Je souhaite un bon retour de vacances à tous les lecteurs qui veulent bien nous suivre.
Au boulot, l’année qui vient va être intéressante, et la suivante, et la suivante….
Cet été, pendant que j’étais censé me reposer sous mes platanes, un cigare à la bouche, un verre de Châteauneuf du Pape blanc à portée de main, le monde dans lequel j’évolue depuis ma naissance, celui du « roi dollar » s’est écroulé d’un seul coup.Ce qui a quelque peu perturbé mes rêveries…
Ce qui s’est passé le mois dernier en Afghanistan est en effet tout simplement stupéfiant, et la seule comparaison qui me vienne à l’esprit est celle de l’écroulement militaire de la France en juin 1940, qui de l’avis général disposait de la « meilleure armée du monde ». Et la soi-disant meilleure armée du monde fut balayée en quelques jours.
A mon avis, ce qui vient de se passer en Afghanistan est du même ordre que ce qui s’est produit en France en 1940 et je vais consacrer cette chronique de rentrée aux conséquences potentielles de ce qu’il faut bien appeler un désastre où quelques dizaines de milliers de va-nu-pieds ont mis en échec les forces militaires du pays dont le budget des armées représente 40 % de toutes les dépenses de défense au monde, soit plus que la somme des budgets militaires des 10 pays suivants les USA.
Je ne vais pas revenir sur les détails du processus qui ont amené l’État Afghan à s’effondrer en quelques heures mais je vais juste citer une anecdote qui donne une idée du chaos organisationnel qui régnait en Afghanistan, que je tiens d’une source que je crois sûre. Empêcher l’avance des Talibans vers Kaboul était chose facile si l’on contrôlait l’espace aérien, ce qu’aurait dû faire l’armée de l’air Afghane, fort bien équipée par les USA.
Hélas, dans les semaines qui précédaient leur départ, les sociétés américaines qui avaient conçu les logiciels qui permettait aux appareils de fonctionner sont venus les retirer puisqu’ils étaient « top-secrets », ce qui a empêché et les avions et les hélicoptères et les drones de voler pour détruire les Talibans au sol pendant leur avance. Et ni le commandement militaire ni le système politique américain ne furent mis au courant de ce léger détail…
Venons-en aux effets de ce désastre.
L’Afghanistan, sur une carte, apparaît comme une espèce de territoire ovale au-dessus de l’Inde. Au Nord de cette ovale, tous les “Stans” », Ouzbékistan, Turkménistan, Kazakhstan. Kirghizistan etc., et encore plus au Nord de tous ces pays Turcophones, l’immense steppe russe. A l’ouest, on trouve l’Iran et au sud le Pakistan, pays de tous les dangers puisque sans les services secrets Pakistanais, les Talibans ne l’auraient jamais emporté. Et le Pakistan a l’arme nucléaire.
Pour « contrôler » tout ce joli monde, les USA avaient installé une immense base aérienne à Bagram à 70 km au Nord de Kaboul, qui leur permettait de surveiller toutes les routes de la soie terrestres passant au Nord de l’Himalaya et allant soit vers le Moyen-Orient soit vers l’Allemagne soit vers la Méditerranée.
En liaison avec les flottes américaines basées à Bahreïn, ils surveillaient aussi les routes de la soie maritimes, c’est à dire toutes les voies allant de la Chine à l’Europe, au Moyen-Orient et à l’Afrique et cela ne leur coûtait presque rien puisqu’ils n’avaient eu aucune victime militaire depuis près de deux ans et que cinq à dix mille militaires suffisaient à empêcher les Talibans de l’emporter grâce au contrôle total que les USA avaient de l’espace aérien. Et, cerise sur le gâteau, à partir de Bagram, ils gardaient un œil sur le Tibet et la Chine.
Le 8 juillet 2021, les américains, à la surprise générale, abandonnent Bagram du jour au lendemain, ce qui était invraisemblable de stupidité. Si l’on voulait s’en aller, il aurait fallu abandonner la base militaire en dernier, et non pas en premier, ne serait-ce que pour empêcher les Talibans de prendre Kaboul.
Tout cela est du passé, Bagram et l’Afghanistan sont perdus, ce qui veut dire que les USA n’ont plus aucun moyen de contrôler ce qui se passe au Nord de l’Himalaya.
