par Edouard Husson 20 décembre 2024
Le Courrier des stratèges
Nicolas Sarkozy vient de voir sa condamnation dans l’affaire des écoutes confirmée par la plus haute juridiction française. On pourrait répéter, comme les chansonniers parodiant l’ancien Président: quelle indignité! Et je constate que bien des courtisans de jadis tournent le dos à l’ancien président; bien des bénéficiaires de sa présidence sont devenus amnésiques. Mais, si l’on regarde les choses plus froidement, on est sidéré de voir l’inconscience avec laquelle la caste creuse sa propre tombe. Un instinct de survie devrait dire à Emmanuel Macron qu’on ne laisse pas condamner un de ses prédécesseurs. Plus généralement, c’est tout le réseau des dirigeants français qui aurait dû faire attention au moment où la réputation diplomatique et financière de la France s’effondre. On ne met pas sans conséquences un bracelet électronique à la cheville d’un ancien président de la République. Tout ceci nous dit, au cas où nous ne l’aurions pas compris, que la fin est proche pour la caste française
Certains de nos lecteurs ne comprendront pas que je défende Nicolas Sarkozy, par exemple parce qu’ils lui reprochent le Traité de Lisbonne. Ou pour bien d’autres raisons estimables.
Oui, c’est vrai, j’ai été membre du cabinet d’un ministre de François Fillon. Et j’ai été vice-chancelier des universités de Paris durant les deux dernières années du quinquennat. Concernant la politique universitaire, je considère que Nicolas Sakozy a été le meilleur président de la Vè République. C’est grâce à lui qu’existent aujourd’hui quelques universités de niveau mondial, bien classées par Shanghai: Paris-Saclay, Paris-Sciences et Lettres, la Sorbonne reconstituée, Paris-Cité, Strasbourg, Aix-Marseille, Grenoble, Bordeaux…..
Plus généralement, je suis loin d’approuver toute la politique de Nicolas Sarkozy – en particulier la campagne de Libye fut désastreuse. Pour autant, je suis étonné qu’on ait oublié aussi facilement comment le navire a été piloté durant la crise financière et monétaire; comment Sarkozy n’a cédé à aucune pression de la rue; comment, aussi, il fut le dernier président capable de résister aux pressions d’un chancelier allemand.
Est-il besoin d’ajouter que tous ceux qui ont observé Nicolas Sarkozy à l’Elysée, connaissent sa capacité de travail, sa maîtrise des dossiers, la pression qui pèse sur les épaules d’un homme qui prend au sérieux sa fonction. Combien parmi les magistrats qui font tout, depuis des années, pour « se payer » Sarkozy, ont-ils jamais travaillé 10% de ce qu’est le travail effectif d’un président en fonction?
Et puis, surtout, je considère qu’il n’y a qu’un seul juge, pour les présidents de la République: c’est le suffrage universel. C’est le peuple souverain qui a hissé un homme sur le pavois; c’est lui qui peut ne pas lui renouveler son mandat. Cela vaut absolution ou condamnation. On doit s’arrêter là.
Faire condamner un ancien président, quoi qu’on pense de lui, c’est affaiblir le pays
Ai-je besoin de préciser que je n’ai jamais aimé Jacques Chirac mais j’ai détesté sa condamnation, en 2011, pour deux ans avec sursis? J’avais pensé dès cette époque qu’un jour on condamnerait un ancien président à une peine ferme. J’avais jugé très imprudent Nicolas Sarkozy de ne pas avoir respecté la coutume selon laquelle un président nouvellement élu amnistiait de fait son prédécesseur. C’est faire preuve de sagesse. La France est un pays envié, jalousé, convoité par bien des puissances. Nos présidents sont ce qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts, mais nous devons, d’une certaine manière protéger, pour éviter de nous rendre vulnérables vis-à-vis des prédateurs internationaux, nos anciens présidents.
J’entends bien l’objection. Mais alors, un jour, si un président trahit l’intérêt national, vous ne voulez pas qu’il soit condamné? Mais il y a une procédure de destitution prévue par la Constitution, à l’article 68 (révisé en 2007). Nous faisons la distinction entre la personne et la fonction présidentielle. Si un président n’a pas été destitué durant son mandat, pourquoi voudriez-vous le poursuivre après coup pour « manquement à ses responsabilités » à moins que vous imaginiez le pays en guerre civile…..?
