À l’occasion de l’ouverture de la quatrième session législative de l’Assemblée du peuple syrien, le 25 août courant, le président Bachar al-Assad a prononcé un discours d’une cinquantaine de minutes dont nous traduisons un extrait concernant la situation syrienne et régionale ; les négociations syro-turques initiées par la Russie, l’Iran et l’Irak pour la normalisation des relations entre les deux pays avec la proposition d’un processus susceptible d’éviter le grand écart entre les déclarations et les comportements de la partie turque ; les leçons de courage et de patriotisme données par la Résistance régionale, notamment par la population palestinienne de Gaza et la population syrienne du Golan syrien illégitimement et illégalement soumises à l’occupation israélienne.
Mouna Alno-Nakhal
*
par Bachar al-Assad
Tout au long de l’Histoire, le conflit international ne s’est jamais dissipé. Il se calme mais ne s’éteint pas. Aujourd’hui, nous vivons l’une de ses phases ascendantes : conflit de l’Occident avec le reste du monde, conflit des forces hégémonistes et terroristes contre les forces souverainistes et stabilisatrices. C’est parce qu’il est géographiquement et sectoriellement plus global que les guerres du siècle dernier, qu’il est plus complexe et plus profondément impactant sur le monde. Par conséquent, absolument personne ne peut choisir d’éviter ses effets sur l’ensemble des secteurs et domaines politiques, économiques, sécuritaires et culturels.
La Syrie est un champ essentiel de ce conflit. Il l’affecte qu’il soit de haute ou de basse intensité. Et nous avons à choisir entre nous contenter de subir ses effets ou influencer le cours des événements, au minimum à l’intérieur de nos frontières nationales. Pour ce faire, notre capacité ne dépend pas tant de l’équilibre des forces militaires, économiques et techniques, aussi importantes soient-elles, que de l’équilibre de notre volonté face à celle des ennemis.
Cet équilibre naît de la foi en nos capacités nationales et se réalise en œuvrant sérieusement à atteindre nos objectifs avec nos propres moyens par le travail, la production, la recherche de solutions, le rejet de l’impossible, le refus de la soumission aux frustrations et aux circonstances.
Nous avons l’exemple d’une telle soumission dans le discours qui circule au sein des cercles inféodés à l’entité sioniste suite à sa défaite. Ce discours ne découle pas de l’échec militaire et des pertes sans précédent de l’entité, mais découle plutôt du déclin de la foi en son absolue puissance, laquelle s’est transformée en défaite psychologique du fait de l’insistance du peuple palestinien à s’accrocher à sa terre et à un mode de vie quotidien dans des circonstances fondamentalement invivables.
La victoire ou la défaite sont l’âme de la société avant d’être un résultat sur le terrain. Et ce sont la persévérance, la foi et la volonté qui ont brisé la confiance de l’entité en l’avenir de son existence, comme elles ont brisé le processus de la normalisation psychologique du peuple arabe [avec l’entité sioniste], laquelle est à distinguer de la normalisation officielle ; ce qui est un sujet différent apparu au sein de jeunes générations gouvernées par la frustration, la non-appartenance et la soumission absolue à l’Occident et à son protégé : Israël.
Gaza a donné un exemple qui a réveillé ces générations. Elles ont commencé à voir et à lire la réalité d’une manière différente de celle qui a été travaillée par l’Occident pendant de longs siècles. Des siècles d’illusions renversées par des heures d’héroïsme et des mois de résistance fondée sur des siècles d’appartenance. D’où la réaction hystérique et sans précédent de l’Occident, laquelle est venue confirmer qu’Israël n’est qu’une partie d’un projet colonial et que s’il tombe, le projet tombe avec lui.
Ce projet, dont nous ne cessons de parler, est un projet de fin de l’Histoire qu’ils ont promu suite à la dissolution de l’Union soviétique, il y a environ trois décennies, et dont l’essence se résume en quelques mots : la soumission absolue et éventuellement éternelle du monde à l’Occident, en premier lieu aux États-Unis.
Mais ils ont découvert que cette Histoire n’a pas pris fin au Liban, ni en 2000 lors de sa libération [de l’occupation israélienne], ni en 2006 lorsqu’il a brisé leur pouvoir, ni en Syrie qui a résisté face à la guerre la plus féroce menée contre une patrie, ni à Gaza lorsque l’image criminelle de l’armée sioniste s’est révélée.
