Par Charles Gave
7 octobre 2018
Si je devais résumer les articles que j’ai lus depuis que la « guerre commerciale » a commencé entre les États-Unis et la Chine, il me faudrait utiliser la célèbre formule que d’aucuns ont attribuée au Maréchal de Mc Mahon : « Hier, nous étions au bord du gouffre, aujourd’hui nous avons fait un grand pas en avant ».
À lire tous ces braves plumitifs dont l’incompétence ne le dispute qu’à la suffisance, nous serions au bord de la catastrophe, l’économie chinoise va s’effondrer, le retour de la grande dépression est imminent et d’ici peu, il va falloir se balader en bicyclette et en robes de bure, chaussées de brodequins de chrétiens de gauche et claquant des dents sous la bise glaciale qui ne va pas manquer de se lever. Nous serons à la fois pauvres et laids. Curieusement, ce sont les mêmes qui nous disent depuis des lustres que la surpopulation entraînera la pénurie et que nous allons devoir nous promener à bicyclette, etc. (voir plus haut) si nous ne sacrifions pas immédiatement à la déesse Gaia (voir mon article sur la nouvelle Foi). J’imagine que dans le premier cas, ils pensent qu’eux aussi devront circuler à vélo à la place de se balader dans le second cas en voiture officielle bien chauffée, mais je suis peut-être injuste en pensant que ce qui les affole serait de se retrouver avec les gens du peuple, dont ils parlent beaucoup, mais qu’ils n’ont jamais rencontré. Il est étrange de constater que ceux qui adorent l’Humanité détestent le peuple.
À mon humble avis, ces bienfaiteurs de l’humanité sous-estiment gravement la capacité des Chinois à se préparer à ce qui leur apparaissait comme inévitable, c’est-à-dire un mouvement vers le protectionnisme de la part des Américains. Car en fait, les autorités de l’Empire du Milieu se préparent depuis dix ans au moins à cette éventualité et sont tout sauf surprises, car depuis 2008 au moins, ils organisent avec beaucoup de soin ce que j’ai appelé dans nombre d’articles « la dédollarisation de l’Asie ».
Je m’explique.
Pourquoi 2008 ? Parce que c’est le moment ou les Chinois se sont rendu compte que nos banquiers centraux étaient des plaisantins dont le seul but était de demander au bourreau « encore cinq minutes » puisqu’ils n’hésitaient pas à foutre en l’air leur monnaie plutôt que de forcer les politiciens à s’attaquer aux réformes de fond. Inutile de dire que la crise de l’Euro de 2012 et les « solutions apportées », qui consistaient à ruiner les épargnants pour permettre le financement à fonds perdu des États sociaux-démocrates les a renforcés dans cette conviction. Leur impression très nette fût que nous étions devenus incapables de « boire la soupe amère » (que l’on boit après une cuite) pour utiliser leur expression ce qui veut dire que nous serions devenus incapables de nous imposer la moindre contrainte, aussi temporaire et légère serait-elle.
Car qu’ont-ils vu en 2008 ? Alors que tout le commerce interasiatique se passait exclusivement en dollar, d’un seul coup, après la faillite de Lehmann-Brothers, il devint impossible de trouver le moindre dollar sur le marché des changes et importations et exportations asiatiques s’écroulèrent pour la simple raison que le numéraire (le dollar) n’était pas disponible. Et pourquoi ? Parce que les grandes banques françaises financent ce commerce international, ce qu’elles font en empruntant de l’argent à New York pour le prêter en Asie. Et pendant quelques mois, le banques françaises et étrangères ne purent plus emprunter du tout à NY.
Et depuis, les autorités chinoises se baladent partout en demandant aux Coréens, Taiwanais et autres, pourquoi diable facturez-vous vos clients étrangers en dollar ? Ce à quoi lesdits Taiwanais et Coréens répondent que la volatilité de leurs monnaies était trop forte, les mouvements de change trop importants, ce qui leur faisait courir des risques qu’ils ne pouvaient prendre. Qu’à cela ne tienne, répondirent les Chinois, que chacun s’occupe de la volatilité de sa propre monnaie vis-à-vis du Yuan et nous nous occuperons du reste ! Après tout si chacun maintient sa monnaie vis-à-vis du Yuan dans des limites étroites, tout le monde sera stable.
Et voilà le résultat.
Et ce que l’on voit apparaître après 10 ans, c’est un très joli serpent monétaire du style de celui que l’on avait en Europe avant l’introduction du détestable Euro. Et du coup, tout le monde peut faire du commerce dans sa monnaie nationale, celui qui serait en déficit pouvant se faire financer sans difficulté par la banque centrale chinoise ou par les nouvelles institutions internationales créées par les autorités chinoises dont je vais parler maintenant.
Car les autorités chinoises ont créé il y a quelque temps un nouveau FMI et une nouvelle banque mondiale dont ils offrirent une part du capital à tous les pays qui le voulaient bien, non seulement en Asie, mais partout ailleurs, ce que la Grande-Bretagne s’empressa d’accepter, mais pas le Japon…Et du coup, si un pays a un problème, le nouveau FMI s’en occupera et si un autre a besoin de capitaux a long terme, la nouvelle banque mondiale sera très heureuse de fournir des prêts à long terme, en Yuan …
Continuons
Pour prévenir un ralentissement à craindre si les USA devenaient protectionnistes, quoi de plus normal que de préparer des listes de grands travaux à effectuer dans tous les pays d’Asie dans le cadre des nouvelles ‘routes de la soie » qui relieront tous ces pays à …la Chine, tant il est vrai qu’il n’existe pas d’empire sans que toutes les routes ne mènent à Rome.
