Par Frnçois Martin
A côté de la guerre géopolitique, militaire, médiatique, politique et diplomatique, culturelle, civilisationnelle et idéologique, la guerre économique du camp des USA et de leurs alliés contre la Russie n’est pas l’aspect le moins important. Il n’a pas été étudié dans tous ses aspects.
Certains aspects de la guerre économique entre le camp occidental et la Russie ont été bien étudiés, que ce soit celui des sanctions, et de leur effet boomerang sur nos économies européennes, ou bien celui de leurs conséquences à long terme, en particulier l’accélération de la mise en place d’un nouvel ordre mondial multipolaire, un ordre que Poutine avait annoncé depuis longtemps, dégagé de l’emprise américaine et sous l’égide des BRICS, avec à la clef un nouveau système de paiement international (1) et des organismes de financement indépendants (concurrents ?) de ceux issus de Bretton Woods (FMI et Banque Mondiale) trop américanisés.
Pour autant, d’autres aspects ne l’ont pas été. Or ils permettent une lecture de la guerre bien différente, et expliquent certaines « anomalies » ou certains comportements spécifiques des acteurs de celle-ci.
L’une des clefs de lecture pour les aborder consiste à partir de la stratégie, assumée et médiatisée, des américains et de leurs alliés, « d’affaiblir la Russie », non seulement par rapport à l’objectif (raté) de la faire tomber dès le début par une salve de sanctions, mais aussi sur la durée, en lui imposant une guerre longue, et même si possible sans fin, de telle sorte qu’elle s’y épuise politiquement et économiquement. Mais en faisant cela, on se demande, au mieux, si la Russie est capable de résister, mais jamais si elle n’a pas, elle-même, conçu le même objectif, affaiblir durablement l’occident. On ne se pose pas la question, à cause de notre complexe de supériorité occidental, celui qui, depuis le début de cette guerre et même avant, nous a poussés à sous-estimer en permanence notre adversaire (2) : lorsqu’il disait qu’il fallait appliquer Minsk, lorsqu’il disait qu’il fallait arrêter l’expansion de l’OTAN vers l’est, lorsqu’il disait que tout cela finirait mal, cela n’avait pas d’importance. Cela ne venait « que » des russes, un peuple rétrograde, gouverné par un dictateur menteur, amoral et paranoïaque, inquiétant, mais inintéressant, méritant notre condamnation morale ou nos sarcasmes, mais pas une véritable analyse. La même erreur magistrale qu’avait faite Hitler (3). A priori, ce régime politique finirait par disparaître de l’Histoire, repoussé par nos vérités universelles progressistes. Il n’était capable que de brutalité, l’apanage des fous et des imbéciles, mais ni d’intelligence, ni d’ambition (sauf démesurée !), ni de concevoir des stratégies gagnantes et de les appliquer… Le réveil, pour nous, est assez difficile, et comme l’a dit Poutine lui-même, ce n’est pas terminé.
Deux aspects sont à considérer dans cette stratégie russe :
L’un est la politique de « boa constrictor » que Poutine applique méthodiquement à l’Europe. En effet, il sait que nous sommes le « maillon faible » de toute cette affaire (4) Les sanctions, les livraisons d’armes, ont été décidées par les européens dans la panique des premières semaines de la guerre et sous la pression (très bien orchestrée) de la propagande médiatique américaine mettant en scène, constamment, les « pauvres victimes ukrainiennes » et le « méchant Poutine ». Sur des choix aussi impliquants, politiquement et économiquement, jamais les peuples européens n’ont été consultés. Poutine sait parfaitement que les économies occidentales, sous l’effet des folies budgétaires antérieures (quantitative easing, gigantesques plans de relance de Biden, « quoi qu’il en coûte » français), se trouvent très fragilisées. Une forte poussée inflationniste ne peut manquer de mettre les pouvoirs d’achat en danger, ce à quoi s’ajouteront les hausses et pénuries d’énergie et de matières premières causées par les sanctions. L’objectif à terme, pour lui, comme il l’a obtenu en Géorgie (5), c’est, une fois la fièvre initiale passée, d’exploiter la faiblesse inhérente à nos démocraties, et de monter nos opinions occidentales versatiles contre nos propres gouvernements. Pense-t-on, connaissant ces fragilités qui sont les nôtres, qu’il a pu ne pas y penser ?
