16 avril 2022
Le clergé français, depuis Vatican II et Mai 68, a toujours été en pointe dans la lutte contre la droite nationale. On se souvient qu’en 2002, une bonne partie des évêques, dont l’archevêque de Paris, Mgr Lustiger, avaient donné des consignes de vote contre Jean-Marie Le Pen. Vingt ans plus tard, les églises sont de plus en plus vides, les pratiquants de plus en plus vieux… mais les prélats ne sont pas devenus muets.
Certains analystes du vote catholique, comme Yann Raison du Cleuziou, n’hésitent pas à parler de radicalisation des catholiques pratiquants, qui ont pour certains voté pour Zemmour (7 % des non-pratiquants ont voté Zemmour, ils sont 10 % parmi les pratiquants occasionnels et 16 % parmi les réguliers). On ne peut songer sans une certaine crainte aux chantiers de déradicalisation qui devront être entrepris pour éviter les attentats catholiques dans les années qui viennent… De son côté, la Conférence des évêques de France, probablement gênée aux entournures, n’a pas donné de consignes officielles pour le second tour. Cela n’empêche pas, évidemment, les prises de position individuelles.
Voyez Mgr Ravel, par exemple. Ancien évêque aux armées, archevêque de Strasbourg depuis 2017, il a affirmé, vendredi, que « le citoyen Ravel que je suis, lui, votera Emmanuel Macron, bien entendu». Bien entendu, c’est-à-dire : cela tombe sous le sens. L’évêque a toutefois tenu à préciser sa position, invoquant notamment l’apaisement et l’unité nationale. Qui mieux que Macron, évidemment, pour rassembler et apaiser, comme il n’a cessé de le faire pendant cinq ans ? Et qui mieux qu’un évêque pour se prononcer sur la situation politique ? Cela, aussi, tombe peut-être sous le sens pour Mgr Ravel.
Dans les années 80, lors d’un discours resté célèbre, Jean-Marie Le Pen avait ironisé en ces termes : « À gauche du Parti radical, du Grand Orient et de la Ligue des droits de l’homme, je vois quelques évêques […] Alors eux, c’est le tir de barrage. […] C’est, à ma connaissance, la première fois qu’ils montent au filet sur le plan politique. On ne les a pas entendus parler du goulag… » Et il concluait en ces termes : « Et si vous vous mêliez de ce qui vous regarde ? » On est bien obligé de constater, malgré les outrances tribuniciennes du fondateur du FN, que les choses n’ont pas beaucoup changé. On n’a pas trop entendu monseigneur Ravel sur l’avortement à 14 semaines, la PMA pour toutes ni sur aucun sujet qui s’oppose frontalement au magistère de l’Église, d’ailleurs. On est surpris (quoique pas vraiment) de cette soudaine passion pour la chose publique, dans un domaine qui n’a pas grand-chose à voir avec le salut des âmes. À moins que le vote Le Pen ne soit considéré comme un péché mortel ? Écoutons encore monseigneur Ravel : « Il y a très certainement des centaines de milliers, peut-être des millions de chrétiens qui vont voter pour Marine Le Pen. Je les invite simplement à réfléchir en conscience. »
Le mot « conscience », dans le vocabulaire catholique, n’est pas anodin. Réfléchir en conscience, c’est utiliser un outil puissant, éduqué par l’usage et éclairé par la grâce, pour choisir le bien et dédaigner le mal. En est-on vraiment là ? Que se passera t-il, au jour du Jugement, si un chrétien glisse un bulletin Le Pen dans l’urne ? Vaudrait-il mieux « que cet homme-là ne fût pas né », comme le dit le Christ à propos de Judas ?
En tant que fidèle de base, pauvre pécheur et sans armes théologiques de pointe à dégainer, je me demande tout simplement si, par hasard, monseigneur Ravel ne se moquerait pas un peu du monde en utilisant la grandeur de sa charge pour donner des conseils. Est-ce cela, l’Église ? Et un évêque qui se considère comme citoyen, est-ce un progrès ou est-ce le dernier avatar du gallicanisme rebelle, qui fait mine de ne rien comprendre à la séparation du spirituel et du temporel ?
En dépit des apparences, on n’est pas si loin de l’héritage de la Révolution : il existe toujours de petites communautés catholiques réactionnaires, moquées et vilipendées, quand elles ne sont pas simplement persécutées… et il existe toujours un clergé jureur, qui espère conserver sa clientèle avec des accommodements raisonnables.
Tout passera, nous le savons bien. Clercs et fidèles s’endormiront dans la paix du Seigneur. Qui, alors, ira prier dans ces églises sans Dieu, sans prêtres et sans fidèles, qui ont remplacé la charité par la tolérance et à qui Jésus avait demandé d’être un signe de contradiction ? Où est la radicalité brûlante des enseignements de l’Évangile dans cette soupe tiède tellement soumise à l’esprit du monde ?
Dimanche 24 avril, deuxième tour des élections, c’est aussi le dimanche in Albis, ou dimanche de Quasimodo dans le calendrier catholique. C’est le dimanche de l’esprit d’enfance (Quasi modo genitis infantes, comme des enfants nouveau-nés), de son besoin d’absolu et de son dégoût bernanosien devant les mensonges et les lâchetés des prétendues grandes personnes. Puissions-nous garder cela en tête au moment d’entrer dans l’isoloir.
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