Entretien d’Aldo-Michel Mungo avec Sébastien Letocart :
La mise en pratique de la doctrine du continent eurasiatique dominant le monde selon Alexandre Douguine, soit le projet territorial et politique supposé de Vladimir Poutine, est-elle militairement réaliste en considérant les forces en présence ?
La Russie mettant la main sur l’Allemagne entière est un scénario qui fut envisagé par le Général Robert Close (Commandant adjoint au Collège de défense de l’OTAN à Rome) en 1976 lorsqu’il devient commandant de la 16e Division blindée. Une thèse développée dans un livre qui lui a assuré une notoriété internationale : L’Europe sans défense ? Le Général Close dresse dans cet ouvrage le relevé détaillé de la situation alarmante de la défense militaire de l’Europe. L’ouvrage a créé un séisme au sein de l’OTAN. Et provoqué la colère des milieux de gauche : l’armée soviétique et ses alliés du Pacte de Varsovie pouvaient en effet se mettre en marche au matin du jeudi de l’Ascension, et de son long Week End de quatre jours, passer le rideau de fer par « surprise », traverser les plaines d’Allemagne et se retrouver au bord du Rhin deux ou trois jours plus tard sans que l’OTAN ne puisse réagir, la population et les militaires, tous pris au dépourvu, étant partis en vacances.
Cependant, si nous considérons la situation actuelle, de toute son histoire, depuis Pierre le Grand, la Russie n’a jamais été aussi éloignée du Rhin. Il y a en effet une sorte de « mouvement de balancier historique» récurrent entre la Russie et l’Allemagne, la Russie s’approchant tour à tour de l’Atlantique ou s’en éloignant.
En vérité, le scénario du Général Close ne fait plus sens en 2016…
La Russie n’avait jamais été aussi proche de l’Atlantique qu’en 1945 et jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989. En effet, à cette époque, l’armée soviétique se trouvait postée à peine à 500km de Strasbourg. Aujourd’hui, elle est 1000km plus loin en ce qui concerne l’enclave de Kaliningrad, et même à 2500km de la Cathédrale pour l’écrasante majorité de ses troupes et de son aviation, soit la nécessité pour les chars russes, en cas d’offensive, de devoir traverser la Biélorussie et la Pologne ou bien l’Ukraine, la Hongrie et la Tchéquie. Ce qui signifie 2000km à combattre contre les troupes locales entraînées aux standards OTAN avant d’affronter la première armée du continent, la Bundeswehr, le tout sous le feu de plus de 3000 avions de combats de l’OTAN, alors que la Russie en possède à peine 1500 appuyés par une vingtaine d’awacs et une vingtaine de ravitailleurs, un nombre totalement insuffisant pour contrôler l’espace aérien européen ; condition sine qua non pour gagner une guerre terrestre. Une traversée des plaines centrales européennes qui ne se ferait donc pas sans heurts, c’est le moins qu’on puisse dire, la Pologne – ainsi que la Tchéquie – étant deux pays vaillants et bien armés1.