La Chine, la Russie et l’Europe sont maintenant reliés par des trains de façon pérenne et du coup le contrôle des mers par les USA ne leur sert plus à grand-chose, surtout si les Russes ouvrent la voie Nordique au trafic maritime. Ce qui veut dire que toute l’Asie au Nord de l’Himalaya est maintenant interdite aux USA. Et c’est dans cette partie au Nord de l’Himalaya que se trouvent la plupart des réserves de matières premières dont le monde en général et l’Europe et l’Allemagne en particulier vont avoir grand besoin.
Allons vers l’Ouest et nous trouvons l’Iran qui avec l’aide de la Chine vient de trouver des gisements gaziers monumentaux dans la mer Caspienne. Ces découvertes seront développées en partenariat avec la Russie et la Chine et reliées sans difficulté aucune au réseau de pipelines russes qui desservent déjà l’Europe. Ce qui veut dire non seulement que, si la Russie décide de fermer le robinet, toute l’industrie européenne s’arrête instantanément, mais aussi que si la Russie décidait de ponctionner le travail des européens, il lui suffira d’augmenter les prix du gaz naturel et le tour sera joué.
Nous nous retrouvons dans la situation dans laquelle nous étions en 1973 quand l’Europe fut rançonnée par le Moyen-Orient.
Depuis des années, je dis que monsieur Poutine joue aux échecs tandis que nos gouvernements jouent à la belote, et hélas, les faits semblent confirmer cette analyse.
Dans cette perspective, mais à quoi sert l’Otan exactement ? Notre énergie vient du pays contre lequel l’Otan est censée nous protéger… Je serai Ukrainien ou Balte, je me ferai du souci, et si les Autrichiens, Tchèques, Hongrois, Polonais ne comprennent pas qu’ils ont la mission historique de recréer l’Autriche-Hongrie pour protéger l’Europe contre les Turcs, contre les Russes et contre les Allemands, ce sera parce que leurs gouvernements n’ont rien compris au film.
A ce moment du raisonnement, il nous faut avoir une pensée émue pour l’Arabie Saoudite, protégée militairement par les USA depuis la rencontre FD Roosevelt-Ibn Saoud sur un bateau de guerre américain pendant la Seconde guerre mondiale.
Non seulement le Président Américain actuel annonce qu’il veut sortir du pétrole pour sauver la planète (ce qui condamne le régime saoudien à mort), interdit le pipeline reliant le Canada aux USA, ce qui aurait réduit la dépendance de l’Amérique du Nord vis-à-vis du reste du monde, mais en plus la protection militaire américaine ne vaut plus tripette, ce qui nous amène à parler de l’autre grand vainqueur du désastre Afghan, la Chine, qui se trouve être le plus grand client de L’Arabie Saoudite.
Je suis bien certain que la Chine va demander à régler ses achats de pétrole non plus en dollar, mais en renminbi, en faisant valoir aux Saoudiens qu’il y a beaucoup plus de biens à acheter en Chine qu’aux USA, qui ne produisent plus grand-chose, et que les Russes, les Iraniens, les Vénézuéliens seraient très contents de leur vendre leur pétrole en RMB si les Saoudiens décidaient de continuer à vendre en dollar. Et si la Chine réussit à acheter son pétrole en utilisant sa propre monnaie, toute l’Asie sauf le Japon bien sûr, demandera à payer le même pétrole dans leur monnaie ou en RMB.
Comme je l’ai expliqué depuis des années, la Chine a déjà préparé tous les outils pour que ce transfert ait lieu sans dommage : marché à terme du pétrole cotée en RMB à Shanghai et dont les balances pourront être réglées en… or, nouveau FMI, nouvelle banque mondiale à Pékin et à Shanghai, ouverture du marché obligataire Chinois aux étrangers, stabilisation des taux de change asiatiques contre le RMB etc…(voir mes papiers précédents sur le sujet).
Et donc, et c’est là où je voulais en venir, nous sommes en train d’assister à un basculement inouï des modes de paiements pour les besoins énergétiques du monde.
- Les besoins européens seront satisfaits par la Russie, gérant ses propres excédents ainsi que ceux du Kazakhstan et de l’Iran, voire de l’Iraq. Et cette énergie aura un prix en Euro ou en Rouble, les Russes refusant le dollar.