Hélas, la Chine reste très dépendante et du pétrole et du dollar, puisqu’il lui faut payer ce pétrole en dollars… Qu’à cela ne tienne, Xi et Poutine ont passé des accords selon lesquels la Russie fournira de plus en plus de pétrole et de gaz à la Chine, la Chine finançant les pipelines, et ce pétrole sera payable en yuan et non plus en dollars, ce qui change tout. Il devient en effet beaucoup moins indispensable pour la Chine de gagner des dollars puisqu’elle peut acheter tout ou partie de son énergie en yuan…
Oui, mais voilà, du coup la Russie va se retrouver avec plein de yuans, dont elle ne saura pas trop quoi faire…
Aucun problème, la Chine a ouvert au début de cette année un marché à terme du pétrole, non pas en dollar comme tous les autres marchés à terme de l’or noir, mais en Yuan, ce qui permettra à tous ceux qui passeraient des contrats à long terme avec la Chine de se couvrir sans difficulté, sans passer à aucun moment par le dollar et sans risque donc de tomber sous le joug des lois américaines, qui ont une fâcheuse tendance à s’appliquer de plus en plus aux non-Américains.
Et si la Russie a encore trop de Yuans après s’être couverte, la Chine semble prête à convertir ces yuans en … or et pour ce faire stabilise sans doute le cours de l’or en Yuan qui a été extraordinairement stable depuis deux ans. Chaque fois que l’once d’or passe en dessous de 8200 yuans par once, « quelqu’un » achète de l’or et ce quelqu’un est très probablement la banque centrale chinoise. Tout se passe comme si la Chine garantissait que le prix de l’or ne sera pas autorisé à baisser en dessous de 8200 y, ce qui donne une garantie de stabilité à tous les détenteurs de yuans.
Bien entendu, tout cela pourrait être le fruit du hasard, mais je n’en crois pas un mot.
Les Chinois savaient depuis longtemps qu’un conflit commercial était inévitable avec les USA et ils ont soigneusement préparé le terrain.
Qu’est que tout cela veut dire en termes de placements ?
Voilà qui est simple.
La plupart des observateurs scrutent le cours du yuan vis-à-vis du dollar tous les jours et en tirent toutes sortes de conclusions qui n’ont aucun intérêt.
La seule chose qui compte pour la Chine est la stabilité des monnaies asiatiques vis-à-vis du yuan. En aucun cas, il ne faut que la monnaie chinoise dévalue contre les autres monnaies asiatiques, puisque cela les rendrait moins compétitifs et les affaiblirait. La Chine a sans aucun doute décidé de passer par pertes et profits ses excédents avec USA, qui ont sans doute duré plus longtemps qu’ils ne l’espéraient et vont s’attacher à organiser LEUR zone.
Et comme tous ces pays vendent plus à la Chine qu’aux USA (dans un rapport de 3 à 1) et que le taux de croissance des exportations asiatiques vers la Chine est le double du taux de croissance des exportations asiatiques vers les USA, le lecteur comprendra sans peine pourquoi ces pays savent de quel côté leur tartine est beurrée…et écoutent avec beaucoup de soin ce que leur dit l’oncle Xi.
Qui plus est, dans le passé, quand le dollar montait, comme tous les emprunts locaux avaient été effectués en dollar, la région s’appauvrissait et les bourses locales baissaient. Et quand le dollar baissait, tout montait.
Et comme le dollar est monté cette année, tout le monde a vendu avec abandon l’Asie, ce qui était sans doute une erreur en raison des préparatifs de la Chine dont peu de gens ont perçu l’importance. Et donc, à mon avis, cette baisse récente constitue une occasion d’achat, non pas simplement sur la bourse chinoise (qui n’est pas chère), mais aussi sur toutes les autres bourses asiatiques qui péteront à la hausse le jour où les marchés se rendront compte que l’Asie est devenue indépendante du dollar.
Quand cela se produira-t-il ? Aucune idée. Je n’ai jamais eu le moindre sens du « timing » et, en plus de quarante ans de carrière je n’ai jamais acheté le jour du plus bas ni vendu le jour du plus haut. Mais 10 ans après, cela n’avait plus aucune importance.
Aussi, je pense en toute honnêteté que le meilleur portefeuille pour les années qui viennent sera constitué par des positions qui seront 50 % en obligations longues de l’état chinois et 50 % d’actions dans la zone Asie ex Japon.
Et demander à quelqu’un comme la HSBC de vous le constituer ne doit pas être au-dessus des capacités d’une banque dont le siège est à Hong-kong/Londres (après avoir été à Shanghai).
Et je signale immédiatement aux râleurs de services (si, si, il y en a parmi les lecteurs de l’IDL) que je ne toucherai aucune commission de cette vieille institution dont l’origine remonte au trafic de l’opium au XIXe siècle, ce qui rassurera tout un chacun sur sa solidité financière, et qu’en tout état de cause, comme tout un chacun, je peux me tromper et que les fonds propres de l’IDL seront insuffisants pour compenser leurs pertes.
Par contre, ils peuvent être certains que s’ils perdent, je perdrais sans aucun doute autant qu’eux.