par Nicole Esterolle
16 juillet 2016
Le très fameux professeur Onfray, philosophe bas-normand populaire et polyvalent, me rappelle le très péremptoire et fracassant professeur Rollin de l’excellent Palace de Topor et Jean-Michel Ribes…L’humour, la poésie et la folie en moins.
Voici une video du professeur Rollin :
On y voit que celui-ci a également , « toujours quelque chose à dire », qu’ il sait tout, qu’il comprend et vous explique tout, qu’il dit la vraie vérité sur tous les sujets : cuisine, sexe, musique, religion, franc-maçonnerie, écologie, économie, psychanalyse, politique, géo-politique, peinture… et art contemporain comme il se doit.
Dans ce domaine-là aussi, M.O. démystifie, dénonce les abus, démonte les impostures et les supercheries, traque la surdétermination cachée, etc… A lui, « on ne la fait pas », on ne raconte pas d’histoires, « on n’aura pas sa liberté de penser », « on ne bourre pas le mou »… Lui, en revanche, le bourre allégrement à des auditoires de plus en plus nombreux et de plus en fascinés par son extraordinaire bagout de bateleur au service de la philosophie, du savoir et de la sagesse pour tous.
Et cela commence avec cet argument fracassant et imparable ( prendre la bande à 10mn 50 sec) pour contrer les anti-art contemporain dans une discussion de comptoir : l’art contemporain selon MO, « c’est comme le chinois… C’est un langage »…et ce n’est pas parce vous n’y comprenez rien que vous avez le droit d’affirmer, comme on l’entend trop souvent, que ça ne veut rien dire, que ce n’est pas de l’art, que c’est nul, inepte ou du « grand n’importe quoi »…Il faut vous informer avant de juger et condamner , dit-il…vous informer pour comprendre un art « qui n’a pas le public qu’il mérite » parce que trop stigmatisé par les ignorants et mal enseigné.(3 mn 40 sec)
Un art persécuté donc , et victime de deux approches obligatoires opposées, mais aussi erronées l’une que l’autre selon MO : la première pro-AC, (4 mn 30 sec) est celle de la religion de l’art contemporain et de ses différentes variétés de bigots : ceux de l’institution et ceux du grand marché ; la deuxième anti-AC, ( 5 mn 58 sec) est celle des réactionnaires de tous bords, qui font de la critique de l’AC leur « fond de commerce », comme Jean Clair, André Comte-Sponville, Finkielkraut et même Philippe Sollers… La bonne approche étant donc celle de MO, ni pro, ni anti, mais très au-dessus de cette confrontation de bas-étage entre deux partis inconciliables… un point de vue très distancié, san ssaveur ni odeur, de très haute altitude intellectuelle, et d’autant plus stratosphérique qu’il n’est que pensée pure, sans accroche matérielle ou sensible pouvant gêner son ascension vers les sommets de la vérité objective du philosophe.
Ensuite MO nous rappelle, s’il en était besoin, (12mn 15 sec jusqu’à 15mn 54 sec)) que les notions d’art et de beauté sont des concepts très récents qui n’existaient pas chez les bâtisseurs de cathédrales, ni chez les tribus primitives , ni chez les peintres des grottes de Lascaux… Au sujet des motivations de ces derniers, MO est persuadé que, contrairement à nombre d’hypothèses venant d’éminents scientifiques, mais très fantaisistes selon lui, il s’agit d’un activité d’ordre chamanique…comme celle qu’il a détectée chez Robert Combas (dessinateur génial et meilleur représentant d’un certain courant pré-historique dans l’art contemporain, puisque son mental n’a pas notoirement dépassé le niveau CM1 néandertalien)… Pointons ici que cette croyance au chamanisme est d’ailleurs pour le moins étonnante chez quelqu’un qui par ailleurs « bouffe du curé » à tous ses repas.
Et puis, MO nous démontre (de 16mn 27 sec à 24mn 10 sec)) que Platon et Kant étaient dans l’erreur totale en disant que « le beau est ce qui plait universellement » et qu’il y avait une « évidence de la beauté » faisant lien entre les hommes… MO prétend, lui, que bien au contraire, le beau nécessite initiation, explication et compréhension, et qu’une approche sociologique de la beauté est indispensable puisqu’elle est le produit de surdéterminations sociales et culturelles et n’a rien a voir avec le divin qui n’existe d’ailleurs pas..