- Les besoins Chinois sont d’ores et déjà couverts par la péninsule arabique, mais les ventes sont encore libellées en dollar. Il me semble évident que d’ici quelque temps , les factures chinoises seront payées en monnaie chinoise.
- Et cela devrait avoir un effet important sur le dollar. Voilà qui réclame un petit développement : Le monde consomme environ 100 millions de barils par jour et il est de bon ton pour les utilisateurs de garder environ trois mois de stocks. A $ 70/ baril, ce stock « vaut » dans les 600 milliards de dollars, dont la valeur peut être doublée sans problème pour prendre en compte les produits finis. Si les achats ne se font plus en dollars mais en RMB, voilà un nombre important de dollars utilisés dans les fonds de roulement de l’industrie pétrolière qui vont se retrouver sur le marché. Et comme chacune des banques centrales dans le monde essaie d’avoir en dollars au moins trois mois d’importations de pétrole, « au cas où », je peux rajouter encore au minimum 500 milliards de dollars au stock mondial de dollars excédentaires, auxquels il va falloir rajouter aussi le déficit commercial de cette année qui risque d’approcher les 1000 milliards de dollars.
Et donc le dollar risque de se casser la figure, un peu comme la livre sterling dans les années 70 quand les dernières balances sterling furent liquidées par leurs détenteurs dans une gigantesque baisse inflationniste de la monnaie britannique qui se termina avec le FMI à Londres et Madame Thatcher arrivant au pouvoir peu de temps après.
La thèse soutenue par ce papier de rentrée est donc assez simple :
Pour que la monnaie de réserve garde sa position privilégiée, il faut que le reste du monde ait confiance en cette monnaie, ce qui veut dire que les politiques monétaires et budgétaires en préservent la valeur, ce qui n’est plus le cas aux USA tant la banque centrale fait n’importe quoi et tant les dépenses étatiques sont hors de contrôle là-bas.
A défaut, il faut que la puissance qui émet la monnaie de réserve soit dominante militairement, mais les USA n’ont plus gagné une seule guerre depuis 1946, leurs dernières aventures s’étant achevées en déroute en Irak, en Lybie, en Afghanistan…
Il me paraît évident donc que les USA sont en train de perdre toute la crédibilité économique et militaire qui pouvaient leur rester, grâce à monsieur Biden, dont Obama disait qu’il ne fallait pas le sous-estimer tant il était toujours capable de transformer une crise en un désastre irréparable.
Ce que je mesure mal cependant, c’est la réaction des autorités Chinoises Soit, elles suivent le conseil de Napoléon de ne jamais intervenir quand son ennemi se prend les pieds dans le tapis, ce qui voudrait dire que ces autorités laisseront la situation pourrir aux USA et continueront à consolider leur zone géographique. Soit, au contraire, elles se disent qu’elles ont une fenêtre de tir d’un an environ et que dans un an Trump (ou un personnage équivalent) sera de retour et que les choses redeviendront plus difficiles pour l’Empire du milieu et que c’est maintenant qu’il faut frapper, c’est-à-dire exiger de payer son pétrole en RMB. Quand je regarde ce que fait et ce que dit monsieur Xi, je pense que la Chine choisira la deuxième solution.
Mais la Chine a toujours préféré la stabilité à l’aventure, et peut-être ai- je tort en raisonnant comme un occidental.
Nous verrons bien, mais l’ordre international américano-centré, capitaliste et libre échangiste qui a prévalu depuis 1945 est vraiment en train de s’écrouler sous nos yeux.
Une nouvelle guerre froide commence entre un système national de production mené par une technocratie communiste (la Chine) mais utilisant le marché et un système de production à tendance monopolistique, mené par une élite Saint Simonienne non élue se réclamant de leur compétence.
La lutte va être intéressante et je crains de ne pas en connaître l’issue. J’ai toujours été certain que le capitalisme l’emporterait sur le communisme soviétique. Sur ce coup-là, je suis beaucoup moins affirmatif.
Dans les mois qui viennent, il va falloir cependant que j’essaye de comprendre un peu mieux ce que tout cela veut dire pour le reste du monde, et je crains d’avoir besoin de l’aide des lecteurs de l’IDL pour y arriver. Après tout, et comme le disait un personnage célèbre :
« Hier nous étions au bord du gouffre, aujourd’hui nous avons fait un grand pas en avant »