Description
Un simplet de village se prend pour le président de la République auquel, pour son malheur, il ressemble physiquement. Il se rend ridicule à force de le défendre, puis odieux quand la popularité de son modèle tourne à l’hostilité générale.
Voilà donc une histoire en apparence facile à résumer, mais le résumé ne rend pas compte du tableau de mœurs que constitue ce roman ricanant situé dans le sud de la France pendant les années d’occupation sanitaire. Port du masque, délires administratifs, délations, lâchetés, à Campagnol tout prend un relief de fable morale si l’on consent à jeter, sur les années Macron, le regard de la France éternelle. L’auteur nous y invite. Dans ce livre à la fois tragique et optimiste, on tutoie la légende de Rennes-le-Château, on effleure le thème du Grand Monarque, on évoque Louis XVII, le tout en compagnie d’une poignée de caractères connus des habitués de la chronique depuis plusieurs années, l’ancien moine devenu guérisseur, Gustave le bouquiniste, Léon le devin-médium qui calcule les racines carrées en trois secondes, Vladimir le jeune Ukrainien arrivé au village à six ans avec sa mère, Christiane la psychiatre chassée de l’hôpital pour refus de vaccin, Maud la tenancière de boîte de nuit, Hervé, Francesca, le baron de Rainart, son neveu polytechnicien ivrogne, et l’inévitable abonné au Monde qui est tellement du côté du manche qu’il est assis dessus.
Christian Combaz, 70 ans, est l’auteur d’une quarantaine de livres, romans et essais, souvent traduits, parfois primés, dont Gens de Campagnol paru en 2012 chez Flammarion, premier tome de ce diptyque villageois.
Officier des Arts et Lettres, il a été longtemps chroniqueur au Figaro, à Valeurs Actuelles, à l’Express.
Site de Campagnol : https://www.youtube.com/channel/UCBIyR71Yvq7rWHSF2p-uH4Q
Chapitre 1
Il y a dix ans, le village de Campagnol craignait déjà les rigueurs de l’Histoire, mais personne ne se doutait de la tournure planétaire qu’elles allaient prendre.
Personne sauf un homme de 59 ans installé tardivement chez nous et prénommé Léon. Ce nouvel arrivant avait reçu en héritage une bâtisse grise à l’écart des dernières maisons, et les gens le disaient voyant. Personne au début n’y avait prêté attention, ce n’était qu’une bizarrerie de plus chez ce monsieur maigre, hirsute, au grand crâne anguleux, qui circulait en sandales dès le mois d’avril et qui jouait de l’orgue électrique à six heures du matin.
À peine installé dans cette maison, il refit les plâtres avec l’aide d’un maçon venu de Paris et se lia d’amitié avec un vieil anarchiste nommé Gustavo Ciampi qui vendait des livres d’occasion à cent mètres de chez moi.
Gustave nous a aussitôt présentés l’un à l’autre et m’a instruit de certains détails. Léon Nurnberg vivait à la fois de ses rentes et d’une activité de “conseil en investissement” grâce à une aptitude foudroyante à manier les chiffres. Elle exigeait le concours d’une ligne internet rapide dont sa maison n’était pas encore pourvue.
Dans le Sud-Ouest français, vers 2018, la Fibre remplaçait, depuis peu, sur l’échelle du prestige social, l’abonnement aux télévisions à péage. Gustave lui prêta donc sa propre ligne en échange de conseils de placement dont il n’avait rien à faire puisqu’il allait partout répétant :
– De toute façon moi j’ai pas un rond.
Notre bouquiniste ressemblait parfaitement à ce qu’il était, un rouspéteur à grande moustache qui dardait sur ce qui l’entourait un regard broussailleux, mais précis. Il aimait les grands mystères du passé, les Templiers, les cathares et il fut donc séduit par la particularité qu’on attribuait à Léon, celle de voir l’avenir, puisqu’elle s’appliquait aussi au passé.
– Enfin, disait modestement l’intéressé, dans les grandes lignes.
De là provenait sa vocation de stratège financier.
Gustave, au début, répétait volontiers :
– S’il s’installe ici, c’est très bon pour nous. Ça veut dire que nous n’aurons pas à subir les tumultes qu’il nous annonce.
Par ailleurs, le côté devin de Léon Nurnberg n’avait pas été inventé par opportunisme, l’intéressé le tenait même pour une infirmité.
Elle remontait à son enfance. Entre les lignes de son récit, on lisait que ce sixième sens l’effrayait. Dès qu’on l’invitait à en parler, il s’ébrouait, cherchait son chien, s’adressait au mien qui était aveugle et le photographiait avec son téléphone en reculant vers la porte.
Il prenait d’ailleurs tout en photo, les moindres recoins du village, des détails inutiles, un bidon rouillé, une fontaine tarie, une ferrure en croix sur une façade, habitude qu’il expliquait en disant :
– J’en ai besoin pour me rendre compte.
Sans doute s’écartait-il de l’objet de son examen pour mieux le voir, comme un peintre qui plisse les yeux devant son modèle. Du moins c’est ce que nous pensions. La véritable explication vint plus tard et relevait encore du paranormal.
En attendant de la connaître, imitons-le. Promenons notre grand-angle à travers le village, à l’exemple de cette voiture à périscope qui sillonne les rues tous les quatre ans afin de nourrir un atlas mondial américain. L’opération sera d’ailleurs assez rapide, il n’y a que quatre rues principales à Campagnol, et tout un réseau de ruelles qui portent des noms pittoresques comme l’estouffade, le bouffadou, le bombe-cul, la ramasse.
Nous sommes au cœur du sud-ouest de la France, dans un pays de vallons et de bocages voué pour l’essentiel à l’élevage des brebis, et qui n’a pas changé depuis quarante ans. À ceux qui me demandent “comment le savez-vous ?” je réponds que c’est le temps que j’y ai passé, entre voyages et conférences.
Sous une longue falaise qui forme une crique adossée au vent du Nord, une centaine de maisons est blottie là depuis le XIIe siècle, le long d’une avenue en S. Un chemin de croix, un cimetière en terrasse, une église reconstruite sous Louis XIV, une école au fronton gravé garçons – filles par la France de Jules Ferry, une épicerie associative, un garage agricole et un café-loto-journaux sont le décor quotidien de cette centaine d’habitants permanents, à qui il faut ajouter les fins-de-semainistes, les estivants et les nombreux habitants des hameaux lointains, la commune étant fort étendue.
Devant la mairie, sous les platanes, à deux pas du café, coule une fontaine ronde et sonore datant de Napoléon. Et devant la fontaine se trouve ma maison, dotée d’une courte terrasse et de deux tables de jardin. Cette position centrale, le voisinage de la fontaine et celui de l’église permettent de garder un œil à toute heure sur l’activité du village, tâche aisée puisqu’elle se résume à presque rien.