Les blindés russes
Dans les années 70, les chars d’assaut soviétiques étaient au moins égaux à ceux des pays d’Europe de l’ouest. Ce n’est plus du tout le cas actuellement. L’essentiel du matériel russe est désormais vétuste. Leur dernier modèle, le T-14, montré lors du défilé en 2015 sur la Place Rouge, est unique en ce sens qu’il en est au stade du prototype – donc pas encore en production ni véritablement opérationnel avant plusieurs années – et qu’il est même tombé en panne la veille du défilé… Il sera alors seulement une sorte d’équivalent des chars occidentaux comme l’Abrams (USA), le Leclerc (France), le Léopard 2 (Allemagne) ou le Chieftain anglais qui, eux, sont des chars notamment capables de tirer tout en roulant, ce qui n’est pas le cas des chars russes conventionnels – les T-72, T-80 et T-90 – ceux-ci étant contraints de marquer l’arrêt pour pouvoir tirer et donc devenir une cible immobile! Sur le plan des blindés, la Russie n’est donc pas du tout de taille à rivaliser avec les forces de l’OTAN, d’autant qu’elle a commencé à retirer du service les T-72 et T-80 obsolètes pour ne garder que les T-90 au nombre incertain de 500 machines opérationnelles face aux plus de 1000 blindés occidentaux modernes en service sur le sol européen, en attendant l’hypothétique mise en service du T-14…
L’aviation russe
Au niveau aérien, le nouvel appareil russe, le Soukhoï PAK-FA T-50, lui aussi à l’état de prototype, sorte d’équivalent du F-22 américain – avion US en service depuis près de 10 ans – sera éventuellement en service dans les cinq prochaines années, selon les dires du chef du département de l’armée de l’air russe. Étant donné l’état actuel des finances, ils ne pourront en commander que… 55 à l’horizon 2020! Par comparaison, les USA possèdent 180 F-22. L’essentiel des forces aériennes russes reposent sur des MiG-29 Fulcrum et des Su-27 Flanker (et dérivés) auxquels s’ajoutent les vieux MiG-31, Su-24 et Su-25, des avions qui ont été mis en service dans les années ’70 et ‘80. Ce sont ces avions que nous avons pu voir intervenir en Syrie, et c’est ainsi que les russes nous ont montré leur considérable et persistant retard technologique. Pas une seule bombe guidée ne semble avoir été tirée… À l’exception de deux Kab-1500 guidées au laser (bombes de 1500kg) contre des objectifs durcis du Califat, larguées par un Su-34 Fullback. Les russes ont utilisé des bombes dites « lisses » pour atteindre les objectifs au sol et c’est normal : en dehors de quelques missiles air-sol à guidage électro-optique ils n’ont commencé à développer des bombes guidées au laser que pour les chasseurs de génération 4+ et 4++ dont ils ne possèdent qu’une centaine d’exemplaires actuellement. Quant aux armements guidés par GPS ceux-ci sont dépendant du système Glonass (GPS russe) particulièrement défaillant ce qui explique également l’absence des drones. De plus, ces avions russes des années ’70 et ’80 sont en acier et non en fibres de carbone comme les avions de l’OTAN de la même époque! Conséquence : ils sont particulièrement lourds à manœuvrer, consomment énormément de kérosène et sont facilement détectables par les systèmes anti-aériens.
Dans la conception et la vision russe de la guerre aérienne, le pilote du bombardier a un rôle secondaire. C’est un officier au sol (ou dans un avion de commandement aéroporté) qui, à partir d’un poste opérationnel, décide du tir, du largage des bombes. Le pilote ne prend pas d’initiatives personnelles contrairement aux pilotes de l’OTAN. Il s’agit d’un mode opératoire très ancien de l’armée russe qui na jamais changé. Dès lors, l’utilisation des nouvelles technologies de l’armement dit « intelligent » est plus compliquée de par leur philosophie militaire restée inerte et qui la rend, en quelque sorte, victime d’elle-même. C’est là une constante dans l’histoire de l’aviation russe.
Aviation russe versus aviation israélienne en 1967
Pourquoi, par exemple, les israéliens sont-ils parvenus en 1967 à éliminer toutes les forces aériennes arabes en 48 heures qui, numériquement, étaient pourtant largement supérieures ? Les israéliens avaient constatés durant les escarmouches qui ont précédé ce conflit de 1967, que les pilotes égyptiens et syriens, contre lesquels ils se battaient au niveau des lignes de frontières, avaient un comportement absurde à certains moments. En effet, ceux-ci quittaient le combat et cherchaient refuge en l’air dans des nuages inexistants au Moyen-Orient. La doctrine soviétique consistait à se cacher dès qu’il y avait un quelconque risque de perdre le combat puis ensuite revenir. Mais sans nuages, très rares dans cette région du monde, cette technique, bien évidemment, n’était d’aucune utilité… Il s’agissait là d’un manque total d’adaptabilité au terrain. C’est ainsi que les russes avaient formé les pilotes égyptiens et syriens, les israéliens ayant très vite compris ont ainsi décimé l’aviation arabe avec beaucoup de facilité.
