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Syrie: un mois après la chute d’Assad, 12 éléments d’analyse à retenir

par Edouard Husson 6 janvier 2025

Peut-on faire un point de situation un mois après la chute de Bacher El-Assad? Le premier réflexe de beaucoup d’observateurs, sur le moment, a été de parler d’une défaite irano-russe et d’une victoire univoque d’Israêl. Et puis les jours passent et le tableau se complexifie. Et si les perdants apparents étaient les vainqueurs réels de la nouvelle donne? Tout commence à se passer comme si un nouvel « Afghanistan » avait été installé au bord de la Méditerranée, qui devait épuiser définitivement l’Empire américain.

Peut-on faire un 1er bilan de la situation en Syrie un mois après la chute d’Assad? Je propose ici douze points à retenir comme établis:

Un coup préparé depuis de longs mois
Le coup a bien été préparé depuis le début de la Guerre de Gaza par Israéliens, Turcs et Américains.

La géopolitique du Proche-Orient ne suit pas des clivages religieux puisque nous assistons à la coopération d’Israël avec une puissance musulmane et une puissance chrétienne pour installer à la place d’Assad des islamistes au pouvoir. On a plutôt affaire à une alliance des fondamentalismes (évangélisme sioniste, gouvernement du « Grand Israël », islamistes).

L’objectif était de casser l’Axe de la Résistance patiemment construit par l’Iran, en particulier sous l’impulsion du Général Soleimani.

Russes et Iraniens n’ont pas été surpris
Russes et Iraniens ont suivi en temps réel la préparation d’une nouvelle guerre anti-Assad. On sait aujourd’hui qu’ils ont prévenu le président syrien de ce qui était imminent.

Ils avaient constaté dès 2019 le refus du président syrien de moderniser l’armée et l’Etat. Connaissant la fragilité du régime syrien, ils se sont vite adaptés à l’avancée d’HTS

Assad avait misé sur la diplomatie
Assad était occupé, depuis 2019 par l’idée de réduire sa dépendance aux soutiens russe et iranien. Il a tout misé sur la réconciliation avec la Ligue Arabe, et sur une levée des sanctions européennes. Sa réintégration au cercle des dirigeants arabes ne lui a été d’aucun secours au moment décisif. Quant à l’Union Européenne, elle ne l’a jamais pris au sérieux.

Tout cela s’est effondré comme un château de cartes

L’armée syrienne se s’est pas battue
Il n’y a pas eu de bataille après la chute d’Alep. Le commandement syrien, acheté par de l’argent américain, a trahi.

La Russie a effectué un bombardement des troupes de HTS puis laissé tomber en constatant la débandade syrienne. L’Iran a donné ordre aux milices chiites de rester en Irak alors qu’elle s’étaient massées à la frontière pour intervenir.

Une défaite apparente des Russes et des Iraniens
L’Iran a négocié avec le nouveau pouvoir le retrait de ses conseillers militaires et combattants stationnés en Syrie, en échange de la reconnaissance. Et la Russie a monnayé de la même manière le maintien de sa base navale.

A première vue, c’est l’adaptation, aussi bien de la Russie que de l’Iran, à une défaite – la perte d’un allié au Proche-Orient. En réalité le tableau est complexe.

Turcs et Israéliens se sont engouffrés dans la brèche
Du point de vue russe, le risque est bien sûr de voir anéantis les gains géopolitiques obtenus depuis 2015. Mais le nouveau pouvoir syrien, sans qu’il soit possible d’estimer sa chance de survie, ne voit pas d’un mauvais œil d’avoir la Russie a proximité pour contrebalancer la pression de ses trois encombrants protecteurs.

Du point de vue iranien, c’est, bien sûr, la perte de la route d’approvisionnement du Hezbollah. Mais on se rappellera qu’Assad avait été très peu coopératif avec Téhéran depuis des mois, en particulier en refusant d’ouvrir un front du Golan pour soutenir les Palestiniens (une partie du Hamas ayant soutenu l’opposition syrienne pendant la guerre de la dernière décennie)

Turcs et Israéliens se sont précipités victorieusement dans l’espace laissé vide.

Al-Qaïda, Daech et les apprentis-sorciers
Une fois qu’on a dit cela, l’analyse se complique. D’abord on connaît le degré de cynisme qui règne à Washington, Istanbul et Tel-Aviv. Malgré tout manier Al-Qaïda et Daesh, aussi rénovée soit la façade, c’est dangereux . CIA, MIT et Mossad jouent aux apprentis-sorciers.

Les trois pays ne cachent même plus leur machiavélisme.

L’expansion de trop pour Israël?
Ensuite chacun des 3 comploteurs a du souci à se faire.

A première vue Israël est en mesure d’encercler géographiquement le Hezbollah. Mais où sont les troupes supplémentaires pour défendre l’extension territoriale au Golan ?

Après Gaza, où le Hamas n’est toujours pas défait; le Liban, où la guerre avec le Hezbollah va reprendre; le Yémen, qui ne se laisse pas intimider par les bombardements occidentaux et continue à envoyer des missiles sur Israël: c’est un nouveau front ç défendre pour une armée épuisée psychologiquement, dans un pays dont l’économie s’atrophie du fait de la guerre.

La Turquie entraînée plus loin qu’elle ne le souhaitait?
La Turquie ambitionnait essentiellement de contrôler le nord de la Syrie et de mettre les Kurdes sous pression. L’effondrement d’Assad est venu si vite qu’Istanbul doit s’impliquer dans le pilotage du nouveau pouvoir syrien.

Et puis l’adhésion aux BRICS attendra… A force de jouer sur tous les tableaux, Erdogan a pris le risque de lasser la Russie.

Les USA vont devoir s’interposer
Quant aux USA, qui se contentaient de contrôler une zone au sud-est du pays, ils vont devoir désormais tenir le Zelensky syrien mais aussi veiller à ce que leurs alliés kurdes, turcs et israéliens ne se tapent pas dessus. Au moment où Trump voudrait se désengager…

On insistera sur le fait que la Turquie et Israël se retrouvent soudain face à face. Et dès le début de la Guerre de Gaza, Erdogan a rappelé que la Palestine avait longtemps été terre ottomane…..

Le ferment de guerre de religions
Ajoutons la difficulté qu’a déjà le nouveau pouvoir syrien à empêcher ses troupes de commettre des exactions contre chiites, alaouites et chrétiens. Les témoignages sont nombreux.

D’un côté, il y a la volonté occidentale de faire comme si la Syrie d’après les Assad allait être une réussite multiethnique. Et de l’autre il y a le ferment américano-israélien, qui ne s’est jamais démenti, d’encouragement à la guerre entre les communautés ethniques et religieuses.

Vers un « Afghanistan » démultiplié?
La nouvelle Syrie pourrait être « l’Afghanistan » de l’Empire américain.

A partir du moment où Russes, Iraniens et Chinois savaient que le régime d’Assad n’était plus viable, ils se féliciteront de ne pas être impliqués en première ligne. C’est aux Américains, aux Israéliens et aux Turcs de tâcher de maîtriser le chaos qu’ils ont eux-mêmes suscité.

Alors la question se pose: les vrais vainqueurs de la nouvelle donne ne sont-ils pas ceux que, dans la surprise d’un effondrement rapide du régime Assad on avait présenté comme perdants: la Russie et l’Iran