Par Charles Gave
19 septembre, 2016
L’un de mes thèmes les plus constants a été le suivant : depuis le début de l’ère industrielle, la durée de vie des institutions humaines est d’environ 70 ans (Voir le papier sur Rip Van Winkler).
La première génération de l’élite bâtit les structures qui permettent de répondre aux défis de leur époque, la deuxième les maintient tant bien que mal, tandis que la troisième, en général extrêmement corrompue ne réussit pas à reformer des institutions complètement ossifiées et ne songe qu’a s’enrichir, ce qui fait que le peuple les vire et que d’autres institutions sont crées, les anciennes disparaissant.
Et le cycle recommence.
Une autre idée que j’ai souvent développé sur ce site et que j’ai emprunté à Marx qui lui même l’avait piqué à Ricardo a été que l’infrastructure politique détermine la superstructure politique.
Par exemple en Grande Bretagne, au XIX eme siècle, nous avions deux parties de gouvernement: le parti conservateur qui représentait la classe des grands propriétaires terriens (l’aristocratie) et le parti libéral qui lui défendait les intérêts de la nouvelle bourgeoisie industrielle. Avec l’arrivée du suffrage universel, un parti des travailleurs émergea (le labour party) et puisqu’il y avait beaucoup plus de travailleurs que de patrons, en quelques décennies ce nouveau parti remplaça totalement le parti libéral.
Et ce remplacement était parfaitement normal. La première révolution industrielle amena à de gigantesques concentrations de travail et de capital aux mêmes endroits et ces nouveaux systèmes furent tous organisés sous formes « pyramidales » du type « Trust », « Konzerns » etc.) Pour faire simple, les ordres descendaient du sommet à la base et qui contrôlait le capital contrôlait l’ensemble de la pyramide. Et ces pyramides étaient toutes géographiquement fort bien déterminées.
Le résultat politique de cette émergence fût la création d’une gigantesque pyramide étatique qui de par sa taille pouvait contrôler les pyramides de taille inferieure, et bien sur cette dernière pyramide fût contrôlée la plupart du temps par le parti des travailleurs, représentant la majorité du pays. Et donc, à gauche nous avions le parti des travailleurs, et à droite, un autre parti qui avait pour seule fonction d’empêcher le parti des travailleurs de devenir dictatorial. Il y avait de ce fait adéquation entre l’infrastructure économique et la superstructure politique, et les structures étaient pérennes.
Ce schéma, qui a duré au moins 70 ans est devenu complètement obsolète et va donc disparaitre dans les années qui viennent, et voici pourquoi.
La nouvelle révolution industrielle dont j’ai souvent parlé ici même est “portée” par un nouveau type de sociétés, organisés différemment et que j’ai appelé les « sociétés de la connaissance ». Leur structure de fonctionnement est complètement horizontale et elles nécessitent beaucoup moins de personnel et de capital pour générer de la valeur. Et surtout, elles peuvent faire apparaitre leurs profits là où elles le veulent, plutôt en Irlande qu’en France ou en Grande-Bretagne, par exemple. Ces sociétés n’ont donc aucune appartenance géographique, ce qui est une nouveauté extraordinaire.
Le même raisonnement s’applique aux individus. Ceux qui sont particulièrement productifs peuvent s’installer sans difficulté aucune à des endroits où ils seront très légèrement imposés-ou pas du tout. La conjonction de ces deux facteurs fait que le financement de l’ancienne pyramide étatique devient complètement impossible et donc nous sommes en train de voir émerger une contradiction TOTALE entre la nouvelle infrastructure économique-sans base géographique et l’ancienne superstructure politique, complètement ancrée dans la géographie.…
Et comme à chaque fois, c’est la superstructure politique qui va devoir disparaitre. Le premier signe du phénomène est en train d’apparaitre avec l’incapacité des États à se financer par les impôts. Du coup la pyramide étatique est complètement incapable de protéger qui que ce soit si ce n’est les gens qui y travaillent et cette protection ne durera pas longtemps puisqu’elle n’est assurée que par la capacité de l’État à s’endetter…
Cela veut donc dire qu’économiquement les anciens « travailleurs » non seulement ne trouvent plus de travail mais que politiquement plus personne ne peut les aider ou les protéger. Ils vont donc cesser de voter pour les partis des travailleurs (la gauche), ce qui implique un effondrement total de ces partis à terme. Dans le fond, le système économique ne justifie plus la présence d’un parti des travailleurs et l’état ne représente plus que ceux qui y travaillent.