Attaques à la roquette
Les premières attaques russes en Syrie furent des attaques à la roquette par avion (air – sol), ce que les français utilisaient fort bien en Algérie ou les américains durant la guerre du Vietnam, donc une technique totalement obsolète, pour ne pas dire anachronique…
ASMP
À l’époque du Général Close, en 1976, avec sa théorie de poussée de l’armée soviétique en 48 heures vers le Rhin, l’armée française n’avait pas de missiles tactiques nucléaires, pas d’ASMP – air-sol moyenne portée – portés par avion. La doctrine d’emploi en est très simple : si les forces russes menacent les frontières nationales d’un ou plusieurs pays (ce qui serait le cas dans le cadre d’une offensive terrestre russe en Europe centrale), deux avions (Mirage 2000N ou Rafale) équipés chacun d’un ASMP vitrifient la concentration de chars russe à titre d’ultime avertissement avant un tir anti-cités.
Les américains disposent eux des bombes nucléaires tactiques B61 dont une centaine sont prépositionnées en Europe (en Allemagne, Italie, Pays-Bas, Belgique et Turquie) certains escadrons aériens des pays hôtes sont qualifiés pour tirer cet armement mais sous contrôle étatsunien, et donc du seul feu vert de l’hôte de la Maison Blanche. Ces bombes sont en cours de modernisation pour pouvoir à l’instar de l’ASMP être tirée à moyenne distance de l’objectif.
C’est dire qu’en cas d’attaque massive sur l’Europe, si les USA hésitent, la France, elle, n’hésitera pas. Concernant cette « mesure d’avertissement » par ASMP, comme les bombes nucléaires B61 (stockées en partie dans le Limbourg belge à Kleine Brogel), ce sont des armes tactiques de théâtre d’opération, c’est-à-dire qu’elles servent sur le champ de bataille. Ce ne sont donc pas des armes qu’on largue avant que l’adversaire ne passe à l’attaque…
Force nucléaire
La principale et véritable modernisation militaire à laquelle Poutine a procédé concerne essentiellement son matériel nucléaire, car quand on n’entretient pas et ne modernise pas ce type de matériel, il devient totalement obsolète. Les principales dépenses de Poutine ont donc concerné les forces nucléaires terrestres. Terrestre ? En effet, il existe trois composantes dans la force stratégique nucléaire russe (contrairement à la française, qui en compte deux) :
Les missiles intercontinentaux qui sont essentiellement lancés à partir de trains, donc de sites mobiles (donc terrestre).
La force nucléaire océanique, et là les sous-marins russes représentent aujourd’hui entre 10 et 15% de ce qu’ils étaient au temps de l’URSS (période Brejnev). Nombre de sous-marins ont été mis hors service et rouillent actuellement dans les ports de l’Arctique. Il semble que la Russie possède actuellement six de ces SNLE opérationnels au lieu de 67 en 1984 (La France en possède 4 depuis 30 ans)
La force nucléaire aérienne, les bombardiers qui transportent des missiles nucléaires stratégiques sont aujourd’hui au nombre d’une quarantaine, ceux-ci devant faire toutes les missions sur l’ensemble de l’hémisphère nord. Insistons sur le fait qu’un avion faisant une mission de 8 ou 10 heures ne peut faire de mission le lendemain. D’après les estimations, il devrait rester 16 Tu-160 Blackjack en service opérationnel, ce qui signifie qu’il y a à disposition au maximum 8 avions pouvant réaliser des missions en même temps. Le reste des bombardiers stratégiques capables d’emporter l’armement nucléaire stratégique sont des Tu-95 Bear et des Tu-22 Backfire. A titre de comparaison les USA possèdent 70 B-52H (20 en réserve) Stratofortress, 96 B-1B Lancer et 20 B-2A Spirit soit 206 bombardiers stratégiques contre une quarantaine. En 2013, le taux de disponibilité des bombardiers américains était le suivant, 75 % pour le B-52, 58 % pour le B-1B et 46,8 % pour le B-2
L’OTAN pourrait-il se « déballonner » face à Poutine?
Ce qui a surtout permit à Hitler de gagner en 1939-1941, ce fut la rapidité de sa « Blitzkrieg » et la masse de troupes au sol. Mais il faut savoir cependant que lorsque la capitulation française eu lieu il ne restait pas pour plus de 48 heures de fuel disponible pour les chars allemands ! Les chars français étaient pourtant techniquement nettement supérieurs aux chars allemands, ce qui n’a pas empêché la victoire nazie. Du côté français et anglais, il y avait eu, avant l’attaque allemande, beaucoup d’arrogance et de certitudes aveugles.
Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les USA et l’UE ne sont nullement naïfs ou aveugles concernant Poutine. Ce dernier, de plus, n’a clairement pas les moyens militaires pour enfoncer l’OTAN, tout simplement à cause de notre supériorité technologique et opérationnelle.
Pour envahir la Pologne puis l’Allemagne, tout en se défendant sur leurs côtés contre les hongrois et les tchèques, les russes devraient déplacer et stationner en Biélorussie et à Kaliningrad les deux tiers de toutes leurs forces terrestres et aériennes (+ doubler leur flotte de la Baltique) ce qui prendrait au moins deux mois, se ferait sous la surveillance satellitaire, et serait une violation du traité de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) qui provoquerait une première série de sanctions et une mobilisation militaire sans précédant. Les troupes et tout le matériel militaire entre l’Atlantique et l’Oural sont figés géographiquement et il faut un accord multipartite pour le déplacer. Donc au terme du déplacement des troupes russes, les américains auront massés en Pologne et Allemagne au moins 500 chars Abrams ramené des states, sans parler des Chieftain anglais et Leclercq français prépositionnés en Allemagne. Voilà quelques exemples de la difficulté pour les russes de jouer aux « malins ».
Guerres courtes, problèmes de financements…
En nombre d’hommes – moins de 300.000 face aux 1.600.000 hommes de l’Union Européenne – la Russie est aussi très nettement en position d’infériorité par rapport aux troupes de l’OTAN, d’autant plus qu’ils sont assez mal équipés et peu entraînés.
Donc, le scénario de l’invasion russe en Europe semble assez peu réaliste et peu probable car Poutine ne pourra pas se permettre cette guerre pour des questions de distance, de moyens militaires, mais également financiers.
Poutine fait des guerres courtes car il ne peut se permettre des conflits qui demandent de l’endurance. Son pays s’appauvrit – cf. sanctions – et jusqu’à présent, il s’attaque surtout à des pays qui n’ont pas d’alliés entraînant une quelconque automaticité. La Turquie ne tombera probablement pas dans le piège du conflit arméno-azerbaïdjanais ; il y a suffisamment de gens intelligents et lucides au pouvoir en Turquie que pour avoir vu venir la manœuvre assez grossière, d’autant plus que le danger était nettement plus important pour la Turquie au moment où les troupes russes étaient massivement en Syrie. De plus, l’espace aérien syrien est considéré par les forces de l’OTAN comme le leur ; il y aurait eu là prétexte à maints accrochages avec la Russie, et pourtant, cela n’a pas eu lieu…
Il est probable que si la problématique des minorités russophones dans les pays baltes est exacerbée, Poutine pose la question suivante : « Européens, êtes-vous prêts à mourir pour ces pays ? », mais il ne devrait ni ne pourrait aller au-delà, et vraisemblablement pas s’aventurer dans une guerre aérienne et navale avec les forces de l’OTAN dans la mer baltique. La base russe de Kaliningrad est enclavée et n’a pas de contact frontalier avec le territoire russe. Quoiqu’ils puissent mettre en l’air comme avions, ils ne tiendront pas vingt minutes… Quoiqu’ils mettent dans la mer baltique, tout sera aussitôt coulé. Les forces en présence et en faveur de l’Occident sont beaucoup trop importantes. Le seul scénario que Poutine pourrait mettre en œuvre serait celui d’une provocation en prenant en otage un territoire balte, s’asseoir à la table de négociation en ayant la posture de ne pas vouloir lâcher ce territoire, comme il le fit en Géorgie qui est toujours en otage et en Ukraine où il ne recule pas non plus. Il s’agit d’une tactique particulière, celle des guerres jamais véritablement terminées ou « hybrides ». Des guerres qui ont permis l’illusion de la puissance retrouvée.
Quant aux 365 milliards de $ de réserves de la Russie, ce sont des infos transmises par le Kremlin (…), c’était il y a un an, et depuis lors, on n’a plus d’infos…
Menace de chantage nucléaire ? (cf. « Satan 2 »…)
L’OTAN n’envahira jamais un seul mètre carré de la Russie. Les Etats Majors occidentaux connaissent très bien Poutine, ainsi que son entourage. On sait comment il pense et réfléchit et là où il peut chercher à trouver des points faibles.