L’Histoire ne prend fin que lorsque les peuples, leurs causes, leurs droits, leur confiance en eux-mêmes, leurs capacités et leur souveraineté s’effondrent. Et les peuples ne s’effondrent que lorsqu’ils perdent leur appartenance à leur patrie, à leur société, à leur Histoire et à leur idéologie. Notre lutte contre le colonialisme et le sionisme se poursuit, mais commence d’abord en nous-mêmes. C’est une lutte qui habite l’esprit de chacun d’entre nous, car la défaite est une culture, une mentalité, un effondrement psychologique et nerveux face aux pressions et aux défis, un miroir trompeur dans lequel nous nous voyons déformés et incapables.
Par conséquent, notre premier travail consiste à éradiquer la défaite de nos esprits. Ce n’est qu’alors que nous gagnerons les batailles de la libération, de la construction, de l’économie, de la prospérité. Ce n’est qu’alors que nous gagnerons la lutte contre le sous-développement dû à l’incapacité de certains, issus de notre région, à tirer les leçons du passé en tombant dans les pièges dans lesquels nous sommes tombés depuis des siècles. Et c’est ainsi que nous gagnerons la lutte contre la collaboration avec l’ennemi, l’ignorance, la corruption morale, l’étroitesse d’esprit, sans lesquels nul ennemi ou adversaire n’aurait osé s’attaquer à notre région.
La chose la plus difficile que nous ayons eu à faire ces dernières années fut de concilier nos principes avec l’intégration de certains parmi ces gens-là, afin d’éviter davantage de dommages et de couper la route aux ennemis qui respirent de nos différends et se nourrissent de notre sang. C’est pourquoi nous n’avons négligé de traiter aucune initiative visant à réaliser cet objectif de manière positive, même quand la probabilité de son succès était nulle.
La crise mondiale actuelle et ses répercussions sur notre pays nous poussent à accélérer notre travail de réparation de ce qui peut être réparé, loin des sentiments de tristesse et des douleurs dues aux blessures causées par les coups de couteaux d’un frère ou la trahison d’un ami. Et c’est dans cet esprit que nous avons traité les initiatives concernant les relations avec la Turquie lorsqu’elles ont été proposées par la Russie, l’Iran et l’Irak.
La première de ces initiatives date d’il y a environ cinq ans ou un peu plus. Elle a suscité plusieurs réunions, à différents niveaux, sans aboutir à un quelconque résultat significatif sur le terrain de la réalité, en dépit du sérieux des initiateurs et de leur désir sincère de ramener les choses à la normale. Entretemps, chaque jour qui passait sans progrès, les dégâts s’accumulaient non seulement du côté syrien, mais aussi du côté turc, au point qu’il n’était plus possible de les ignorer ou de les nier.
Nous avons traité les initiatives proposées sur la base de nos principes et de nos intérêts. Des principes et intérêts qui, en l’absence d’intentions nuisibles, ne sont habituellement pas contradictoires entre pays voisins. En effet, la souveraineté et le droit international sont conformes aux principes de toutes les parties sincèrement désireuses de résoudre le problème, et le rétablissement des relations normales consécutif au retrait [de l’occupant turc] ainsi que l’éradication du terrorisme sont dans l’intérêt des deux peuples voisins.
Cependant, il n’est pas possible d’aboutir à un résultat positif sans traitement de la cause. Nous, nous n’avons pas changé de politique, ni avant ni après la guerre. Bien au contraire, tout au long d’environ treize années de guerre nous avons toujours tenu à séparer les orientations du peuple turc des politiques et intentions des responsables turcs. Ce qui signifie que nous ne pouvons pas être la cause de ce qui a changé, car nous n’avons rien changé dans nos orientations et nos intentions. Tout comme nous n’avons pas envoyé des forces occuper les territoires d’un pays voisin pour devoir nous en retirer aujourd’hui, nous n’avons pas soutenu le terrorisme afin qu’il assassine un peuple voisin [le peuple syrien], et nous n’avons pas considéré le peuple voisin [le peuple turc] comme un frère pour cesser de le considérer comme tel aujourd’hui.
Par conséquent, le début de la solution passe par la franchise, non par de faux semblants au titre de la réconciliation, et par la reconnaissance de celui qui a commis la faute, non par l’arrogance. Car comment traiter un problème dont nous ne voyons pas les véritables causes ?
Le désir sincère de rétablir des relations normales nécessite avant tout l’élimination des causes ayant conduit à leur rupture et donc, la modification des politiques ayant mené à la situation actuelle. Ce ne sont pas des conditions, mais plutôt des exigences requises pour le succès du processus. Ces exigences recouvrent nombre d’éléments importants, au premier rang desquels les droits des États. Et, en tant qu’État, nous n’abandonnerons aucun de nos droits en aucune circonstance, comme nous n’exigerons pas que les autres les abandonnent ; ce qui relève d’une même logique.