Pour cela, il ne faut pas qu’il apparaisse comme l’auteur des dommages (6). Il faut qu’il fasse en sorte que ce soit nos gouvernements qui apparaissent comme tels. Pour cette raison, il s’est bien gardé de nous couper le gaz d’office (7). Au contraire, il joue au chat et à la souris : il coupe les approvisionnements sans les couper. il demande un paiement en rouble, et punit certains pays et pas d’autres, il arrête le gazoduc Northstream 1 sous prétexte de réparation, mais le remet ensuite en route, etc… Le but, c’est qu’à terme, l’opinion se désespère face au terrible et implacable « mur des réalités quotidiennes », se fâche, et se retourne ensuite contre ses chefs inconséquents. Déjà, on voit se dessiner ces mouvements en Hollande, en Italie, en Allemagne, aux USA. Malgré les tentatives désespérées d’Emmanuel Macron, avec ses phrases sur « l’économie de guerre » (8), la révolte contre ses mauvais choix est inscrite dans l’avenir politique français, à plus ou moins long terme. Elle est inévitable. Sur ce plan, le temps donc joue pour Poutine, qui nous manipule et nous affaiblit, selon un plan parfaitement conçu et exécuté. En fait « d’affaiblir la Russie », c’est bien le contraire, en ce moment, qui se produit…
Mais un autre aspect est tout aussi important, c’est celui du soutien militaire et financier à l’Ukraine. Peu d’analystes ont fait la liste des « achats du supermarché » occidental pour l’Ukraine. Or elle est pharamineuse. L’excellente Teresita Dussart a tenté l’exercice (9), et le résultat fait dresser les cheveux sur la tête : si l’on fait le compte, entre les USA et les européens, entre dons financiers et de matériel et prêt-bail (qui ne sera, de toute façon, jamais remboursé) près de 65 Milliards d’Euros ont été dépensés en quelques mois seulement (10), auxquels il faut ajouter près de 13,5 Milliards d’Euros qui avaient été déjà déboursés par les USA avant et après Maïdan, d’abord, pour fair sauter le gouvernement de Ianoukovitch (10 Milliards), puis pour armer la « jeune démocratie ukrainienne » (3,5 Milliards) (11). Au total, près 80 Milliards de dépenses du camp occidental (12), avec des millions d’armes qui sont détruites par les missiles russes dès qu’elle parviennent dans les grandes plaines découvertes où l’on voit tout, et pour une perspective de « retour sur investissement » qui s’éloigne chaque jour un peu plus. Il est vrai que c’est nous, les taxés, qui payons, sans que nous ayons été consultés… A côté de cela, la Russie, en plus du fait qu’elle vend maintenant, grâce à nous, ses ressources à prix d’or, fait une guerre « à l’économie », avec un corps d’armée très peu important pour une telle affaire (13) et en utilisant pour une bonne part, dans sa stratégie d’artillerie, les immenses stocks de munitions déclassées datant de l’époque soviétique (14). Qui, en ce moment, affaiblit l’autre ?
Un autre aspect encore n’est pas étudié, c’est le soutien direct à l’Etat ukrainien. Or celui-ci est en faillite. Pour couvrir son déficit, il faut lui verser 5 Milliards d’Euros tous les mois. Et cela n’est, certainement, que la partie émergée de l’iceberg : puisque, en Ukraine, rien ne fonctionne sans les oligarques, il faut certainement y ajouter tout ce qu’ils réclament pour faire travailler les fonctionnaires, faire marcher et réparer les infrastructures, rémunérer les brigades qui se battent sur le front, etc… Au final, on peut penser que la « machine ukrainienne » doit coûter au bas mot, simplement pour qu’elle ne s’arrête pas, 7 ou 8 Milliards d’Euros tous les mois. On comprend mieux, alors, pourquoi Poutine s’est bien gardé, à l’inverse de ce que disent tant de commentateurs qui ne réfléchissent pas, de faire sauter l’Etat ukrainien et son président Zelensky (15). S’il l’avait fait, immanquablement, c’est à lui, tous les mois, que le nouveau pouvoir aurait présenté la facture. Finaud, il nous a « laissé le bébé » (16), et fera tout pour le garder en vie. Comment ne le comprenons-nous pas ? Et combien de temps tiendrons-nous dans une telle perspective ? Déjà, aux USA, des voix s’élèvent pour dire « stop ». Et chez nous ? Est-ce à remplir ce tonneau des Danaïdes que doit servir « l’économie de guerre » ?
