Par Charles Gave
4 mars 2019
Le lecteur averti aura peut-être vu passer dans son journal une information stupéfiante : d’après un Institut économique allemand, en vingt ans, la mise en place de l’euro aurait coûté à chaque Français environ 55 000 euros et à chaque Italien plus de 70 000 euros, soit un débours par mois de 230 euros pour le Français et de 300 euros pour l’Italien, mais aurait rapporté plus de 20 000 euros à chaque allemand. Et bien sûr, ce qui est stupéfiant n’est pas le chiffre, mais le fait qu’une telle information soit publiée. Malheureusement, il apparaît que ce calcul a été fait en utilisant des méthodes économétriques un peu farfelues que je ne veux pas décrire ici tant elles me rappellent de mauvais souvenirs : on met dans l’ordinateur des données qui n’ont rien avoir avec la réalité, on fait tourner et on sort des résultats précis et qui ne veulent rien dire. Mais, en revanche, l’idée est intéressante : comme « un repas gratuit, ça n’existe pas » (Milton Friedman) », il me paraît judicieux d’essayer de mesurer ce que l’arrivée de l’euro a coûté à la France et à l’Italie et combien elle a rapporté aux pays du nord de l’Europe.
Voici comment je vais procéder.
L’OCDE me fournit une statistique tous les trimestres qui représentent pour chaque pays dans le monde le PIB par tête, et ce depuis 1960.
La difficulté est que l’Allemagne s’est réunifiée au début des années 90, ce qui interdit toute continuité dans les statistiques. Et donc, je remplace l’Allemagne par les Pays-Bas dans la mesure où les Bataves sont des Allemands qui se prennent pour des Anglais, comme le dit toujours l’un de mes amis néerlandais. Ce PIB par tête avait une tendance structurelle à la hausse très stable de 1960 a 2000.
Si j’admets que le passage de taux de changes flottants aux taux de changes fixes en 2000 a été un élément nouveau, je peux calculer la tendance à la hausse de ce PIB par habitant pour chaque pays (droite des moindres carrés pour les spécialistes) de 1960 à 2000…
En prolongeant cette droite jusqu’à 2019, j’ai une assez bonne idée de là où les PIB par tête auraient dû être (pointillés) par rapport à là où ils sont (ligne pleine). Par exemple, pour la France, le PIB par tête devrait être de 37 742 euros et il est effectivement de 33 531 euros. Je vois aussi les dates ou le PIB par tête a commencé à s’écarter de sa tendance historique, soit à la hausse en 1998 pour les Pays-Bas, soit à la baisse en 2003 pour l’Italie et en 2007 pour la France.
Commençons par une remarque simple : les taux de croissance structurels étaient exactement les mêmes entre les 3 pays de 1960 à 2000 (les 3 lignes pointillées sont exactement parallèles.) Mais cette parfaite convergence se brise à partir de l’an 2000.
Les concepteurs de l’euro ont donc brisé quelque chose qui marchait très bien pour le remplacer par quelque chose qui ne marche pas du tout. Et l’on voit apparaître la conséquence de ce changement en regardant le premier graphique : à la fin de 2018, le PIB par habitant batave est d’environ 1100 euros par habitant supérieur à ce qu’il aurait dû être, le PIB français est d’un peu plus de 4000 euros inférieur à ce qu’il aurait dû être tandis que le PIB italien, lui, est inférieur à sa tendance de plus de 9000 euros. Et le gain ou la perte totale par habitant depuis l’arrivée de l’euro c’est simplement la surface entre la ligne pointillée et la ligne pleine depuis l’an 2000, qui se montent à peu près + 20 000 euros pour les Pays-Bas, – 55 000 euros pour la France et – 75 000 euros pour l’Italie.
Il est amusant de constater que les chiffres sont similaires aux chiffres de l’étude allemande, alors même que la méthode de calcul est complètement différente. En fait, ces chiffres confirment donc parfaitement ce que j’annonçais comme inéluctable dans mon premier livre « Des Lions menés par des ânes » paru en 2003. Apparemment, les Allemands et les Hollandais ont donc été les grands gagnants de l’euro, ce qui ne surprendra que ceux qui n’ont lu ni mon livre, ni les dizaines d’articles que j’ai consacrés à ce destructeur d’Europe que fut et que reste la monnaie commune.