La question suivante est bien entendu : Qu’est ce qui va remplacer le parti des travailleurs ?
La réponse est déjà visible. Un peu partout, on voit surgir des partis ayant pour but non pas de représenter le travailleur mais de représenter le CITOYEN, le national… Les anciens travailleurs vont transférer leur loyauté du parti des travailleurs à la Nation.
Et donc le parti des travailleurs va être remplacé partout par le parti des citoyens.
La grande différence est que le but du parti des travailleurs était de capturer l’Etat, au profit des travailleurs. Ce qui fut fait. Or cet Etat ne vaut aujourd’hui plus rien. Le parti des travailleurs est devenu le parti de ceux qui travaillent pour l’État, mais ce parti est bien incapable d’assurer la sécurité de tous les travailleurs. Et donc il est devenu le parti non plus des travailleurs, mais des fonctionnaires, ce qui n’offre pas la même légitimité.
Le parti des citoyens va utiliser le retour à la Nation comme appel et la lutte contre le parti des fonctionnaires comme cri de ralliement, ce qui veut dire que nous allons avoir un combat à mort entre les « citoyens » et les anciens représentants du parti des travailleurs qui ont colonisé l’Etat et à qui il va falloir arracher leurs privilèges un à un.
Et le nouveau parti des citoyens ne peut pas perdre sur le long terme puisqu’il a le nombre pour lui. Nous commençons, de fait, à apercevoir une hostilité certaine émerger enter le lumpen prolétariat qui n’a plus aucune protection et les anciens dignitaires du parti des travailleurs casematés dans l’état et qui les ont toutes. Ce qui veut dire que toutes les racines morales et philosophiques du socialisme s’effondrent et que nous voyons resurgir d’anciennes racines qui historiquement se sont toujours identifiées à un homme (ou a une femme) représentant la Nation.
Et donc revoici qu’apparait sur la scène « l’homme fort » qui n’en est jamais vraiment sortie.
C’est ce que l’on voit en Turquie, en Hongrie, en Russie, en Chine, aux Philippines…
A terme, le parti des citoyens va remplacer le parti des travailleurs à peu prés aussi certainement que le labour party a remplacé le parti libéral. Et donc, l’organisation politique va certainement se diriger vers un monde ou à ma droite (ou sera-ce à ma gauche ?), j’aurais le parti des citoyens, appelons le «le parti national» qui représentera ce que j’ai appelé dans un papier précédent les hommes des arbres, c’est-à-dire qui sont ancrés dans une réalité géographique.
Et à ma droite (?) j’aurais le parti “non national », celui qui représentera ceux que j’ai appelé dans une chronique précédente les hommes des bateaux, c’est-à-dire le monde nouveau.
Si l’on analyse la campagne présidentielle américaine,il est évident que monsieur Trump a entrainé le parti républicain à devenir le nouveau parti « national » aux US tandis que madame Clinton campe sur ses positions de championne de gens des bateaux.
Or il y a beaucoup plus de gens des arbres que de gens des bateaux… mais toute une série du corps électoral espère encore être protégé par l’état en pensant que rien n’a changé…ce que toute l’expérience des dernières années infirme. On va promettre à ces gens une protection que l’on sera bien incapable de leur assurer. Et ils rejoindront au suffrage suivant le parti national.
Quant à la gauche classique, elle va exploser en toute une série de petits groupuscules qui très rapidement n’auront plus aucun pouvoir politique mais garderont un pouvoir de nuisance puisqu’ils contrôlent encore toute une partie de l’État ancien.
Le plus difficile va sans doute aucun être d’empecher les gens des arbres de faire trop de bêtises démagogiques quand ils prendront le pouvoir.
Pour cela, investir-ou mieux encore vivre- dans une société régie par le droit sera toujours préférable à une société ou la séparation des pouvoirs n’existe pas.
En ce qui me concerne, j’ai une grosse préférence pour les pays où la Reine d’Angleterre figure sur les billets (GB, Australie, Canada, Nouvelle Zélande), et pour des raisons que tout le monde comprendra.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que nous allons avoir l’émergence de partis « nationaux ». Et historiquement les pays où la Reine d’Angleterre figure sur les billets et les pièces de monnaie s’en sont plutôt mieux sortis.
Charles Gave sortira le 10 octobre chez Jean-Cyrille Godefroy : « Sire, surtout ne faites rien, vous nous avez déjà assez aidés ».