Mais les choses sont peut-être encore plus graves que cela. C’est un excellent article d’Antoine Colonna qui nous en donne la clef (17). Il explique qu’avant la chute de l’Union Soviétique, l’Ukraine représentait près de 30% de la production de l’ensemble de ses armements. En 91, les politiques et les généraux ukrainiens en ont revendu une bonne part pour leur propre compte, et ont empoché, entre 1992 et 1996, près de 32 Milliards de USD. Ensuite, entre 2013 et 2015 (une époque où nous soutenions déjà la « jeune démocratie ukrainienne »…), au moins 300.000 armes ALPC (18) ont été « perdues ». Seules 4000 ont été retrouvées. De fait, les chefs ukrainiens sont « mariés » avec le trafic d’armes. Cela fait partie de l’ADN de ce pays. L’Ukraine est probablement le plus grand trafiquant d’armes au monde. Que ce soit en Afrique (dans le trafic armes contre diamants en Sierra Leone), en Amérique latine ou ailleurs, on retrouve partout, comme intermédiaires, des ukrainiens. Nous sommes donc en train de soutenir et de subventionner, en fait de « jeune démocratie », un immense système mafieux.
Ceci a plusieurs conséquences :
On comprend mieux, à cette lumière, pourquoi Zelensky continue sans arrêt à réclamer des armes. La revente des armes n’est pas, comme certains le pensent, une conséquence inévitable et dommageable du conflit, mais l’un de ses principaux objectifs. Derrière les demandes, c’est un gigantesque trafic qui se déroule, hors de tout contrôle, sur place et ailleurs (19). Et, bien entendu, lorsqu’on en est là, comme toujours, une partie de cet argent sale « reflue » vers les fournisseurs. Combien d’intermédiaires, de politiciens, de partis occidentaux reçoivent un « retour » de ces sommes pharamineuses ? Combien de milliards, en ce moment, sont virés sur leurs comptes dans les banques des paradis fiscaux ?
Dans une armée totalement corrompue, où tout s’achète (postes, conscription, etc…), il est impossible que les soldats se battent « pour la patrie ». Personne n’accepterait de se faire hacher pour des brigands. Cette thèse est un mythe colporté par nos misérables médias. En réalité, il y a deux armées : une armée de conscrits, qui sont la « chair à canon ». Ce sont eux que leurs chefs abandonnent sur place lorsque les choses tournent au vinaigre, et qui se font tirer dans le dos s’ils fuient. Et une armée « professionnelle ». Ceux-là sont en réalité des « privés » qui travaillent, sous couvert d’armée régulière, exclusivement pour les oligarques. En fait, ce sont les hommes de main d’une clique de gangsters. Ils sont payés à prix d’or, et n’ont qu’une mission : tenter de récupérer le Donbass à tout prix.
Et c’est là qu’est la clef de l’énigme. Ces oligarques tiennent le pays et le gouvernement en coupe réglée depuis toujours. Rien ne peut se faire sans eux, et les américains eux-mêmes doivent passer par eux. Or ils ont presque tous leurs avoirs dans le Donbass, le « coffre-fort » de l’Ukraine, ou en Crimée. C’est là qu’ils ont fait fortune. Depuis 2014, ils rongent leur frein et ils attendent (20). C’est là qu’ils espèrent encore, demain, se « refaire ». Depuis 2014, ils n’ont plus accès à leur « garde-manger ». S’ils perdent la guerre, ils perdent tout. Pour cette raison, ils se battent, à travers leurs milices intégrées à l’armée, avec l’énergie du désespoir. Pour les contenter, Zelensky est obligé, à rebours de toute logique diplomatique (21), d’être sans arrêt maximaliste. S’il « lâche l’affaire », c’est une balle dans la tête qui l’attend (22).
