Il y a quelques mois, j’expliquais aux lecteurs de l’IDL que le prochain pays qui allait sauter était la Turquie du bien connu défenseur des Droits de l’Homme, pourvu qu’il réside en Palestine et non pas en Syrie, ce bon monsieur Erdogan.
Nous y sommes.
Quelques chiffres : Environ $180 milliards de la dette extérieure Turque arrivent à échéance dans les 12 mois qui viennent, et à ce montant il faut rajouter environ 50 milliards de déficits des comptes courants, qu’il va bien falloir financer aussi. La somme des deux correspond à peu près à 30 % du PIB turc tandis que les réserves de change intérieures ou extérieures se montent à un peu moins de 20 % du même PIB.
Oops…
Voilà qui semble indiquer un problème de « liquidité » à très, très court terme.
Et du coup, la livre turque se ratatine ce qui ne fait qu’aggraver le problème puisque la dette est en dollar ou en euro, les taux d’intérêt à court terme sont au plus haut et à mon humble avis, le FMI est en train de réserver des billets (en première classe bien sûr, ces gens ne voyagent qu’en première classe) pour rendre une visite à ce cher Recip dans son immense palais aux portes d’Ankara.
La routine en quelque sorte.
Peut-être.
Mais la ou les choses commencent à devenir vraiment intéressantes c’est quand l’on fait entrer dans l’équation les banques européennes.
D’après les statistiques officielles (qui sous-estiment toujours la réalité) la Turquie aurait emprunté environ 450 milliards de dollars à des banques… principalement européennes et je n’ai pas le moindre doute que nous allons y retrouver les suspects habituels tels la Deutch Bank, le Crédit Agricole, ING, Unicredit ou la Socgen. Et avec une dette aussi élevée, ce qui se profile à l’horizon est non seulement un problème de liquidité, mais aussi un problème de solvabilité.
Liquidité + Solvabilité= Gros problèmes en vue. Et nous allons avoir des élections anticipées en Turquie au mois de juin, destinées à consolider le pouvoir déjà absolu de monsieur Erdogan
Il apparaît donc assez probable que ces banques ne reverront qu’une petite partie de l’argent qu’elles ont prêté à la Sublime Porte et que personne ne sait exactement quand ces remboursements hypothétiques auront lieu.
Lesdites banques vont être obligées de passer des provisions sur la Turquie à hauteur de (mettons) 50 % de leur exposition, soit environ 225 milliards de dollars. Voilà qui porterait un coup très sensible à la solvabilité de nos chers (oh combien !) établissements financiers puisque ces provisions viendront en déduction de leurs fonds propres, qui pour certains d’entre eux sont quasiment déjà négatifs.
En effet, et comme chacun le sait ou devrait le savoir, les prêts non performants de ces mêmes banques avoisinent les 1000 milliards d’euro ce qui est déjà monstrueux. Dans le cas d’une faillite de la Turquie, ils passeraient à 1200 ou 1300 milliards d’euro, au minimum.
Comme cette somme est très supérieure aux fonds propres de ces banques, cela voudrait donc dire qu’il deviendrait de plus en plus difficile de dissimuler le fait qu’un grand nombre d’entre elles sont en quasi-faillite.
Et lorsque les dépositaires vont s’en rendre compte, il est probable que tout un chacun va aller voir sa banque pour en retirer le cash. Nous allons vers un bon vieux « run on the bank » comme au XIXème siècle…
Qui plus est, je me demande si ces banques européennes, non contentes de prêter à la Turquie plutôt qu’aux PME françaises ou italiennes ne se seraient pas aventurées aussi à prêter en… dollars US. Rien de plus facile : La filiale américaine de la banque émet du papier commercial sur le marché de New-York, mettons à 1 % et les re-prête aussi sec à des entités turques à 2 %. Mais si ladite entité turque fait défaut, alors la banque se retrouve short du dollar du montant qu’elle a prêté. Et ma banque se met à couvrir ses positions comme une folle, créant ainsi la hausse du dollar qui ne fait qu’enfoncer un peu plus la pauvre Turquie.
Et du coup, les valeurs bancaires européennes se cassent la figure avec beaucoup d’entrain, ce qui rend impossible toute augmentation de capital. Je ne vois pas en effet qui pourrait souscrire à une augmentation de capital puisqu’une grande partie de ces banques sont en état de faillite technique, avec des fonds propres sans doute inférieurs à leurs prêts non performants. En fait, il faudrait me payer pour que je souscrive à une augmentation de capital ou que j’achète une banque en Europe aujourd’hui.
Et donc il n’est pas du tout impossible que nos élites financières soient obligées de faire un petit tour de piste à Bruxelles pour quémander à nouveau des aides diverses et variées du style demandes de recapitalisation, avantages fiscaux, autorisations de fusionner avec un concurrent sous condition de pouvoir virer quelques milliers de petits employés et que sais je encore.
Et toutes les populations du vieux continent vont se rendre compte que tous les soi-disant efforts faits –par elles et par elles seules– pour « sauver » les banques après les désastres de 2008-2009 et de 2011 2012 n’ont servi strictement à rien. Et c’est là que risque d’intervenir le nouveau gouvernement en Italie, troisième personnage de ce drame antique, et c’est là que la situation passe d’intéressante à passionnante.
Les deux partis qui viennent de parvenir au pouvoir en Italie ont fait campagne en utilisant un message simple et de bon goût et ce message, que je résume librement, le voici :
« Les élites européennes sont incompétentes et corrompues, le projet monétaire commun (l’Euro) est une imbécillité sans nom et il est urgent de virer les premières et de sortir du second. De fait et de droit, les décisions importantes concernant la monnaie, le crédit ou les banques doivent sortir de Bruxelles et retourner à l’échelle nationale »
Voilà une réalité dont je suis sûr que la plupart des lecteurs de l’IDL sont convaincus.
Imaginons maintenant qu’une grande banque italienne ait lourdement prêté à des entêtes turcs.
Imaginons que cela mette en difficultés cette banque italienne qui demande au gouvernement italien de la renflouer, ce qui est formellement interdit par les génies qui nous gouvernent à Bruxelles.
Voilà qui serait un vrai chiffon rouge pour le nouveau gouvernement italien qui en aucun cas ne peut laisser tomber l’une de ses banques, sauf à déclencher une vraie dépression en Italie.
Or il se trouve que l’Italie a aujourd’hui
- Un excédent de ses comptes extérieurs de près de 3. 5 % de son PIB
- Un excédent primaire de son budget (ce qui veut dire que le budget est excédent AVANT paiement des intérêts sur la dette) de près de 2 % de son PIB
- Une dette dont la duration a beaucoup augmenté depuis 2012
- Une dette qui est très majoritairement détenue par des Italiens
C’est-à-dire que notre sœur Latine n’a absolument plus besoin des marchés financiers internationaux pour se financer au cas où elle sortirait de l’Euro. Ce qui est loin d’être le cas de la France…
Jamais l’Italie n’a été dans une situation aussi favorable pour quitter et l’Euro et l’Union européenne.
Nul doute que la Grande-Bretagne ne serait enchantée de commencer immédiatement des négociations avec le nouveau gouvernement italien sur un traité commercial qui les unirait
J’ai toujours dit et écrit que la sortie de l’Italie sonnerait la fin de l’Euro. Nous sommes peut-être en train d’y arriver.
Le moment d’acheter massivement l’Europe se rapproche, mais pour l’instant, gardez votre poudre sèche, très sèche, en tout, sauf en Euro bien sûr.