par Michel Geoffroy
Polemia
En France, ils sont partout. Pas une route, un chemin ou une rue sans les rencontrer désormais : les « sportifs », surtout du genre vélocipédique hargneux. Il y en a même tellement qu’on se demande quand ces gens travaillent. Mais ce sport de clones n’augure rien de bon.
Comme des escargots après l’orage
Jadis, les sportifs restaient dans les stades ou devant leur télévision à regarder des matchs et ils n’embêtaient personne. Sauf s’ils arrosaient trop la troisième mi-temps.
Mais aujourd’hui, à tout âge, ils marchent sac au dos, ils courent (pardon, ils font du jogging) et surtout ils font de la bicyclette.
Et ils ont toutes les exigences et surtout tous les droits : il faut leur aménager des sentiers de randonnée, il faut leur construire partout des stades, des piscines, des « pistes cyclables » et des parkings à vélos. Pendant que de plus en plus de villes instaurent des journées sans voitures et des rues piétonnes au profit des mêmes. Comme les joggeurs acceptent de plus en plus mal de s’arrêter car cela brise leur cadence, il est donc fortement recommandé de les laisser passer même quand ils traversent les routes.
On a même configuré les trains pour que les vélos puissent voyager avec leur propriétaire ; et modifié le Code de la route pour qu’ils puissent passer au feu rouge ou rouler à contresens. Cela s’appelle « partager la route » en bobolangue.
À peine l’A 13 est-elle fermée à la circulation que voilà nos individualistes à pied, à vélo, à trottinette ou à patins qui apparaissent, tels des escargots après l’orage. Le malheur de milliers d’automobilistes enlisés dans les bouchons fait la joie de quelques sportifs à roulettes.
Le vélo est l’avenir français
Ah, le vélo, voilà bien l’avenir français ! Les Japonais ont le Shinkansen, les Chinois ont le train Hyperloop et les taïkonautes, les Ukrainiens ont les tranchées, les Russes ont les drones et les bombes planantes. Nous, on a les vélocipédistes, de préférence grimés en coureurs de la grande boucle.
On a des vélos comme les Hollandais et les Allemands, ce qui devrait nous rassurer. Les Européens sortent de l’histoire mais, nuance, ils le font à vélo et en sportifs. Quelle élégance !
Car le vélo, c’est écolo, n’est-ce pas, surtout quand il est made in China et dispose d’un petit moteur électrique qui nécessite des terres rares que des enfants extraient de mines en Afrique… Mais cela ne gêne pas les mamans bobos qui vont chercher leur marmaille à l’école privée en carriole vélocipédique : ne sauvent-elles pas la planète par leur courageux pédalage assisté ?
Le vélo, c’est progressiste, ce que ne comprennent pas ces salauds de beaufs qui « fument des clopes et roulent en diesel », comme le disait un ancien porte-parole du gouvernement d’Édouard Philippe au moment de la révolte des Gilets jaunes.
Ah ! si les jeunes de banlieue faisaient des rodéos à vélo, ce serait tellement mieux, au lieu de rouler bêtement en scooter ou en BMW, et cela rendrait notre police plus performante.
Le nouvel opium des peuples
Le beau film d’anticipation de Norman Jewison Rollerball (tiré d’un roman de William Harrison), sorti en 1975, mettait en scène une société totalitaire, soumise aux monopoles privés mais où un sport très violent, le rollerball, servait à canaliser l’énergie de la population pour éviter qu’elle ne se révolte contre le Système. Le sport contre les peuples en quelque sorte, pour reprendre la formule de Robert Redeker : c’est-à-dire le sport comme nouvel opium du peuple, comme divertissement pascalien destiné à nous faire tenir tranquilles pour le plus grand profit des puissants.
Hélas ! la fiction devient réalité car nous entrons dans le monde de Rollerball par la petite porte.
Car, pendant que les Européens font du sport sous prétexte de préserver leur petite santé, pendant qu’on pédale partout avec entrain et si possible au milieu de la route ou sur les trottoirs, pendant qu’on s’apprête à suivre le parcours de la flamme olympique comme le Messie mais sous contrôle policier, en attendant les QR codes des Jeux olympiques d’un Paris digne du prince Potemkine, le Système peut dormir tranquille.
Le Système peut dormir tranquille
Non seulement l’oligarchie gagne beaucoup d’argent en nous vendant tout ce dont le sportif a besoin, non seulement le sport professionnel lui permet de mettre en scène son idéologie diversitaire, mais, en outre, ce ne sont pas les sportifs du dimanche, les yeux rivés sur leur guidon et les écouteurs aux oreilles, qui vont le gêner.
Les révolutionnaires sont rarement des cyclistes.
Ces sportifs n’incarnent pas la grande santé, ni la verticalité du dépassement de soi, ni l’émulation communautaire des vainqueurs. Ce ne sont que des individus, de tristes clones interchangeables et manipulés.
Coluche, dans l’un de ses sketchs, usait du mot sportif comme d’une insulte et cela faisait rire son public bourgeois.
On se demande parfois s’il n’avait finalement pas raison.
Michel Geoffroy
10/05/2024
Crédit photo : Domaine public