Alors, l’Ukraine, la plus belle arnaque du siècle ? Et nous autres, citoyens, les champions du monde des « pigeons » ?
François Martin
- Les « 5 R » : Le Rouble (russe), la Roupie (indienne), le Renminbi (chinois), le Real (brésilien) et le Rand (sud-africain)
- En fait, c’est notre plus grande erreur.
- Lorsqu’il avait confié à Staline, avant la guerre, la sous-traitance de la fabrication de ses chars, persuadé que les « sous-hommes » qu’étaient à ses yeux les russes seraient incapables d’utiliser ces technologies pour leur propre compte. A Koursk, il a dû se mordre les doigts…
- Et nos gouvernements se sont bien évertués à le lui confirmer…
- Où l’opinion s’est retournée en 2008, après l’intervention russe, contre le Président Saakashvili. Elle l’a jugé responsable de cette aventure funeste, et l’a chassé du pouvoir. C’est la même stratégie qui est appliquée ici.
- Mais presque comme la victime…
- Auquel cas il aurait fait exploser nos économies, mais aurait durablement monté nos opinions contre lui
- Une expression alibi et une « fausse piste » à laquelle les naïfs se laissent prendre.
- https://www.francesoir.fr/politique-monde/la-tracabilite-des-fonds-vers-l-ukraine-se-perd
- Soit près de 51 Milliards d’Euros pour les USA et 15 Milliards pour l’Europe, dont près de 3 Milliards pour la France.
- Des chiffres confirmés par Victoria Nuland elle-même, puis par Obama. Elle se demandait, dans la même interview de 2014, quand aurait lieu le « retour sur investissement ». C’était avant la présente guerre.
- Avec en plus tout ce qu’on ne sait pas…
- Pas plus de 150.000 hommes
- Il est vrai que nombre de pays européens, au moins dans un premier temps, ont appliqué la même technique en « faisant don » à l’Ukraine de vieux stocks déclassés. Ce ne sera pas perdu pour tout le monde, puisqu’il faudra bien les remplacer … avec du matériel américain…
- Il s’en était bien gardé également en Géorgie en 2008. On n’étudie pas assez ce cas d’école typique de la « méthode Poutine ».
- Et il crie fort. Et il veut son lait tous les jours…
- https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/monde/ukraine-a-qui-profitent-les-armes
- Armes Légères et de Petit Calibre
- Dans son article, Teresita Dussart explique que les commission de contrôle et de lutte contre la corruption qui avaient été mises en place, sous la pression internationale, en 2020, pour enfin tenter de limiter celle-ci, ont été « opportunément » supprimées en Décembre 2021, lorsqu’on a commencé, dès Janvier 2022, à « bourrer » d’armes le pays, en prévision d’une possible attaque russe.
- Bien entendu, avec eux, il n’y avait aucune chance que les accords de Minsk soient appliqués. Nos gouvernements garants de ces accords, la France et l’Allemagne, le savaient parfaitement. C’est pourquoi ils n’ont rien fait. D’autant que la France, entre 2015 et 2020, en contradiction totale avec son mandat de garant de recherche de paix et de démilitarisation entre l’Ukraine et le Donbass, signé à Minsk en 2015, a été le principal fournisseur d’armes à l’Ukraine, pour 1,6 Milliards d’Euros (cf l’article de Teresita Dussart). Pour le donneur de leçons que nous sommes, quelle duplicité !
- Parce que, chaque fois qu’il temporise sans négocier, Poutine en prend prétexte pour aller plus loin. Il est déjà acquis, puisque rien ne se dessine, qu’il ira, après avoir pris Kramatorsk, jusqu’à Odessa.
- Comme deux des négociateurs ukrainiens, membres de la première équipe partie rencontrer les russes à la frontière biélorusse, au tout début du conflit. Ils ont cru qu’ils étaient là pour négocier. Ils ont été assassinés le jour-même de leur retour à Kiev.