Jeudi, les funérailles du pape Benoît XVI feront la Une de la presse internationale, France comprise. Parce que la mort d’un pape suscite la ferveur les catholiques du monde entier. Parce qu’il était un saint homme, empli de charité et d’amour du Ciel, ce que personne de sérieux ne lui conteste. Parce qu’une âme chrétienne d’une telle pureté reste rarissime dans nos sociétés sécularisées, netflixées, nivelées, abimées par la course au plaisir et à l’argent. Parce que cette exception a quelque chose de touchant, de vrai, de beau, de grand, ce qui, là encore, est rare et donc cher. Parce que, enfin, cet homme a donné une vie, la sienne, à plus grand que lui, dans un abandon total : c’est le sens de sa vocation de prêtre. Mais il y a plus que cela dans l’hommage des peuples en général et des Français en particulier à Benoît XVI : cette mort reflète la fin d’un Occident plein d’histoire, de culture et de foi.
Benoît XVI concentrait à lui seul, par sa piété, sa culture livresque, sa finesse, son élégance d’esprit, son intelligence et son éducation ce que l’Europe a produit de plus élaboré sur bien plus de 2000 ans de civilisation. Ce dépôt, Benoît XVI a tenté de le transmettre à la France dans un des derniers grands évènements intellectuels du siècle finissant.
Le 12 septembre 2018 à 17h30, juste avant d’assister aux vêpres dans la cathédrale de Paris, Benoît XVI s’assied sur un fauteuil de velours rouge entre deux cardinaux au fond de la nef du Collège des Bernardins tout juste restauré. Deux ans après le discours de Ratisbonne, vilipendé par toute la gauche morale française, le pape réunit là le tout Paris intellectuel et politique : 650 personnes. Les places sont chères, très chères. On a intrigué dans les hautes sphères de l’État pour avoir son strapontin. Tous ces fils de la République se sont levés pour applaudir à son arrivée sous les voûtes des Bernardins le 265ème successeur de Pierre. Au premier rang, deux présidents de la République, Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, la ministre de la Culture Christine Albanel, le maire de Paris Jean Tibéri et son successeur en poste Bertrand Delanoë, le président du Sénat, des patrons de journaux, des grands dirigeants d’entreprise, des artistes…
C’est à ce cénacle très chic, pas vraiment blanc comme neige dans l’affaissement de la patrie, que Benoît XVI livre ce jour-là une impressionnante analyse. L’a-t-on vraiment écouté ? « J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne, commence le pape après les remerciements d’usage. J’ai mentionné en ouverture que le lieu où nous nous trouvons était emblématique. Il est lié à la culture monastique. De jeunes moines ont vécu ici pour s’initier profondément à leur vocation et pour bien vivre leur mission ».
Et le pape pose le débat. « Ce lieu, évoque-t-il pour nous encore quelque chose ou n’y rencontrons-nous qu’un monde désormais révolu ?» Benoît XVI va démontrer à toute cette galerie laïcisée mais fière d’être là que les moines ont fait de grandes choses… parce qu’ils cherchaient Dieu. « Derrière le provisoire, ils cherchaient le définitif », explique-t-il. Et il démontre comment cette recherche de Dieu a conduit toute une société vers la culture livresque, l’attention aux autres, l’harmonie, l’amour de la musique et du chant. Il montre le lien entre l’intelligence et l’amour, rappelle leur rapport intime à la liberté et regrette. « Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu ».
Une aberration, selon lui. « Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves, conclut-il. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable ».
Les grands patrons, intellectuels, politiques et cultureux français se sont levés pour applaudir. Ils ont raconté, commenté, admiré et… oublié. Nombreux sont ceux qui ont poursuivi paisiblement leur travail de détricotage et de destruction du pays, de son âme et de ses racines, de son peuple et de sa culture. Benoît XVI restera dans l’histoire comme le pape qui a perçu le grand effondrement occidental, ses causes, ses manifestations et ses conséquences. Il s’est dressé contre la ruine, puis s’est retiré dans le silence, la méditation et la prière, jusqu’à la mort. Cohérent jusqu’au bout. Jeudi, l’occident des lettres, des moines, des vastes bibliothèques antiques et feutrées, du savoir vivre et du long dépôt civilisationnel hérité des siècles, l’occident qui fascina si longtemps le monde s’effacera un peu avec lui.