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Mathieu Bock-Côté: «Sarkozy, Le Pen et l’arsenalisation de la justice»

Mathieu Bock-Côté: «Sarkozy, Le Pen et l’arsenalisation de la justice»

Par Mathieu Bock-Côté

Le Figaro

Dans leurs procès respectifs, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy sont tous deux traités non pas comme des chefs politiques, mais comme des chefs de gangs. Comme si la caste juridique avait entamé une croisade contre le politique.

Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy ne s’attendaient probablement pas à voir leurs destins liés. La première saura lundi si elle subira une forme de décapitation juridique, avec une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, l’empêchant de participer à la prochaine élection présidentielle. Le second a vu cette semaine le PNF chercher à l’anéantir une fois pour toutes, au terme d’une procédure relevant d’un acharnement judiciaire démentiel. Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy sont tous deux traités non pas comme des chefs politiques, mais comme des chefs de gangs, ou si on veut, comme des chefs mafieux, qu’il faudrait exécuter de manière exemplaire pour purifier les mœurs de la République. Dans les deux cas, c’est la transparence qui est convoquée, et l’intégrité éthique de la classe politique.

Les grands mots et les effets de toge cachent mal toutefois une rage haineuse de procureurs croyant terrasser la bête, qu’ils nomment corruption, alors qu’ils sont en fait en croisade tout simplement contre le politique. Car derrière cela, c’est tout simplement une prise de pouvoir qui se confirme. Un bon journaliste aujourd’hui engagé en politique avait parlé dès la fin des années 1990 du coup d’État des juges. On ne doit pas en sous-estimer l’ampleur : c’est une caste qui s’affirme. Cette caste se fait de grandes illusions sur elle-même, en se croyant désintéressée, comme si les magistrats n’étaient pas des humains comme les autres, mais d’une catégorie à part, investis d’une fonction sacrée, celle de créer une société délivrée du mal, et plus exactement, des passions humaines.

La caste juridique est convaincue des vertus d’une vision strictement procédurale de la politique, et traite ceux qui s’y engagent pleinement comme les résidus d’une humanité antérieure. On le voit quand Nicolas Sarkozy est accusé d’avoir cédé à une ambition démesurée, à une quête de pouvoir dévorante. Ce reproche est lunaire. Ces juges sont manifestement étrangers à l’histoire du politique, qui est, pour le meilleur et pour le pire, non pas le domaine des petits égaux mais le théâtre des grands ego. Il faut avoir une singulière estime de soi pour se lancer dans le monde violent de la politique – on veut normalement y transformer le monde et transfigurer son existence en destin. L’acharnement juridique à l’endroit de Nicolas Sarkozy est d’abord l’expression d’une haine contre un homme qui croyait et croit encore au primat du politique.

L’hubris des procureurs se révèle ici dans la volonté de rayer de la carte ceux qu’ils ont dans leur mire
Le désir d’encadrement et finalement d’asservissement du politique s’est étendu au contrôle juridique du discours autorisé, qui frappe tous ceux qui, tôt ou tard, s’inscriront en faux contre l’idéologie dominante – aujourd’hui, l’idéologie diversitaire, vivre-ensembliste. Qui croit un instant que l’acharnement judiciaire contre Marine Le Pen soit étranger au fait qu’elle soit étiquetée par le régime et la presse comme étant « d’extrême droite » ? Qui croit, par ailleurs, que la condamnation récente d’Éric Zemmour pour ses propos concernant le raid de Crépol et le racisme anti-Blancs qui en est indissociable n’est pas d’abord une condamnation idéologique ? Voyons-y une forme nouvelle de despotisme qui se croit « éclairé ».

L’État de droit condamne, mais qui, encore une fois, doutera que ce dernier ne soit finalement devenu qu’une forme d’arbitraire comme une autre ? Ce n’est pas sans raison que les Américains dénoncent aujourd’hui la weaponization of justice – on traduira après d’autres en parlant de l’arsenalisation de la justice. Nul ne dira, évidemment, qu’être en politique donne le droit de se dérober aux exigences de la loi. Mais l’hubris des procureurs se révèle ici dans la volonté de rayer de la carte ceux qu’ils ont dans leur mire. Il s’agit de parachever cette prise de pouvoir en détruisant un ancien président de la République, que certains, ne l’oublions pas, voyaient encore récemment comme un possible recours dans ces temps troublés, et la principale figure de l’opposition nationale, plébiscitée dans son rôle par les Français.

Certains répondront, avec raison, que ce sont les politiques qui ont voté à la chaîne les lois par lesquelles on les pend aujourd’hui. C’est vrai. Le fondamentalisme éthique qui s’est imposé à partir des années 1990 était fondamentalement impolitique. La politique est incompatible avec le culte de la transparence intégrale, qui bascule lui-même dans l’autoritarisme. Faut-il toutefois rappeler que les magistrats ont interprété de manière rétroactive l’immense pouvoir qui leur était confié, en interprétant avec les lois d’aujourd’hui les mœurs politiques d’hier – et la part de ces mœurs qui survivait au temps présent. Le résultat est désastreux : la justice arsenalisée a transformé la politique en champ de mines. Au terme du nettoyage éthique, il ne reste plus rien, sinon un néant et le dégoût du peuple pour la chose publique.