C’est donc sur de telles fondations que s’édifie la réussite des initiatives précitées : un désir sincère et un changement de politique, ou un désir sincère qui mène à un changement de politique, peu importe la formulation.
Quant aux principes, tout processus de négociation a besoin d’une référence sur laquelle s’appuyer pour réussir. L’absence de résultats consécutifs aux réunions tenues jusqu’ici est essentiellement due à l’absence de référence. Or cette référence pourrait s’appuyer sur des bases convenues entre les différentes parties : le droit international, la Charte des Nations unies, ou d’autres questions qui intéressent les deux parties. Par exemple : les responsables turcs insistent constamment sur la question des réfugiés et la question du terrorisme ; de son côté, la Syrie insiste constamment sur la question du retrait [turc] et aussi sur la question du terrorisme. Autant d’intitulés qui ne nous posent pas problème et qui ne devraient pas en poser aux responsables turcs s’il n’y a pas de mauvaises intentions, comme ils disent.
Lorsqu’un accord sur ces intitulés sera acquis, une déclaration commune devra être publiée suite à une rencontre entre les responsables des deux parties dont le niveau sera déterminé ultérieurement. Cette déclaration commune devra aboutir à la rédaction d’un document regroupant les principes qui constitueraient la base des procédures à suivre pour le développement des relations [entre les deux pays], pour le retrait [de l’armée turc], pour la lutte contre le terrorisme ou d’autres questions intéressant les deux parties.
L’importance de ce document qui devient une référence est qu’il organise les négociations, interdit les manœuvres ou les sautes d’humeur de n’importe quelle partie, et constitue un outil ou une aide sur lesquels les initiateurs des négociations pourront s’appuyer pour que leurs efforts mènent vers le succès. Cette étape proposée par la Syrie est donc celle de l’établissement des bases et des principes qui préparent le succès ultérieur des procédures.
C’est pourquoi il n’est pas vrai que la Syrie a déclaré que si le retrait [de l’occupant turc] n’avait pas lieu, il n’y aurait pas de rencontre syro-turque, comme le répètent des responsables turcs de temps à autre. Un tel discours est loin de la réalité. Nous travaillons sur cette question de manière systématique et réaliste. L’important est que nous ayons des objectifs clairs et que nous sachions comment avancer vers ces objectifs.
Mais quelles que soient les éventuelles avancées, leur base sera la souveraineté, leurs frontières seront la souveraineté, et leur critère sera la souveraineté. Et quand on parle de souveraineté, on parle du Golan.
Ce Golan dont les enfants nous ont donné tant de leçons. Ils ont démontré que l’absence de souveraineté sur leur terre ne signifie pas l’effondrement du patriotisme dans leur conscience, mais plutôt son élévation dans leur échelle des valeurs ; que l’occupation étrangère d’une terre n’implique pas la vente de son honneur ; que le patriotisme n’est ni une apparence ni une prétendue identité, mais une affiliation profondément enracinée, une loyauté et une fidélité.
Ils nous ont donné la leçon la plus éloquente, à savoir que le siège des esprits est plus dangereux et plus meurtrier que le siège des ventres. Car les effets du siège des moyens de subsistance peut être atténué par une dignité précieuse, une moralité élevée, une âme fière, des valeurs nationales et un esprit créateur d’idées et de solutions. Quant aux effets du siège des esprits, il peut mener à un suicide de masse et à la vente de la patrie sur le marché politique des esclaves.
Depuis plus de six décennies que le Golan est occupé, ses enfants ont résisté à l’encerclement hermétique, à l’annexion injuste, à l’identité sioniste fasciste, à l’occupant oppressif et sont toujours restés fermement enracinés dans leur conviction, inébranlables dans leur choix, réservant les battements de leur cœur et leur âme à la Syrie et pour la Syrie jusqu’à ce qu’ils retournent vers elle et qu’elle leur revienne.
Nous avons en eux, comme en tous les enfants de la patrie qui la défendent, en nos martyrs et leurs familles, en nos héroïques blessés, en chaque Syrien qui a fièrement résisté, s’est sacrifié sans que sa volonté ne soit brisée, a enduré toutes sortes de souffrances et de douleurs sans vendre sa dignité, et aussi dans les combattants de la Résistance au Liban, en Palestine, en Irak et au Yémen, autant d’exemples, de modèles et de guides à suivre sur le chemin de la libération, de la dignité, de l’honneur et de l’indépendance accomplie.
Dr Bachar al-Assad
Président de la République arabe syrienne
Transcription et traduction par Mouna Alno-Nakhal