Par Charles Gave
29 janvier, 2018
Soyons clairs : Steven Spielberg est un génie. Personne ne sait raconter une histoire comme lui. Je viens de voir son dernier film, et même si je connaissais l’histoire, j’étais suspendu au bord de mon siège, dévoré d’inquiétudes : les bons allaient-ils gagner et les méchants allaient-ils être punis ? Et il sait choisir ses acteurs : Meryl Streep dans le rôle de Catherine Graham, la propriétaire du Washington Post et Tom Hanks dans celui de Benn Bradley le rédacteur en chef mythique du WP sont prodigieux.
L’histoire est assez simple.
Comme d’habitude, les plus intelligents de la classe, sous la conduite de Robert McNamara, l’homme le plus brillant de sa génération, avaient foutu leur pays dans une situation impossible, cette fois-là en envoyant des troupes là où elles n’avaient rien à faire. Il s’agissait du Vietnam et des États-Unis bien sûr. McNamara, l’homme qui dans l’Histoire des USA est resté le plus longtemps Secrétaire d’Etat à la Défense, quelque peu inquiet de la tournure que prenaient les évènements demanda un rapport à une société de consultants, la « Rand Corporation » sur la probabilité d’une victoire militaire.
Le rapport arrive et la conclusion est sans appel : les chances de l’emporter sont quasiment nulles et tous les Présidents américains successifs, c’est-à-dire Kennedy, qui commence la guerre, Johnson qui fait envoyer jusqu’à 550 000 hommes et enfin Nixon, sont non seulement informés, mais partagent cette conviction.
Ce qui ne les empêche pas de continuer à envoyer des centaines de milliers de soldats américains au Vietnam, en proclamant que la victoire est quasiment acquise, que la lumière brille au bout du tunnel et que sais-je encore, tout cela parce qu’aucun de ces hommes ne voulait être le premier Président des États-Unis à connaître une défaite militaire, ce qui aurait été mauvais pour leur réélection sans aucun doute. Et donc, ils font tuer des milliers et des milliers de jeunes soldats plutôt que reconnaître qu’eux ou leurs prédécesseurs ont commis une erreur… et sans qu’il y ait le moindre espoir que les choses s’améliorent, au contraire.
Heureusement, un journaliste courageux, ancien de la Rand Corporation, prend sur lui de voler le rapport et le fait passer au NY Times qui commence à le publier et se voit promptement interdit par un juge proche du pouvoir toute nouvelle divulgation.
Entre alors en scène le Washington Post qui réussit à se procurer le rapport et entreprend de le révéler au grand public.
Drame cornélien pour la propriétaire du WP, amie très proche de Kennedy, Johnson et McNamara, mais qui déteste Nixon : doit-elle trahir ses amis ou publier la vérité ? Elle prend la décision de publier, contre tout son conseil d’administration, le journal est attaqué par le département de la Justice du Président Nixon et remporte un triomphe quand la Cour Suprême, convoquée en urgence, rend un arrêt décrétant que la Liberté de la Presse est plus importante que de sauver la réputation des anciens ou actuels Présidents du pays.
Fin du film, la salle applaudit et tout le monde rentre à la maison, satisfait que la Justice l’ait emporté et que les méchants soient punis. Et c’est là où les choses deviennent intéressantes pourtant.
Spielberg, bon démocrate et grand copain des Clinton, a réalisé son film en moins de six mois tant il était inquiet des attaques que le nouveau président, le remarquable monsieur Trump, portait contre les journalistes, la nouvelle vache sacrée intouchable de nos démocraties.
Ce film se veut donc une démonstration que le personnel politique est mauvais dans son essence et que les journalistes, eux, sont bons et ne veulent que le bien commun.
Et donc, comme dans tout bon western, nous avons d’un côté les bons (les journalistes) et de l’autre les salopards, les hommes d’affaires et les politiciens, surtout s’ils sont Républicains…
La routine en quelque sorte puisque tous les présidents Républicains ont toujours été attaqués par la presse Démocrate au prétexte qu’ils étaient idiots ou corrompus, l’un n’empêchant pas l’autre d’ailleurs.
Pour le journaliste de base aux USA, et cela depuis le Watergate, les méchants sont donc toujours les Républicains et les gentils les Démocrates et le chevalier blanc, c’est lui. Être courageux après les évènements est assez facile. Depuis la Libération par exemple, il est tout à fait certain que tous les hommes de gauche qui prospèrent en France se seraient courageusement opposés au nazisme s’ils avaient vécu à cette époque, tant ils sont prêts à s’élever contre la dictature, à condition que ce soit sans danger immédiat. L’héroïsme rétrospectif est celui qui fait le plus de carrières et le moins de morts, comme l’ont montré les exemples de monsieur Mitterrand et de Sartre.
Eh bien, aujourd’hui tous les journalistes américains sont prêts à lutter contre Nixon, puisqu’il est mort depuis longtemps et qu’il n’y a plus aucun danger. Mais notre journaliste « chevalier blanc » a aujourd’hui deux gros problèmes.
Le premier est que le nouveau président, en bon Chrétien, qu’il est, préfère donner que recevoir et ne se laisse pas taper dessus sans répondre allègrement, ce qui chacun en conviendra, n’est pas convenable.
