Depuis le début du mois de septembre, les relations entre le Maroc et l’Algérie ne cessent de se dégrader, pour des raisons que nous avions évoquées dans un précédent article. Depuis la rupture des relations diplomatiques par l’Algérie le 24 août, des déclarations et des actes malveillants n’ont cessé d’être commis : fermeture du gazoduc reliant le Maroc, interdiction faite aux avions militaires français de survoler le territoire algérien, déclarations belliqueuses à l’ONU, etc. Les tensions ont été ravivées par l’événement du 1er novembre dernier, qui demeure extrêmement flou.
D’après un communiqué de la présidence algérienne, trois camionneurs algériens, au volant de deux camions livrant du ciment à la Maurétanie, ont été bombardés et tués par l’armée marocaine.
« Trois ressortissants algériens ont été lâchement assassinés par un bombardement barbare de leurs camions alors qu’ils faisaient la liaison Nouakchott-Ouargla. […] Plusieurs facteurs désignent les forces d’occupation marocaines au Sahara occidental comme ayant commis, avec un armement sophistiqué, ce lâche assassinat. »
Pour une poignée de ciment
La Maurétanie a démenti avoir commis cette attaque, comme le Maroc. Plusieurs inconnues demeurent sur le lieu exact de l’attaque et sur sa réalité : combien de personnes ont été réellement attaquées, pour quelle raison et à quel moment ? La date n’a rien d’anecdotique en Algérie puisqu’elle correspond à la commémoration de la Toussaint rouge, le 1er novembre 1954, dont la série d’attentats a initié le début du conflit contre la France. Rien de tel donc pour réveiller le patriotisme algérien et de faire rejouer la lutte de l’indépendance par un pouvoir au plus mal. Aucune information non plus sur le contenu réel des camions. Contenaient-ils vraiment du ciment ou bien d’autres produits, par exemple des armes ou des munitions qui auraient pu alimenter le front Polisario ? On voit mal pourquoi le Maroc aurait bombardé deux camions de ciment, à moins que les services marocains aient été volontairement mal informés, afin de tomber dans un piège tendu par Alger. L’attaque aurait pu être conduite par des drones, le Maroc en ayant acheté récemment à la Turquie.
Beaucoup de floues, donc, mais la certitude que les rivalités entre le Maroc et Alger ne cessent de croître. Cela peut faire craindre une guerre réelle entre les deux pays ; guerre dont le Maroc n’a nul intérêt, mais qui pourrait servir les besoins immédiats de l’Algérie.
La guerre des sables
Rien n’est plus dangereux pour ses voisins qu’un régime à bout de souffle, chancelant, perclus dans sa vieillesse et à la tête d’un pays en faillite économique, morale et politique. Telle est aujourd’hui la situation de l’Algérie. Voilà plusieurs années que les analystes alertent sur le moment où Alger passera à l’après-Bouteflika. Celle-ci a été pour l’instant gérée avec beaucoup de stabilité, mais son remplacement par un autre militaire, Abdelmadjid Tebboune, né en 1945, ancien membre du FLN, ne fait que retarder les problèmes. Comme dans l’URSS des années 1980, la gérontocratie a pris le pouvoir de l’Algérie, ce qui n’est jamais une bonne chose pour un pays. Ce sont les anciens soldats du FLN qui dirigent le pays depuis 1962, sans qu’une nouvelle classe politique n’ait pu être formée pour en prendre la suite. La « rente mémorielle » est certes une ficelle utile, mais une ficelle élimée, surtout avec une population jeune pour qui la guerre d’indépendance est un souvenir très lointain. Ruinée, au bord de la faillite, n’ayant pas encore réglé la question de l’islamisme, l’Algérie est partie dans une dangereuse fuite en avant, qui n’est pas sans rappeler celle des colonels argentins, qui avaient attaqué les Malouines en espérant ainsi raffermir leur pouvoir.
Ces anciens du FLN espèrent-ils rejouer la guerre des sables de 1963 qui avait permis de consolider le nouveau régime ? Après plusieurs mois de tensions à la frontière algéro-marocaine, les deux pays avaient fini par s’affronter fin septembre 1963 pour reprendre des villages et le contrôle des routes passant dans le désert. Les violents combats s’étaient déroulés jusqu’au 5 novembre, après une intervention de l’Égypte et des négociations ouvertes à Bamako. Bien que soutenu par Cuba et l’Égypte, qui lui ont fourni un grand nombre d’officiers de l’air, l’Algérie avait été malmenée par un Maroc alors isolé sur la scène diplomatique, ni la France ni l’Espagne n’étant intervenues.
Tebboune a connu cette guerre et en garde la mémoire. Mais 58 ans plus tard, l’Algérie est isolée, pauvre et sans armée véritable. La raison interdit de penser qu’Alger puisse se lancer dans un nouveau conflit, mais pour tenter de sauver un régime fragile et chancelant, la raison a-t-elle encore sa place ? D’autant qu’Alger espère, dans cette opération, favoriser l’autonomie du Sahara occidental via le front Polisario et ainsi faire main basse sur les mines de phosphates et donc la manne financière qui s’ensuit. Plus que les Malouines, cette nouvelle guerre des sables pourrait s’apparente à l’attaque de l’URSS par Hitler pour tenter de prendre le contrôle du pétrole de Bakou.
Que peut la France ?
Plutôt que de se complaire dans une flagellation mémorielle hors d’âge au sujet de l’indépendance de 1962, sujet qui n’intéresse aucun Français, le gouvernement français devrait plutôt réfléchir à la stratégie à suivre et aux objectifs à atteindre. La France a tout intérêt à soutenir le Maroc dans sa revendication du Sahara occidental, notamment parce que de nombreuses entreprises françaises sont installées dans le pays et parce que le Maroc est le seul État du Maghreb a avoir maté l’islamisme et à être stable.
Mais nous n’avons non plus aucun intérêt à un effondrement de l’Algérie. Si tel était le cas, il faudrait immédiatement prendre position en Méditerranée pour éviter le flux des personnes, qui ne manquerait pas de déstabiliser un peu plus la France. Et c’est là où ce conflit nous intéresse directement. Le Sahara occidental est notre arrière-cour et ce qui s’y passe a de bien plus grandes conséquences pour nous que le Sahel. Une guerre entre l’Algérie et le Maroc ne se déroulerait pas uniquement dans les sables du Sahara, mais aussi dans les centres-villes de nos cités. Que fera la diaspora de l’un et de l’autre pays si les deux États en venaient aux armes ? Nous nous retrouverions alors champ de bataille piétiné par deux belligérants ; la guerre serait tout autant extérieure qu’intérieure.
La menace est si réelle et si forte qu’elle doit être prise très au sérieux et qu’il appartient aux autorités de s’y préparer. L’objectif premier est de faire retomber la tension en Algérie pour éviter l’irréparable. En juillet 1830, la prise d’Alger par les Français n’avait pas empêché au même moment la chute de Charles X. Celle du président Macron pourrait-elle aussi venir d’Alger, lui qui, lors de sa campagne de 2017, avait lancé une opération de repentance depuis l’Algérie.