Selon des rumeurs qui courent à Paris de manière insistante, il se dit que la contre-offensive ukrainienne annoncée depuis plusieurs mois déjà devrait être la dernière. L’Ukraine, entend-on, a besoin de prouver sa capacité à faire reculer la Russie avant de venir s’asseoir à la table des négociations. Pour qui suit le conflit de près, il devient évident que l’Ukraine est en position militaire très difficile. Le Courrier des Stratèges vous a même expliqué pourquoi, dans l’état actuel du rapport de force militaire, l’offensive annoncée n’aura peut-être pas lieu. Mais la présentation des choses qui devient monnaie courante dans les milieux informés à Paris nous révèle quelque chose de simple: tout le monde sait – même le pouvoir kiévien – qu’il faudra négocier. On peut anticiper sur une phase estivale où il y aura soit une offensive soit, tout simplement, un refus de négocier. Et puis, à l’automne, après dix-huit mois de guerre, on pourra aller s’asseoir à la table des négociations. Mais sera-t-il encore temps? Même si ce sont les États-Unis qui, de facto, négocieront avec la Russie, le temps joue contre le camp occidental: plus on attendra, moins il y aura à négocier.
Paris est restée l’une des capitales de la diplomatie, jusqu’à la fin de la Guerre froide. Notre pays est une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité. Du coup, il se dit encore beaucoup de choses intéressantes, chez les militaires ou les diplomates. A condition de savoir écouter – en particulier les silences ou ce qui n’est pas dit explicitement.
Évidemment, il faut fermer votre chaîne d’information continue favorite. Et puis il faut se rappeler qu’en bonne diplomatie, les choses les plus intéressantes sont souvent dites de manière anodine ou camouflées sous d’autres explications.
Contre-offensive ukrainienne: la der des der?
Eric et moi avons identifié une façon de formuler les choses qui se répand dans les cocktails-débats de début de soirée ou les dîners en ville.
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Et nous écoutons ce qui se dit.
Voilà ce que nous entendons depuis quelque temps: l’Ukraine va bientôt déclencher sa contre-offensive. Avec l’été, les conditions vont devenir favorables. Les Ukrainiens vont avoir la possibilité de prouver leur capacité à reprendre du terrain aux Russes. Une fois cette offensive réussie, le moment sera favorable pour aller à la table de négociation, en position de force. Il est encore trop tôt pour négocier. Il faut créer les conditions d’une négociation où l’Ukraine soit en position de force.
Donc il faut comprendre l’offensive ukrainienne à venir comme “la der des der”.
Un aveu de défaite?
Nous expliquons l’évolution du conflit, depuis son début, en février 2022. Ces derniers jours, nous avons été en mesure de vous dire que la chute de Bakhmout avait placé l’Ukraine dans une position militaire très inconfortable. Et nous vous avons expliqué les ravages que missiles, drones et aviation russes commencent à faire dans les stocks de munitions, les matériels livrés part les Occidentaux et les unités fraîchement constituées.
Nous en avons tiré la conclusion que la contre-offensive avait perdu en probabilité. Traduit dans le langage des dîners parisiens, cela donne: la contre-offensive, d’abord prévue au printemps, aura lieu cet été.
En tout cas, si l’on traduit ce qui se dit dans les milieux “informés”, on a en fait un aveu terrible sur la défaite ukrainienne inéluctable. Les Ukrainiens eux-mêmes, savent qu’ils ont perdu. La “contre-offensive d’été” signifie qu’ils refuseront de négocier encore cet été, avant de venir à la table des négociations à l’automne.
Mais n’est-il pas déjà trop tard pour négocier?
La question qui se pose est tout de même de savoir si les Ukrainiens et les Occidentaux n’ont pas laissé passer le moment favorable. Du côté russe, on aime bien rappeler qu’un accord avait presque été trouvé à Istanbul fin mars 2022. En réalité, il est probable que les esprits n’étaient pas mûrs pour arriver à un accord.
Mais entre mars 2022 et aujourd’hui, il y aurait eu bien des occasions de revenir à la table de négociations. Même maintenant! Et l’idée d’attendre encore plusieurs mois apparaît saugrenue. Puisque les Ukrainiens seront en position bien moins favorable pour négocier à la fin de l’été. Quel que soit le degré d’intensité de la “contre-offensive”, on imagine mal autre chose qu’une série de provocations ukrainiennes – type lancers de drones sur Moscou ; ou bombardements des zones civiles dans les régions de Lougansk, de Donetsk ; ou juste de l’autre côté de la frontière.
Cela ne peut avoir qu’une conséquence : l’intensification des frappes russes pour détruire l’appareil militaire ukrainien. On peut même imaginer, à un moment, un effondrement du front ukrainien.
Ce qui fait que, même si l’on se place du point de vue américain – puisqu’il est difficile d’imaginer que ce ne soient pas les États-Unis qui négocient, en fait, avec les Russes – la position de négociation sera beaucoup plus difficile à l’automne qu’elle ne le serait maintenant.
Les éléments les plus lucides à Washington, le disent bien : il faudrait geler le conflit, comme entre les deux Corées. Mais cela sera encore moins d’actualité à l’automne.
En tout cas, il vaut la peine d’écouter ce qui se dit, consciemment ou non, dans les milieux informés : l’armée ukrainienne est en très mauvaise posture.
Il nous semble idoine de dire qu’il vaudrait mieux arrêter les frais, les pertes, les durcissements d’un régime (ukrainien) qui ne tient pas sa société. Quand il est encore temps.