Les pacifistes ont une grande part de responsabilité dans le déclenchement des guerres du XXe siècle : leur refus d’armer leur pays, de s’opposer aux puissances dangereuses, leur croyance naïve dans le fait que si nous voulons la paix les autres la veulent aussi, ont contribué à l’explosion de la force en Europe. Aujourd’hui, c’est le sentimentalisme en géopolitique qui menace nos pays et qui conduit à son tour à la guerre.
Parler sans réfléchir
Bien sûr que toute guerre est horrible et que personne ne se réjouit de savoir que des villes sont bombardées et que des femmes et des enfants doivent abandonner leur foyer pour se réfugier ailleurs, dans des conditions très souvent difficiles. L’émotion compréhensible ne légitime pas pour autant le sentimentalisme qui empêche toute analyse et qui se fait même vecteur de guerre.
On voit ainsi depuis le début de l’offensive russe en Ukraine des hommes politiques et influenceurs de gauche qui jusqu’à présent étaient anti-militaristes se faire les plus ardents propagateurs de la guerre. Ils voudraient que la France intervienne directement en Ukraine et que l’OTAN s’engage auprès de Kiev dans une guerre frontale contre la Russie. Une position irresponsable et dangereuse qui ne pourrait conduire qu’à étendre le conflit. Surtout que s’ils appellent à la guerre c’est essentiellement pour que d’autres y aillent, mais non pas eux.
Sentimentalisme également dans cette chasse aux Russes qui a vu des chefs d’orchestre, des athlètes, des musiciens virés sans coup férir de leur poste, au mépris du droit du travail. Une sorte de vindicte populaire primitive s’est emparée des esprits qui a conduit à une chasse à l’homme grégaire, montrant que l’archaïsme n’avait pas disparu de nos sociétés technologiques. Comme si un ténor d’opéra ou un escrimeur paralympique pouvait avoir la moindre influence sur les décisions politiques de Poutine. Ces réactions irréfléchies témoignent d’une puérilité dans l’approche des sujets majeurs. On se demande aussi en quoi le fait de mettre un drapeau ukrainien sur son profil Facebook peut aider en quoi que ce soit les civils de Kiev.
Absence de prise de distance
Le sentimentalisme est marqué également par une absence totale de prise de distance à l’égard des informations transmises. Tout ce qui vient du Kremlin est ainsi jugé faux par nature alors que toutes les informations transmises par Kiev sont gobées sans restriction aucune. Si la propagande sévit en Russie, elle est aussi présente en Ukraine. Les sénateurs français ont ainsi écouté avec beaucoup d’émotion l’ambassadeur d’Ukraine en France faire l’éloge des soldats morts héroïquement sur l’île des serpents. Ils eurent droit à des applaudissements et une minute de silence. Quand Moscou disait que ces soldats n’étaient pas morts, mais avaient été faits prisonniers, ce ne pouvait être que propagande. Or c’était bien le cas, ils réapparurent quelque temps après, libérés par Moscou. Le général tchétchène Tushayev, annoncé comme mort le 26 février, serait probablement en vie, plusieurs vidéos le montrant en Ukraine à la fin mars. Reste à savoir si ces vidéos sont vraies. Un navire militaire russe annoncé comme coulé par l’Ukraine a réapparu quelques semaines plus tard en Crimée, beaucoup d’intox eurent lieu aussi sur l’état des troupes. Rien que de très normal en temps de guerre, mais la prudence élémentaire impose de prendre avec suspicion toutes les informations, celles qui viennent de Moscou et celles qui viennent de Kiev.
Zelensky dicte sa politique à la France
Lors de son discours aux parlementaires français, Volodymyr Zelensky a eu des mots très durs à l’encontre des entreprises françaises :
« Les entreprises françaises doivent quitter le marché russe. Renault, Auchan, Leroy Merlin et autres, ils doivent cesser d’être les sponsors de la machine de guerre de la Russie en Ukraine […] Ils doivent arrêter de financer le meurtre d’enfants et de femmes, le viol. »
Un discours chaudement applaudi par les parlementaires qui n’ont probablement pas remarqué que Zelensky accusait les entreprises de crimes de guerre. Demande a ensuite été faite d’organiser un boycott mondial de Renault pour pénaliser la présence russe de l’entreprise. Pur sentimentalisme là aussi qui ne voit pas les conséquences négatives pour la France d’un tel retrait. Le groupe Mulliez réalise une partie importante de son chiffre d’affaires en Russie, notamment via ses marques Auchan et Leroy Merlin. Idem pour Renault, qui doit beaucoup à Lada et pour Total, dont un tiers du gaz provient de Russie. Dans leur ignorance économique crasse, beaucoup de parlementaires n’arrivent pas à comprendre qu’un retrait de Russie a des conséquences directes sur la France. Toujours cette idée fausse également que l’économie doit être soumise au politique et donc que les députés peuvent contraindre les lois du marché. Encore une fois, le sentimentalisme rejoint la puérilité.
C’est ne pas voir que les entreprises françaises parties, ce sont probablement des entreprises chinoises, voire allemandes ou américaines, qui prendront la suite.
Après la guerre ?
Le sentimentalisme est non seulement coupé du passé, mais il est aussi incapable de se projeter dans le futur. Il faudra bien, pourtant, terminer cette guerre et penser la cohabitation avec la Russie. L’enjeu est de mettre un terme rapide au conflit, donc de faire aboutir les négociations, ce qui suppose que l’on fasse des concessions à l’une et l’autre partie. Certes l’armée russe piétine et n’a pas réussi à prendre Kiev ni à renverser le gouvernement. Mais si l’Ukraine est aujourd’hui prête à renoncer à intégrer l’OTAN et à abandonner le Donbass et la Crimée, c’est qu’elle comprend aussi que sa position est fragile et qu’elle ne pourra probablement pas tenir le choc plus longtemps. Elle a donc intérêt à un cessez-le-feu et à gagner ce qui peut l’être. Taper comme un sourd sur la Russie comme le font les sentimentaux ne résoudra pas le problème. Espérer que le départ de Poutine (quand ?) règle la situation est tout autant absurde. Après lui, il y aura une autre personne, avec un autre nom, mais avec probablement une vision politique assez proche. Dans cette guerre, beaucoup d’Européens se comportent comme des enfants, et cela est dangereux. Si l’on veut vraiment la paix, il faut cesser de surréagir à tous les événements, remettre les choses en perspectives et proposer une sortie adulte à l’Ukraine et à la Russie.