Centralisation du pouvoir poutinien et « purges »
Tout dictateur ou autocrate cherche à mettre en œuvre des purges pour rendre son exercice du pouvoir absolu, c’est-à-dire une centralisation totale dans les mains d’une personne. Poutine ne souhaite plus écouter ceux qui pourraient encore le rappeler à la réalité, surtout la sphère économique et financière du pays (Medvedev). L’aile économique et financière du pays, consciente de la fragilité de l’économie russe, risque d’être bientôt remerciée, une telle purge et la centralisation qui en découle permettront une prise de décision très rapide pour partir en guerre. Mais en écartant le « clan libéral », Poutine va scier la petite branche sur laquelle il est assis. Le régime s’écroulera en peu de temps. Les militaristes sont des incapables économiques qui vont complètement ruiner la Russie en un temps record.
Outre les sanctions financières qui ont été renouvelées, la Russie aura bientôt d’énormes recettes en moins : le gaz américain va remplacer l’approvisionnement russe d’ici 5 ans dans la péninsule ibérique, les poches de gaz israéliennes sont exploitées, la Turquie va pouvoir, elle aussi, se passer du gaz russe. Cela pourrait donc pousser Poutine à entrer en guerre. Mais, pour ce faire, et c’est le nerf de celle-ci, il faut de l’argent. Or, en cas de déclenchement d’une guerre, les sanctions économiques deviennent alors totales : les avoirs et les comptes en banque sur la planète sont bloqués. Poutine n’y a pas cru lorsqu’il s’en est pris à l’Ukraine car au moment de la guerre contre la Géorgie, rien ne s’était alors passé ; désormais il a vu ce que ça coûte. Ce sont des sanctions qui peuvent tout du moins l’amener à réfléchir, ou plutôt son entourage peut l’y pousser, et c’est précisément cet entourage dont il va sans doute se débarrasser pour ne plus entendre la vérité. Comme tout dictateur, il perd le sens des réalités mais en même temps il faut tenir compte du fait que Poutine aime beaucoup l’argent. C’est là le propre de nos sociétés modernes interconnectées, il y a tellement à perdre à ne plus « jouer le jeu » qu’on est obligé, lorsque qu’on a des envies de guerre, d’être plus subtil qu’Hitler. Ce dernier était dans une certaine mystique qu’on ne retrouve pas chez Poutine. L’Allemagne nazie a pu tenir longtemps essentiellement grâce à la complicité des banques suisses qui changeaient en dollars et francs suisses l’or volé et qui aidaient donc à financer l’effort de guerre allemand. Sans les banques suisses l’Allemagne nazie se serait écroulée dès 1942-1943. Poutine, lui, a de grandes ressources en matières premières, certes, mais il n’a pas d’argent !
Alliance avec Poutine – Chine ?
De plus, qui pourrait être l’allié de Poutine ? La Chine ? Celle-ci lorgne sur la Sibérie qu’elle estime être en partie sienne. Peut-on sincèrement croire aux alliances entre des grandes puissances dictatoriales (cf. pacte germano-soviétique) ?
Scénario envisageable pour les décennies à venir
Ce qui reste le plus probable, c’est un certain risque d’un aventurisme russe vers les pays baltes, celui à l’est de l’Ukraine risquant de stagner et de durer encore des années jusqu’à ce que cette partie soit finalement rattachée à la Russie même si cela s’avère être en contradiction totale avec les traités internationaux… Cela dit, deux lignes rouges ne devront certainement pas être franchies, tout du moins tant que Poutine ne sera pas décédé (période de 20 ans environ), c’est l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN et l’adhésion de l’Ukraine dans l’Union Européenne. Pour cela, il faudra attendre l’effondrement de la Russie que Poutine est, de toute façon, en train de ruiner. À terme, et alors seulement, dans une échelle de 20 à 30 ans, on pourra songer à intégrer ensuite la Russie dans l’Europe.
Les problèmes que connaît la Russie avec l’Islam sont similaires à ceux que nous avons en Europe de l’ouest – dynamique démographique, prosélytisme, attentats etc. – et sont peut-être même à un stade bien plus avancé. Il n’est pas improbable que les musulmans finissent par prendre leur indépendance définitive et que des épurations ethniques aient lieu dans les parties à dominante russe du pays, phénomène que nous connaîtrons probablement aussi en Europe de l’ouest.