Et c’est alors que nous arrivons (de 24 mn 10 sec à 28 mn 10 sec) à l’ingrédient central de la pensée onfrayenne, qui est « la mort de Dieu » entrainant donc l’interdiction de voir dans l’art toute dimension de transcendance, de mystère et de sacré… Et tout se passe comme si le discours sur l’art du philosophe bas-normand s’organisait autour de ce déni, de cette cécité, de cette béance nourricière, de cet angle mort qui devient « moteur par défaut » d’une fébrilité discursive, de cette incompétence de fond qui devient qualifiante pour une vision résolument unidirectionnelle d’un art qui ne peut être envisagé dans son en-soi ou son autonomie, mais seulement comme objet de discours du sociologue, du philosophe, de l’économiste, de l’historien, du professeur, et du chroniqueur d’art…voire comme produit de ce même discours… quand ce même discours ne devient pas lui-même objet d’art auto-explicatif.
Ce handicap de la transcendance en art étant levé, l’activité explicatoire et interprétatoire du philosophe peut s’épanouir sans contrainte et en abime. Et c’est ainsi que priorité et libre cours étant donnés à l’idée pure, MO peut affirmer ceci et son contraire dans le même mouvement oratoire ; vanter les vertus de l’hédonisme, tout refusant le plaisir de l’immédiate émotion sensible, le plaisir de l’irréductible évidence de la beauté et d’un mystère que la plupart des athées reconnaissent ; fustiger l’enflure médiatique, alors qu’il est le produit de cette même enflure ; condamner « les fausses valeurs du petit monde de l’AC et de ses subversifs subventionnés » (1 h 11mn 40 sec), et, dans le même temps célébrer les vertus de Maurizio Cattelan ou d’Orlan (1 h 12mn 44sec) qui sont pourtant les maîtres à penser de ces mêmes petits subversifs subventionnés ; se dire ami du grand, discret et vrai artiste Gilles Aillaud et apprécier les « anartistes » de la posture et de la provocation médiatique spectaculaire ; affirmer que oui, Wim Delvoye avec sa machine à caca, ou bien l’artiste français qui a conçu le « lapin transgénique fluorescent » invitent à penser, à réfléchir sur l’être au monde, la condition humaine et ses enjeux, l’environnement et le développement durable, tout comme Orlan suscite un questionnement de fond sur l’image de soi et l’identité personnelle… bref, MO nous sert une bouillie d’idées d’origines diverses, une mixture de concepts passés dans son giro-broyeur à valeurs et références historiques… une joyeuse purée que peuvent ainsi absorber facilement les culturophages « sans dents » de ses universités populaires.
D’où le furieux développement du questionnement sociétal de type onfrayen chez les artistes émergents en mal de subventionnement pour accéder à la notoriété internationale.
Mais ce qui est le plus sidérant, dans cette conférence cannoise, ce sont les théories proposées par MO, si inédites et « avancées » dans le genre, que même le pire des critiques – historiens d’art de l’AICA n’oserait formuler comme ça, sans prévenir.
Ainsi, MO nous révéle-t-il (de 28 mn 40sec à 37 mn) que tout l’art contemporain du 20 e siècle de type foutage de gueule est directement copié sur ce qu’avaient proposé les « incohérents » vers 1880…sauf que, si pour les incohérents c’était pour rire, pour l’art contemporain, c’est du sérieux… Ainsi, MO nous explique-t-il ( et ça il faut oser ) que le conceptualisme duchampien est l’héritier, tout à la fois, de l’avénement de la photographie, des incohérents qu’il a pompé sans vergogne et y compris l’idée de ready made), de l’expressionisme, et de l’abstraction… car comme le dit mon beauf: « de l’abstrait au conceptuel, il n’y a pas beaucoup de chemin à faire ».
Et, en guise de bouquet final, il y a cette théorie d’une époustouflante nouveauté émise par MO, concernant la genèse de la notion duchampienne de « performance », si fondamentale en Art contemporain … Je vous en laisse la surprise en vous indiquant d’écouter à 43 mn exactement… Vous y retrouverez aussi chez le professeur Onfray ce même phrasé énonciatif, cette même emphase déclamatoire dans l’absurdité que celle qui a fait le succès du professeur Rollin…Et l’on est en droit de se poser la question de savoir si, tout comme Duchamp a plagié les « incohérents », le très sérieux professeur Onfray n’a pas copié le très rigolo professeur Rollin.