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Mais quelle France Bayrou incarnera-t-il ?

par Eric Verhaeghe, le Courrier des stratèges

Mais quelle France Bayrou incarnera-t-il ? C’est un peu le tabou : peu de gens se demandent ce que le MODEM représente vraiment, au-delà des clichés simplistes distillés par la propagande de la presse subventionnée. Quand on y regarde de plus près, on comprend que la France de Bayrou, celle qui va sauver la start-up nation, est en réalité un mélange subtil entre la France de la rente pépère et celle du salaire de fonctionnaire, heureuse d’elle-même et de ses certitudes rances. Ce qu’on pourrait appeler la putréfaction du macronisme.

Tiens ! après plus de trente ans d’attente (Bayrou accéda aux responsabilités ministérielles… en 1993 !), le Béarnais arrive à Matignon, en peu au forceps. Mais, en trente ans, de quelle France a-t-il chargé ses épaules ? Et quelle France incarne-t-il ?

Beaucoup imaginent, forts de leur héritage d’un siècle passé que François Bayrou est un homme moderne, peut-être trop longtemps mis sous le boisseau pour éviter de bousculer les usages d’un monde qu’il veut réformer. La réalité est un peu plus cruelle : au-delà de la propagande et des narratifs, Bayrou incarne une France rance, moisie, celle de la petite bourgeoisie rentière qui en veut au vingtième-et-unième siècle d’avoir changé les règles d’un monde qui auraient dû la faire gagner, et qui la fait perdre aujourd’hui. Et vous n’allez pas tarder à vous en rendre compte.

Le bon temps où François Bayrou roucoulait avec la principale responsable syndicale de l’Education Nationale, Monique Vuaillat, est bel et bien fini. Entretemps, on a inventé Internet, l’euro, et quelques autres joyeusetés comme les tests PISA et le COVID, qui changent fameusement la donne. Autant d’occasions ratées, pour le lion du Béarn, de renouveler son genre.

Et c’est bien cette particularité française qui agace. En 1940, la France remettait son destin entre les mains d’un maréchal Pétain qui avait vingt ans de retard, au moins. Aujourd’hui, c’est trente ans de retard que Bayrou accumule au compteur. Dans un monde qui a tellement plus changé qu’entre 1918 et 1940…

La France des notaires et des enseignants
Et c’est bien cette France dépassée : celle de la protection, de la sécurité, de la frilosité, de la routine, que Bayrou incarne, face à une France soumise à la concurrence internationale, interrogée par les progrès technologiques, et alourdie par les lourdeurs bureaucratiques et sociales. Il faudrait oser, et tout nous pousse à craindre et à nous enfoncer dans les tranchées de la réglementation, du protectionnisme, et du mépris pour un progrès technologique quotidien.

La grande imposture consiste à faire croire que cet homme de la France du vingtième siècle parviendra à nous faire entrer dans le vingt-et-unième, alors que chaque jour les adversaires de cette bascule remportent des victoires dans une opinion travaillée au corps par les néo-cons mondialistes de type Bolloré qui rêvent d’un retour au monde ancien. Nous savons tous que le refus d’obstacle est éliminatoire dans le monde qui vient. Et c’est pourtant l’homme du refus d’obstacle qui accède au Gouvernement de la France, comme si Macron, pétri de haine contre son pays, avait décidé de le faire plonger.

On retiendra de l’histoire la relation privilégiée entre Bayrou et les syndicats enseignants, qui fait de lui une sorte de nostalgique de la défunte école de la Troisième République, celle où les hussards noirs garantissaient la survie d’un régime minoritaire dans les esprits. Et on retiendra aussi de lui la parfaite incrémentation dans un système où « l’affectio societatis », la combinazione, la bonne entente avec les autres, au besoin matinée de quelques arrangements de derrière les fagots, tient lieu de solution politique.

Sans oublier les personnes sur qui Bayrou s’appuie. Par exemple le notaire du Béarn Jean-Paul Mattéi, qui propose d’augmenter les impôts pour les entrepreneurs, et de rogner les avantages fiscaux pour les détenteurs d’un compte d’assurance-vie.

Dans la pratique, sous des dehors rassurants, Bayrou est à la tête d’un parti qui a une revanche à prendre sur la France d’aujourd’hui et de demain, au nom de la France d’hier. Mais de quel projet est-il le porteur ou le véhicule ? D’un projet sans colonne vertébrale, sans boussole, où le seul guide est l’audience et la promesse de devenir Président…

En dehors de ces espérances, fondées sur une préservation des avantages acquis (ceux des notaires qui veulent taxer le patrimoine, ceux des enseignants qui veulent nous convaincre qu’ils travaillent dur pour sauver la République, sans nous autoriser à vérifier l’exactitude de leurs dires), quel est l’horizon dégagé par Bayrou ?

Taxer les « riches », on l’a compris. Mais en dehors de cela ?

On attend encore la réponse.

Bref, un homme de gauche dans ce qu’il y a de plus pur, maquillé sous des dehors centristes. Triste destin du macronisme, dont la solution finale consiste à récupérer l’argent des classes moyennes pour faire vivre son électorat. Tremblez, épargnants, Bayrou est là !