Les drones se sont imposés sur le terrain militaire comme des armes redoutables, capables d’infliger d’importants dommages aux armées. En Irak, à Erbil, deux militaires français des forces spéciales ont été blessés en octobre 2016 par un drone volant piégé ayant explosé une fois au sol. Un simple drone que l’on peut acheter en magasin et qui, doté d’une caméra ou d’un explosif, peut provoquer de grands ravages. Face aux drones, la réponse a longtemps été digne d’un proverbe de Confucius : on attaquait des mouches avec un canon. Faire usage d’un missile de plusieurs milliers d’euros pour détruire un drone agile de quelques centaines d’euros était inefficace et même ridicule. Les forces françaises ont dû développer leur force de contre opposition à ces drones redoutables, difficilement détectables et ravageurs. L’entreprise française Cilas a ainsi développé un fusil à drone qui brouille les connections entre le conducteur et son appareil, provoquant la chute de ce dernier. C’est une réponse au retard de la France en matière de drone, retard soulevé par un rapport de la Cour des comptes ( « Les drones aériens : une rupture stratégique mal conduite », février 2020).
« La France a tardé à tirer les conséquences de l’intérêt des drones dans les opérations militaires modernes. L’effet conjugué des mésententes entre industriels, du manque de vision prospective des armées et des changements de pied de pouvoirs publics ont eu pour conséquences, dommageables et coûteuses, de prolonger la durée de vie des matériels vieillissants. Il a également conduit à l’acquisition de matériels américains aux conditions d’utilisation contraignantes et restrictives. »
Il existe plusieurs types de drone, qui ont chacun leur intérêt stratégique.
Les micro drones, de quelques kilos, qui peuvent surveiller des zones à 150 mètres d’altitude et éventuellement exploser au-dessus d’une manifestation ou d’un groupement de personnes.
Les mini drones capables de voler jusqu’à 4 000 mètres qui peuvent interagir avec le champ de bataille.
Les drones de troisième catégorie MALE (Medium Altitude Long Endurance) qui peuvent mener des missions de renseignement de longue durée et emporter de l’armement. Certains d’entre eux peuvent être transformés en bombe volante en emportant des munitions avec eux.
La France a armé ses drones MALE Reaper en 2019 lors des opérations de survol du Sahel. En 2020, ils ont réalisé 58% des frappes aériennes. Moins couteux que des avions de chasse, plus facile à manier et plus difficile à détecter, ils ne remplacent pas les aéronefs classiques mais les complètent utilement.
L’arme des années 2020
Développés au cours des années 2000, les drones ont désormais des succès médiatiques et stratégiques à leur actif. En novembre 2019, des infrastructures pétrolières d’Aramco ont été ciblées par des drones sans qu’il soit possible de les intercepter. En janvier 2020, c’est avec un drone que le général iranien Soleimani est assassiné. Des succès d’estime qui ont fait prendre au sérieux l’usage des drones.
Depuis 2020, la Turquie brille par le bon usage de ses drones qui additionnent plusieurs succès. En Syrie d’abord où ils aidèrent à gagner plusieurs batailles. En Libye, où le général Haftar fut vaincu par les drones turcs, alors que tout lui prédisait la victoire. Le drone turc est alors entré dans l’histoire et beaucoup ont compris l’usage stratégique qu’il était possible d’en faire. De nouveau lors de la guerre du Karabagh en septembre 2020. La victoire de l’Azerbaïdjan repose en partie sur l’usage des drones d’Ankara, qui lui ont permis d’éliminer un grand nombre de positions stratégiques arméniennes, sans que les troupes adverses puissent répliquer. Le drone apporte aujourd’hui une véritable rupture stratégique en donnant un avantage certain aux armées qui en font usage, avec une maximisation des dégâts et une diminution des dommages et des morts pour les armées utilisatrices.
