Edouard Husson et Éric Verhaeghe 16 octobre 2023
Pour Israël, la riposte au Hamas se présente par le siège
On le sait : les accouchements par le siège sont les plus dangereux, les plus compliqués, les plus douloureux. Et c’est pourtant à un siège, celui de Gaza, qu’Israël s’est attelé, et c’est par ce siège qu’Israël entend répondre à l’attaque terroriste du Hamas menée il y a huit jours. C’est aussi par ce siège, semble-t-il, qu’Israël entend durablement régler la question épineuse d’un Hamas décidément dangereux, et celle d’une population palestinienne dont la présence à Gaza empêche la réalisation du Grand Israël tant rêvé par le Likoud au pouvoir. Beaucoup de Dr Folamour occidentaux ont mené une vraie opération de lavage de cerveau pour justifier par avance un nettoyage ethnique par l’armée israélienne. Mais cette solution douloureuse ne constitue-t-elle pas un piège pour Israël, dont l’armée pourrait s’enliser dans de redoutables combats de rue qui exigent un moral d’acier et des moyens longs et colossaux pour être gagnés ?
Pour éviter la censure prochaine du Courrier des Stratèges par Macron, rejoignez nous gratuitement sur Telegram !
Entre Israël et le Hamas, les atrocités s’accumulent : selon le ministère palestinien de la santé, plus de 2 450 Palestiniens ont été tués et plus de 9 000 autres blessés lors de frappes aériennes israéliennes. Les attaques palestiniennes n’ont pas cessé. Elles ont déjà fait plus de 1 500 morts et plus de 3 000 blessés parmi les Israéliens.
Pour autant, malgré la violence de l’attaque du Hamas, les Israéliens ne se sont pas encore lancés dans la guerre totale qu’ils avaient semblé annoncer. Des affrontements entre des groupes palestiniens et l’armée israélienne ont bien été signalés. Quelques centaines de roquettes ont été tirées sur Haïfa et Tel-Aviv.
Des affrontements entre le Hezbollah et l’armée israélienne ont été signalés dans les zones frontalières. Le Hezbollah aurait détruit deux chars Merkava.
On s’attendait à une entrée de l’armée israélienne dans Gaza dans la nuit de samedi à dimanche. Elle a été repoussée de quelques jours, officiellement pour cause de mauvais temps. En réalité, si vous suivez le fil du journal israélien Haaretz, vous constaterez que la classe politique israélienne est loin d’être unie derrière le Premier ministre.
Les obstacles militaires et diplomatiques sont nombreux.
Les difficultés d’une conquête de Gaza par Tsahal
Parlons d’abord des difficultés militaires!
C’est un sujet tabou mais la précision, l’organisation et la brutalité de l’attaque du Hamas le 7 octobre font hésiter plus d’un membre du gouvernement et le commandement militaire. La question qui se pose : et si le Hamas avait préparé un deuxième coup?
Même sans imaginer une embuscade, l’armée israélienne est-elle prête pour se lancer dans une guerre au sol, au milieu d’une population hostile, mobilisée par la haine contre un envahisseur qui a tué des milliers de civils? Soit les combattants du Hamas utilisent les réseaux de souterrain; soit ils se cachent au milieu de la population.
Inévitablement, l’armée israélienne aura la tendance aux représailles et à l’intensification des bombardements. Ce qui aggravera la crise humanitaire et retournera jusqu’à l’opinion occidentale. Ajoutons une autre question taboue: l’armée israélienne, qui eqt en partie une armée de conscription, aura-t-elle la résistance mentale pour une “sale guerre”?
Si l’on ajoute la probabilité d’avoir à se battre sur deux fronts, puisque le Hezbollah menace, au-delà des escarmouches actuelles, d’entrer plus sérieusement dans le conflit, on imagine la difficulté pour Tsahal.
Enfin, la question est de plus en plus ouvertement posée de la capacité israélienne à tenir dans une guerre longue. Le pays deviendrait dépendant d’approvisionnements américains. Or les USA ont épuisé une grande partie de leurs stocks en Ukraine.
Les chars devant Gaza et le Liban, une gesticulation ?