La moindre des choses, quand un homme de droite se fait taper dessus par les journalistes, tous de gauche, serait de s’excuser d’être de droite et de suivre une politique de gauche, comme ont su si bien le faite Giscard, Chirac, Juppé ou Sarkozy. Ne pas reconnaître qu’être de droite est honteux, c’est refuser le magistère moral de la gauche, ce qui est la preuve que l’on est un fasciste.
Le deuxième est que l’administration du président Obama et les époux Clinton ont commis toute une série d’irrégularités et de crimes couverts par le ministère de la Justice et le FBI qui avaient été soigneusement noyautés par leurs soins (voir mes articles précédents sur le sujet).
Et que ces crimes sont au moins aussi graves que ceux commis par Nixon, Johnson ou Kennedy. Mon journaliste va se voir obligé de dénoncer des crimes commis par des Démocrates, alors que tout le monde sait que par essence seuls les Républicains sont des criminels. Voilà qui pourrait désespérer Billancourt, et le plus simple est de ne pas faire de vagues et de prétendre que tout est en ordre… les chevaliers blancs que sont les journalistes ne voient donc aucune raison de faire la moindre enquête que ce soit sur les pratiques, pourtant fort douteuses des Démocrates. Leur mot d’ordre en ce qui concerne les turpitudes Démocrates est « Circulez, il n’y a rien à voir », ou bien alors « la question ne sera pas posée ».
Et donc nous avons un remarquable manque de curiosité journalistique sur les pratiques des Clinton, des Obama, du FBI, du ministère de la Justice, de la CIA, du parti Démocrate, accompagnée cependant d’une insatiable curiosité sur les relations que monsieur Trump aurait eues avec monsieur Poutine.
Mais voilà que monsieur Trump demande que des enquêtes soient diligentées sur toutes ces saloperies, ce qui paraît bien normal après tout. Les Clinton, les Obama, ne sont pas au-dessus des Lois. Mais curieusement, le ministère de la Justice, toujours truffé de responsables mis là par les Clinton ou Obama ne semblent pas très pressé de s’y mettre, car cela pourrait les amener- eux- en prison, et on les comprend. Les choses avancent donc, mais très, très lentement…
Heureusement, aux USA en tout cas, il existe des gens courageux que l’on appelle des « journalistes indépendants » qui n’hésitent pas à aller gratter partout pour déterrer des secrets que d’aucuns croyaient parfaitement enfouis et ici deux noms me viennent à l’esprit.
- Peter Schweitzer, qui serait le petit fils du fameux docteur Schweitzer, et qui a écrit un livre (The Clinton Cash) fort bien documenté, en expliquant comment les Clinton, pauvres comme Job en sortant de la Maison-Blanche, avaient accumulé plusieurs centaines de millions de dollars en pratiquant une corruption inimaginable dans un pays comme les USA. L’auteur n’a pas été poursuivi en justice pour diffamation par les Clinton, ce qui semble bien indiquer que la recherche était de qualité…
- Sara Carter, qui elle s’est fait une spécialité de repérer les arrangements entre FBI, ministère de la Justice, fondation Clinton (la pompe à fric des Clinton), parti démocrate, milieux d’affaires étrangers un peu douteux… et qui a sorti depuis deux ans des dossiers plus accablants les uns que les autres sur une grosse partie de l’administration Obama, les équipes Clinton et les cadres du parti démocrate. Et, dit-elle à chaque interview, elle en a beaucoup d’autres dans ses tiroirs.
Et ces deux personnes, avec l’aide de certains journalistes du groupe de média « Fox », sont en train de faire le boulot que le Washington Post ou le New York Times ont fait au moment des dossiers du Pentagon et du Watergate.
Ceux qui ont du courage aujourd’hui ce sont donc les journalistes indépendants ou républicains. Les journalistes de sensibilité démocrate préfèrent leur parti à la vérité, ce qui est bien triste. Mais comme ils sont très bien payés par les grands groupes financiers qui contrôlent les médias aujourd’hui, ils se consoleront rapidement.
Car la grande différence entre l’époque du film et la nôtre est tout simplement que les médias aujourd’hui ne sont plus indépendants des pouvoirs économiques. A l’époque de madame Graham, la SEULE qui pouvait prendre la décision de publier ou non c’était elle puisqu’elle était PROPRIÉTAIRE du Washington Post. Elle prit la bonne décision. Qu’elle aurait été la décision si le WP avait été détenu par General Electric ou Lockheed ? Je crois deviner qu’un coup de téléphone aurait été donné par le Président en exercice à qui de droit et que nul n’aurait jamais entendu parler de ces fameux dossiers.
Aujourd’hui, le WP est détenu par Amazon, les chaînes de télévision par General Electric ou Walt Disney tandis qu’en France nos journaux sont possédés par des marchands d’armes, de ciment ou de téléphonie et aucun d’entre eux ne vivrait sans des « arrangements » avec le pouvoir en place.
Que le lecteur se convainque d’une chose : le capitalisme de connivence, la plaie de notre époque, ne peut survivre que si la presse n’est pas libre et pour que la presse reste obéissante, le plus facile est encore d’en acheter la propriété : on ne gagne pas beaucoup d’argent, voir on en perd, mais c’est fou comme cela rend les négociations plus faciles avec les camarades de promotion qui sont au gouvernement.
Et ne restent dans les médias que ceux qui savent obéir…
Les autres, vous les trouverez sur Internet.