Rigidité de l’armée russe
Il y a une rigidité intellectuelle de la part des russes qui ne leur permet pas de s’adapter facilement et rapidement. En soi, les russes sont capables d’équiper leurs avions avec des bombes guidées, mais ne le font pas… Le kit de conversion n’est pas très compliqué à installer, mais pourtant de telles bombes, en Géorgie, en Ukraine ou en Syrie, on ne les a pas vues… Ils en ont peut-être, qui sait ? Car, c’est ce qu’il y a de plus efficace et de moins coûteux pour atteindre une cible, car il faut utiliser une seule bombe contrairement aux bombes lisses qu’on largue en grand nombre et qui toucheront, éventuellement, l’objectif.
Ce genre de lacune s’observe dans l’ensemble de l’appareil militaire russe car il y a une difficulté manifeste à évoluer.
Systèmes anti-aériens S300 et S400
Là où les russes s’avèrent redoutables, c’est dans les systèmes anti-aériens S300 et S400 (le chiffre correspondant au nombre de kilomètres de portée des missiles), ils ont là une grande avance dans les systèmes de suivi et de radar. Le fait d’en avoir implanté en Syrie signifie mettre sérieusement en danger la sécurité de l’aviation israélienne, ce qui constitue un danger très significatif pour les années à venir dans la région étant donné le grand croissant chiite qui se constitue à partir de l’Iran. Il ne faudra guère longtemps avant que ce dernier ne soit bientôt pourvu, lui aussi, de ces systèmes S300 et S400 russes. De plus, les mollahs iraniens n’arrêteront pas leur programme d’armement nucléaire car ils poursuivent un vieux projet de domination du Moyen-Orient et d’établissement de l’Iran en tant que grande puissance planétaire, genre de projet auquel on ne renonce pas facilement… Néanmoins, les F-22 américains sont désormais équipés de bombes guidées de 125kg opérationnelles qui peuvent complètement anéantir ces systèmes anti-aériens russes.
Intervention en Syrie
Une des raisons de l’intervention en Syrie est bien évidemment la conservation de la base navale de Tartouse car, depuis Pierre Le Grand, la Russie souhaite avoir un accès aux mers chaudes. Néanmoins, sans mépriser l’adversaire ni le sous-estimer, l’espérance de vie d’un groupe aéronaval russe en mer méditerranée ne vaut vraiment pas tripette face à la sixième flotte américaine.
Le coup de maître de Poutine, c’est de s’être implanté au Moyen-Orient, et plus spécifiquement en Syrie, à portée et au milieu des champs pétrolifères du Moyen-Orient afin de mettre la main dessus et de poursuivre le chantage qu’il avait mis en place – et qui a échoué – avec son gaz vis-à-vis de l’Europe et aussi de renforcer son alliance avec l’Iran.
Impossibilité d’une attaque russe massive sur l’Europe
Un scénario d’agression russe de très grande ampleur doit prendre en compte un nombre considérable de paramètres. Une telle attaque ne pourrait en vérité que se terminer sous forme d’une calamiteuse débâcle avant la fin des 48 premières heures…
L’agression serait obligatoirement le fait de troupes régulières russes aériennes, terrestre et navales. Le premier soldat russe qui franchit la frontière polonaise (troupes obligatoirement massées dans l’enclave de Kaliningrad et en Biélorussie, ce qui aura automatiquement déclenché un pré positionnement de l’Otan) déclenchera la mise en œuvre immédiate de l’article 5 du traité Nato et l’article 51 de la charte des Nations Unies. Poutine devra donc avoir positionné ses troupes tout le long de ses frontières, y-compris celles des alliés de l’Otan (Ukraine, Azerbaïdjan, Géorgie etc.) et évidemment de la Turquie. Il n’a objectivement ni l’aviation suffisante ni les forces terrestres suffisantes pour cela. L’aviation américaine et canadienne sont peut être absentes du sol européen, mais les plans permettent de déployer plus de 1000 avions en 48h venant d’outre-Atlantique. Il ne faut pas oublier non plus que les pays de l’Union européenne sont sous parapluie nucléaire de la France et que les premiers chars russes qui atteindront la frontière allemande seront vitrifiés par un tir d’ASMP (Air-Sol moyenne portée). Ce sera l’ultime avertissement avant un tir balistique anticité (= nucléaire), et ça ce n’est pas de la politique fiction… L’automaticité de l’article 5 de l’OTAN est sans ambiguité.
