le 16 juin 2020
La nouvelle est tombée ce matin : alors que les troupes chinoises et indiennes étaient prétendument en train de se replier très progressivement de part et d’autre de la LAC, la frontière temporaire, entre le Ladakh, partie indienne du Cachemire, et le territoire chinois, à la suite d’une importante confrontation militaire entre les deux pays depuis un mois, un affrontement entre les troupes chinoises et indiennes a conduit, pour la première fois depuis des décennies à des morts, semble-t-il des deux côtés d’après les dernières informations.
Sommes-nous déjà à la veille de la guerre ?
Il faut dire que les indices se sont multipliés ces derniers temps, qui semblent concordants même si pour chacun une interprétation différente peut être donnée.
On a vu un accroissement de la mobilisation des troupes chinoises , avec notamment un exercice de mobilisation de grande ampleur, par avion et de tout le territoire chinois, de soldats dont on ignore exactement s’ils sont rentrés chez eux ou ont été déployés au Tibet.
On a vu la Chine évacuer ses ressortissants d’Inde en prenant le prétexte du coronavirus.
On a vu le Népal, devenu vassal de la Chine depuis quelques années alors qu’il était traditionnellement celui de l’Inde, émettre des revendications territoriales inédites à l’encontre de l’Inde, sans doute poussée par la Chine, pour laquelle, le cas échéant, il pourrait servir de large porte d’entrée aux troupes chinoises dans les plaines du nord de l’Inde.
Tout en se disant ouverte au dialogue, la Chine n’a pas cessé de bander ses muscles le long de la frontière sino-indienne.
Et aujourd’hui, cet incident rappelle, et je l’ai évoqué depuis plusieurs semaines sur les réseaux sociaux, notamment ma page de veille La guerre de Xi, celui du Pont Marco Polo, par lequel le Japon avait trouvé prétexte à l’invasion générale de la Chine à compter de 1937.
Edgar P. Jacobs semble avoir été prophète en dessinant l’Usurpateur Basam-Damdu, dans Le Secret de l’Espadon, en 1946
La Chine et l’Inde peuvent-elles vraiment risquer une guerre, potentiellement nucléaire, pour une question de frontière en des terres inhospitalières ?
Il faut bien comprendre que la question ne se pose pas en ces termes, et qu’au contraire nous parlons ici d’intérêts vitaux pour la Chine, et semi-vitaux pour l’Inde.
Vitaux pour la Chine, car ses dirigeants savent qu’au point de puissance où elle est arrivée, elle devient un rival très sérieux pour les Etats-Unis, et que la confrontation se rapproche. Dans cette confrontation, elle se sait relativement isolée, et doit impérativement se rendre capable de résister et de vaincre pour ne pas revivre une humiliation comme celle du XIXe siècle contre les Occidentaux. Elle sait que les détroits stratégiques pour se fournir en hydrocarbures sont tenus par les USA, c’est pour cette raison qu’elle a créé le Corridor Economique Pakistan-Chine, qui offre un accès quasi direct aux sources d’hydrocarbures du Moyen Orient. Mais ce corridor passe par un territoire revendiqué par l’Inde, sur lequel la Chine elle-même n’a pas de droit direct. Si L’inde accroît son contrôle sur le Cachemire qu’elle occupe déjà et se met en tête de s’emparer du Cachemire pakistanais, le canal d’approvisionnement direct de la Chine serait coupé et sa situation géostratégique très dégradée, au point de l’exposer dangereusement à toute manoeuvre américaine. La sécurisation définitive du Cachemire occupé par le Pakistan est donc un but de guerre solide, suffisamment vital pour justifier l’exposition au danger.
Inversement pour l’Inde, qui se sait faible conventionnellement face à la Chine, et aussi au plan nucléaire puisque ces jours-ci, il a été rappelé dans la presse indienne que le stock d’armes atomiques indiennes est très inférieure au stock cumulé de la Chine et du Pakistan. Etre capable de couper les approvisionnements chinois est donc le principal atout de dissuasion de l’Inde : elle le peut dans l’Océan indien grâce à sa marine, mais doit pouvoir le faire aussi du CPEC, sinon la capacité maritime est sans effet. Renoncer à avoir cette capacité, pour l’Inde, c’est se placer définitivement en situation d’infériorité par rapport à la Chine, et elle ne peut l’admettre.
Les motifs de guerre sont donc sérieux, sans doute-même plus que les motifs essentiellement nationalistes existant entre l’Inde et le Pakistan.