Et bien entendu, RIEN n’est réglé, bien au contraire. À la prochaine récession européenne, les dégâts vont être beaucoup plus sévères pour les sociétés françaises ou italiennes que pour les sociétés hollandaises ou allemandes et pour une simple raison : comme les sociétés françaises ou italiennes ont été beaucoup moins rentables que les sociétés allemandes depuis deux décennies (à cause de l’euro), elles ont donc beaucoup moins de réserves en fonds propres et sauteront beaucoup plus vite à la prochaine récession, qui d’ailleurs a peut-être déjà commencée.
Voilà qui explique pourquoi d’horribles populistes sont au pouvoir en Italie et pourquoi la classe dirigeante française encore au pouvoir chez nous (mais pour combien de temps… ?) se terre dans les palais nationaux sous la protection de sa maréchaussée, en espérant que le jaune va cesser d’être à la mode cet été pour qu’ils puissent aller retrouver leurs copains de Davos à Saint-Tropez et dire du mal des pauvres, ce qui reste leur sport favori.
Et donc l’euro a été un désastre pour l’Europe du Sud, et il est assez aisé dans le fond de mesurer la perte sèche enregistrée par l’Italie ou la France. Mais le plus extraordinaire a été que, comme ces deux économies ralentissaient fortement (à cause de l’euro), les rentrées fiscales baissaient et du coup Bruxelles exigeait que ces deux pays augmentent leurs impôts, ce qui faisait plonger encore plus leurs économies, et ainsi de suite., Seuls des Inspecteurs des Finances françaises ont pu créer un système aussi idiot.
Je voudrais attirer l’attention du lecteur sur un deuxième point, qui est le temps qu’il a fallu pour que tout un chacun se rende compte des dégâts que l’euro occasionnait, et pour cela je vais utiliser trois indices boursiers :
- Le premier représente les pays européens ne faisant pas partie de la zone euro, telles la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, la Suisse, la Pologne, etc.
- Le deuxième couvre les valeurs cotées dans n’importe quel pays de la zone euro à l’exception de l’Allemagne.
- Et le troisième représente l’évolution du cours des banques européennes.
L’idée est simple : si mon analyse est correcte, les sociétés opérant dans un pays en Europe, mais pas dans la zone euro devraient avoir une rentabilité supérieure à celles opérant dans la zone euro, si j’exclus l’Allemagne qui a été le grand bénéficiaire de la zone euro. Et du coup, leurs performances boursières devraient être meilleures que celles opérant dans la zone euro.
Et les valeurs bancaires, comme a l’habitude, me serviront de canaris dans la mine puisque leurs cours plongeront BIEN AVANT que le public ne se rende compte qu’il y a un loup. Vérifions.
De 2000 à 2007, calme plat. Les banques commencent à se casser la figure dès le début de 2008, bien avant le déclenchement de la crise aux USA. Premier mauvais signe…
Arrive la grande crise de 2008-2009. Les valeurs bancaires baissent beaucoup plus que le reste. Deuxième mauvais signe.
De 2010 à 2012, les banques européennes s’effondrent à nouveau… Arrivent les crises grecque, espagnole et italienne et la zone euro sous-performe massivement l’Europe ex euro. La réalité apparaît alors : l’euro est un désastre. Alerte à bord, tous aux canots de sauvetage. J’ai cru alors que nous allions être débarrassés du monstre. Que nenni ! Les eurocrates en 2012, avec monsieur Draghi aux commandes, doublent la mise, violent tous les traités et décident de sacrifier le Sud plutôt que de reconnaître qu’ils avaient eu tort, de demander pardon et de disparaître. Bien sûr, ils échouent et les banques, depuis le début de 2018, se cassent à nouveau la figure tandis que la zone euro sous-performe à nouveau l’Europe ex euro… Car depuis 2012, la situation s’est encore fortement détériorée… l’Allemagne elle-même, semble plonger.
Si l’indice des banques passe en dessous de 25, alors là il faudra aller tous aux abris
Et donc, 7 ans après la grande crise, nous avons toujours un système monétaire complètement dysfonctionnel, aucune solution n’est en vue et tout va continuer à se dégrader, jusqu’à ce que nous ayons une crise abominable et tout cela parce que le parti de l’étranger a une fois de plus décidé de trahir…
J’enrage.