L’aviation russe est incapable de prendre le contrôle aérien du ciel européen: pas assez d’Awacs, pas assez de ravitailleurs, et surtout un système GPS (Glonass) totalement défaillant (ce qui explique l’absence d’une force de drones et de missiles guidés). Mais surtout il faudrait aux russes le double de chasseurs pour contrôler l’immense front d’une telle agression. Faire comme si la bataille allait se dérouler sur un front limité à la Pologne et en considérant qu’au sud, les Tchèques, les Hongrois (les Ukrainiens avides de revanche) et les Turcs iraient boire le thé pendant ce temps-là a quelque chose d’un peu surréaliste ; sachant que dès le premier char passant la frontière, TOUTES les forces OTAN passent AUTOMATIQUEMENT (sans décision politique) sous Commandement unifié (QG du Saceur à Casteau en Belgique) avec les conséquences militaires que cela implique…
Les chiffres de Philippe Fabry ne sont pas bons: rien que pour les 28 pays de l’Union européenne il y a +3520 avions de combat auxquels s’ajoutent le transport, les hélicos etc.Les russes ne disposent que de +1300 avions de combat (sur le papier…). Si Poutine passe la frontière russe, il va prendre la plus belle raclée militaire de tous les temps… Le seul scénario plausible (et pris en compte à l’OTAN) est celui des pays Baltes car là, Poutine peut essayer de refaire le scénario Crimée/Ukraine avec des troupes irrégulières (russes mais sans insignes).
Concernant la menace nucléaire, chaque système de lancement de missiles balistique nucléaire russe est surveillé par satellite 24/24 et détecte les mises à feu. Les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), qui ne sont plus très nombreux, sont pistés par des SNA (sous-marins nucléaire d’attaque) dès la sortie de leur base. L’ouverture des écoutilles des missiles déclenche un torpillage immédiat, les américains ont tellement de SNA à la mer et disposent de balises sonores dans toutes les passes sous-marines empruntées qu’on n’a quasiment jamais perdu la trace d’un SNLE russe…
Mais il faut savoir qu’un tel déploiement de forces à prépositionner, que l’on est averti des semaines bien à l’avance. Il ne faut pas oublier REFORGER (Return Force in Germany), une capacité à ramener en Europe des troupes et du matériel US en des temps très courts, sans parler de la facilité de ramener une masse importante de chasseurs-bombardiers.
Dans les académies militaires, des brevetés d’Etat Major (Officiers BEM) passent leur temps sur toute une série de scénario. A Tampa en Floride il y a un Etat-major interarmées qui a informatisé tous les différents scénarios, sous-scénarios etc. Ce sont des logiciels d’aide à la prise de décision qui sont utilisés. Quand la Guerre du Golfe a éclaté, ils ont sortis les plans et suivi ce qui était prévu: telle division à tel endroit avec tel armement etc.
On peut donc raisonnablement affirmer que le décalage technologique OTAN versus Russie est encore bien plus grand que celui qu’il y avait entre les forces françaises et allemandes en 1939.
Aldo-Michel Mungo – formation de politologue à l’Université Libre de Bruxelles, Auditeur à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN – ancienne École de guerre) à Paris (1989 – 1990), expert en géostratégie. Fondateur et Directeur de la rédaction du magazine militaire Carnets de Vol (1984 – 2011) ; Fondateur et Directeur de la rédaction des magazines Armées & Défense et Défense 2001 (1989 – 2004) ; actuellement Président du parti libéral « La Droite » en Belgique.
1 Pologne : 250.000 militaires de métier, 500 chars T-72, 120 Léopard 2, 48 avions F-16 Bloc 52 (les plus modernes) et 40 MiG-29. Tchéquie : plus faibles mais un tout petit pays (à peine la Belgique) 25.000 hommes, une centaine de chars et une quinzaine de chasseurs (des Gripen de dernière génération, excellents pour la défense).