazis, et par des mercenaires étrangers.
Bat Ye’or : on ne peut pourtant pas travestir la réalité : la guerre appelée « opération » par les Russes dans le but d’empêcher une épuration ethnique au Donbass est aussi une guerre à laquelle contribuent les États-Unis et les pays de l’UE, en envoyant des capitaux et des armes lourdes au gouvernement Zelinsky. De même Biden, l’OTAN et l’UE ont lancé une guerre économique contre la Russie par des sanctions qui pénalisent d’abord les pays européens affaiblis par deux ans de pandémie. Beaucoup d’Européens pensent que le peuple ukrainien est otage d’une guerre menée contre la Russie par Biden avec l’aide de l’UE galvanisée par des prétentions hégémoniques. Que font les Européens pour convoquer d’urgence aux négociations de paix les deux protagonistes officiels Zelinsky et Poutine ?
Abbé Arbez : cette nouvelle répartition des cartes suite au conflit oblige les Européens à rechercher l’énergie et les produits alimentaires ailleurs dans le monde.
Bat Ye’or : dans le but d’affaiblir la Russie, les Européens prisonniers de la surenchère agressive vont s’approvisionner en pétrole auprès des pays islamiques comme les Émirats, l’Iran, l’Azerbaïdjan, le Qatar. Des milliards iront à des pays où la démocratie est inexistante. Sans même parler de la condition des femmes et des préjugés fanatiques.
Abbé Arbez : Les pays européens font beaucoup référence aux droits de l’homme. Les USA comme l’UE affirment intervenir dans des pays de l’Est, d’Afrique, d’Asie afin de défendre des valeurs universelles qui leur sont chères. Mais cela justifie-t-il l’installation grandissante de missiles aux portes de la Russie ?
Bat Ye’or : Quand on parle des droits de l’homme, il est utile de rappeler qu’il coexiste deux déclarations d’inspiration opposée : la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et la Déclaration des droits de l’homme en islam (1990). Le Conseil de l’Europe est en fait très ouvert à une certaine islamisation : enseigner l’histoire de l’islam, renforcer la participation politique des communautés islamiques, accueillir leurs directives religieuses… Ces demandes qui furent faites par des députés européens dès 1974 exprimaient les requêtes formulées par la Ligue arabe et les représentants de l’Organisation de la Conférence/Coopération islamique. Il semblerait que l’avis des peuples européens ne soit ni sollicité ni écouté. Il est clair que leurs Parlements n’ont pas eu de discussions sur l’opportunité de prendre part à la guerre Russie/Ukraine. L’information par les médias s’est cantonnée à un discours émotionnel répétitif et peu éclairant. Le wokisme américain propulsé dans les universités par les démocrates d’Obama a sa part de déstabilisation des consciences en semant la confusion.
Abbé Arbez : l’aide humanitaire aux victimes du conflit ukrainien est indispensable, mais les opinions publiques européennes ont besoin de ne pas rester enfermées dans une approche manichéenne à courte vue afin de discerner les enjeux géopolitiques liés à cette crise très grave au sein de l’Europe, même si l’Ukraine n’est pas membre de l’UE ni de l’OTAN.
Bat Ye’or : une Europe fracturée entre l’Ouest et l’Est deviendra une proie facile pour d’autres intérêts actuellement occultés. Le monde a changé, les divisions occidentales sont contre-productives, il faut travailler au rétablissement de la paix sur des bases crédibles. Cette guerre est celle de Biden. L’Europe ne doit pas faire les guerres des autres sous les prétextes des droits de l’homme et de la démocratie. Elle doit se projeter dans un avenir européen pacifié, rejeter les propagandes diffamatoires et haineuses du siècle passé qui ont imbibé son sol de sang, particulièrement en Ukraine. Nous devons nous souvenir que la Russie est une grande nation qui a largement contribué à la culture européenne et occidentale. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle fut une alliée sûre qui contribua à sauver la civilisation occidentale d’une barbarie démoniaque à laquelle s’étaient alliés de nombreux peuples et États qui aujourd’hui font la morale.