En plus de la Turquie, Israël et l’Iran développent également ce type de machine, dont le Hezbollah s’est emparé. Peu chers et très efficaces, les drones ont tout de l’arme idéale. Ils évitent les pertes chez l’attaquant et ils les multiplient chez l’attaqués. De par leur faible prix il est possible d’en posséder en grand nombre, multipliant l’effet destructeur. La Chine travaille ainsi sur des essaims de drones qui viendraient attaquer les cibles visés. Même si elle s’est aujourd’hui lancée dans la course, l’Europe a longtemps été en retard sur les drones. Soit par désintérêt, soit parce que l’outil industriel n’a pas répondu, étant accaparé par d’autres programmes.Programmes mondiaux
95 pays disposent aujourd’hui d’un programme militaire opérationnel en matières de drones. Outre les pays sus nommés, on trouve des Etats d’Amérique latine et d’Europe, ainsi que l’Algérie et l’Egypte. Mais le drone échappe aussi au monopole de la puissance étatique : un certain nombre de groupes terroristes ou mafieux ont fait récemment usage de drones lors de leurs activités. C’est le cas des cartels de la drogue au Mexique, de Boko Haram au Nigéria, du PKK en Turquie, d’Al-Qaida au Pakistan et des talibans en Afghanistan. Les drones sont de plus en plus utilisés dans les frappes militaires, soit à des fins d’éliminations ciblées, soit pour des attaques de soldats ou de civils. Ce n’est donc plus une arme anecdotique mais un objet essentiel des stratégies militaires.
Le drone est aussi l’objet d’un combat juridique entre les Etats-Unis et l’Europe. Ils sont à la fois le symbole d’une course technologique où l’Europe essaye de trouver sa place et le symptôme d’une Union européenne qui peine à changer de modèle.
Le commissaire européen Thierry Breton a beau vouloir doter l’UE « d’outils nécessaires pour s’affirmer dans la défense de ses intérêts et de ses valeurs », (Thierry Breton, Repenser notre sécurité : vers l’autonomie stratégique de l’Europe, discours au Parlement européen, 25 Juin 2020) l’Europe est à la traine, tant du point de vue de l’industrie que de celui de la stratégie. Mais elle est aussi en retard en matière juridique, dépendant encore des Etats-Unis. L’extraterritorialité des lois américaines permet d’étouffer économiquement tous concurrents de l’Amérique. Dans cet arsenal agressif, deux instruments juridiques sont redoutables, les normes ITAR et le Cloud Act. Les normes ITAR permettent aux États-Unis de bloquer toutes ventes d’armes faites à l’étranger dès lors qu’elles ont été fabriquées avec des composants américains. Cette contrainte à l’exportation n’est pas la seule. Comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son rapport précédemment cité :
« En-dehors de considérations logistiques liées à l’entreposage des matériels, l’acquisition de ces Reaper s’est accompagnée de contraintes importantes :
– En matière d’emploi, le déploiement en-dehors de la bande sahélo-saharienne étant soumis à autorisation des Américains ; ainsi, pour rapatrier un vecteur aérien de Niamey à Cognac […] un accord américain préalable, attendu de longs mois, a été nécessaire ;
– En matière de maintenance, exclusivement réalisée par l’industriel américain ;
– En matière de formation, qui, au-delà du coût, a créé une dépendance au système de formation américain, très encombré par ailleurs pour les besoins propres de l’armée de l’air américaine.
Par ce biais, les États-Unis imposent donc leurs standards et ont mis les Européens à la merci des Américains. Le Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act – le Cloud Act – oblige les prestataires de service et opérateurs numériques américains à divulguer les informations personnelles de leurs utilisateurs à la demande des autorités, sans devoir passer par les tribunaux, ni même en informer les utilisateurs, et ce, même lorsque les données ne sont pas stockées sur le territoire national américain. Le Cloud Act est une atteinte au secret des affaires et expose les entreprises à des risques d’espionnage industriel. En réponse à l’hégémonie américaine, le gouvernement français a lancé une procédure « ITAR free » : C’est « une stratégie de gestion de la norme ITAR développée par l’industrie de défense. Elle vise à réduire la dépendance de l’armement français aux réglementations américaines ». (École de guerre économique, Le secteur français de l’industrie de la défense face aux risques informationnels, dir. Christian Harbulot, p. 16.)
-Comme le souligne ce rapport de l’École de guerre économique, privilégier des composants européens suppose la mise en place d’une véritable stratégie du « made in Europe ». Cela concerne de nouveaux investissements dans la recherche, le rachat d’entreprises stratégiques et une concentration sur les programmes de coopération européenne.
Les drones posent la question du retard de l’Europe, tant sur le plan matériel que sur le plan stratégique. C’est la preuve que la puissance est d’abord une question de volonté et de vision, deux choses qui manquent aujourd’hui à l’Europe.