Des velléités de guerre civile non assumées
Mais revenons au fond des choses. A quoi avons-nous affaire avec la condamnation de Jacques Chirac ou de Nicolas Sarkozy? Des juges pensent que le suffrage universel ne vaut pas absolution. Ils estiment devoir, après la fin d’un mandat présidentiel, reprendre des affaires en cours. Et ils affirment – je ne me prononce pas sur le fond du dossier – que l’ancien président a essayé de faire pression sur la justice pour échapper à des poursuites judiciaires.
Je constate que des juges semblent prendre un malin plaisir à se mêler de politique dès qu’il s’agit de personnalités de droite. François Fillon a été mis en examen alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle. Et on a bien des raisons de penser que Marine Le Pen ne sera pas traitée avec autant de clémence que François Bayrou dans des affaires pourtant jumelles d’emplois financés par les fonds du Parlement européen.
Le problème, cependant, ne vient pas d’abord des juges, il vient du système politique lui-même: à partir du moment où le système politique règle ses comptes par l’intermédiaire des juges, cela veut dire qu’il est dans une sorte de guerre civile non assumée, où un ou plusieurs clans jugent qu’il n’est plus légitime de régler les affrontements politiques dans le cadre des institutions.
Simplement, on n’est pas dans une grande époque historique, où telle ou telle faction assumerait de déclencher une guerre civile ouverte, une révolution, des bains de sang. Non, nous avons affaires à des nains qui n’ont même plus l’énergie de se hisser sur les épaules des géants d’autrefois. Les gnomes qui peuplent les rangs de l’Assemblée, qui hantent les bâtiments du gouvernement, qui se précipitent sur des plateaux de télévision que plus personne ne regarde, se font des guéguerres au nom de « l’Etat de droit » (qu’ils écrivent bien sûr avec une majuscule). Que n’a-t-on entendu comme ricanements depuis l’annonce de la condamnation de Nicolas Sarkozy!
Comme des imbéciles, les liliputiens dont nous parlons dansent la farandole autour de la fosse dans laquelle ils tomberont bientôt.
Faillite des élites, faillite du pays
Chacun continue à vaquer à ses petites affaires.
La Grande Chancellerie de la Légion d’Honneur fait savoir qu’elle se prononcera bien dans quelques mois sur la radiation de l’ancien président de la Légion d’Honneur. Vraiment? Vous êtes sérieux? Vous ne voyez pas que vous atteignez par ricochet « celles et ceux » qui se sont vus décerner la légion d’honneur quand Nicolas Sarkozy était président?
Emmanuel Macron continue ses grands voyages sans imaginer un instant qu’on prend encore moins au sérieux le successeur détesté d’un ancien président condamné. François Bayrou ricane en pensant qu’il a bien fait de faire voter Hollande en 2012, sans mesurer qu’il est Premier ministre de plus grand chose. Encore une fois, si l’on faisait une révolution; si l’on savait vraiment rompre avec le passé, on comprendrait que les gouvernements d’aujourd’hui honnissent un ancien dirigeant français. . Mais non! La caste recycle toujours les mêmes! Darmanin et Retailleau jouent des coudes pour être du gouvernement Bayrou et n’ont pas eu un mot pour défendre l’ancien président à qui ils doivent tant.
Le plus évident dans l’aveuglement actuel, c’est que les gens en place ne voient plus le rôle que peut jouer Nicolas Sarkozy face à la menace qui pèse sur la solvabilité de la France. Vous n’aimez pas Sarko l’Américain? Au moment où les Etats-Unis vont lever ou baisser le pouce nous concernant, ce serait peut-être mieux d’avoir quelqu’un avec ses réseaux, son carnet d’adresses, ses….compromissions dans l’OTAN! Au moment où la France va chercher des prêteurs, vraiment, Emmanuel Macron ne peut avoir aucun usage d’un ancien président qui a connu la crise des subprimes et celle de la Grèce.
En réalité, la formule latine le dit bien: « Ceux qu’ils veut perdre, Jupiter les rend fous! »