Un chroniqueur militaire russe expérimenté, Andreï Medvedev ; en vient à écrire, ce dimanche 15 octobre :
La concentration d’équipements le long de Gaza fait penser à la préparation d’un défilé. Les obusiers, les véhicules lourdement blindés, les véhicules blindés de transport de troupes et les chars alignés en rangs serrés constituent une excellente cible. Tant près de Gaza que le long de la frontière libanaise. Et il est évident que si le Hamas disposait d’artillerie et de drones, et si le Hezbollah en avait l’envie (il dispose en tout cas d’artillerie et de drones), l’armée israélienne aurait subi de sérieuses pertes.
Slavyangrad (Telegram)
Est-ce à dire, que les blindés israéliens bien alignés pour une opération au sol repoussée au dernier moment de plusieurs jours, relèvent de la même gesticulation militaire que l’envoi de deux porte-avions américains en Méditerranée ?
Peut-être le gouvernement israélien prépare-t-il une issue diplomatique à l’abri des opérations aériennes contre Gaza et contre quelques cibles au Liban et en Syrie. Cependant, sans même mentionner l’effet désastreux des bombardements de civils innocents à Gaza, les obstacles diplomatiques sont nombreux.
À front contre front diplomatique
Pendant que les blindés se regroupent, que les roquettes pleuvent ou sont interceptées par le dôme de fer, que les immeubles gazaouites sont bombardés par les Israéliens, on sent bien que le temps est à la diplomatie, et que les chancelleries du monde entier sont agitées par des rencontres plus ou moins secrètes.
Au premier rang, Anthony Blinken, le secrétaire d’Etat américain que nous avons évoqué, semble jouer au maximum la carte de la désescalade relative face à un rapport de force encore très incertain. Il a réalisé un tour complet du Proche-Orient pour tenter de désamorcer le cycle de l’embrasement général, en tenant parfois des propos controversés sur le droit qu’aurait Israël à ne pas respecter… le droit de la guerre. Les USA ont toutefois tenu à préciser que l’ordre d’évacuer Gaza donné par les Israéliens n’avait pas été discuté avec Blinken, et Joe Biden a décliné la proposition d’une visite de solidarité en Israël.
On retiendra surtout que la Maison-Blanche est entrée en contact avec l’Iran pour déconseiller toute escalade, comme les Iraniens annonçaient vouloir la pratiquer, notamment par l’entremise du Hezbollah.
Il faut dire que ce conflit se déploie dans un chaos diplomatique généralisé.
L’Union Européenne a finalement renoncé à interrompre son aide financière à Gaza, contrairement à ce que la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen (qui briguerait le poste de secrétaire générale de l’OTAN) avait initialement annoncé. Celle-ci a soulevé une tempête de protestation en se rendant en Israël, et en y déclarant qu’Israël avait le devoir de protéger sa population, sans un seul mot pour le nécessaire respect du droit international.
A rebours de cette position, le Vatican a dénoncé l’attaque du Hamas, mais a exprimé sa préoccupation pour les populations civiles de Gaza et a plaidé pour une solution à deux Etats.
Cette position est à l’instar des positions prises par de nombreux États du Sud, qui proclament leur solidarité avec les Palestiniens et augurent d’un rapport de force défavorable pour les Occidentaux.
Ainsi, les Égyptiens comme les Jordaniens ont annoncé qu’ils refuseraient toute entrée, sur leur territoire, de réfugiés gazaouites chassés de leur terre par les Israéliens. Selon les principes en vigueur en Israël, le droit au retour n’est en effet accordé qu’aux Juifs, selon la loi de 1950, et les Palestiniens en sont exclus. Cette disposition explique la persistance de nombreux camps de réfugiés palestiniens un peu partout au Proche-Orient.
L’expulsion des Gazaouites poserait donc un vrai problème humanitaire, difficile à résoudre de façon satisfaisante pour l’Occident.
Les puissances des BRICS ont également apporté leur soutien aux Palestiniens. Le Président brésilien Lula a appelé le président égyptien Al-Sissi pour évoquer la mise en place d’un couloir humanitaire et pour plaider en faveur d’une solution à deux Etats. Le Président sud-africain Ramaphosa a exprimé sa solidarité avec la Palestine.
Plus gênant encore : le ministre chinois des Affaires Etrangères a affirmé qu’Israël dépassait les bornes du droit à la défense de son peuple. La veille, le Président Poutine avait affirmé qu’une opération terrestre à Gaza entrainerait des pertes civiles inacceptables.
Autrement dit, la situation évolue progressivement vers un affrontement entre un Occident mal préparé et manifestement peu déterminé à rester uni, et le reste du monde, défenseur assumé de la Palestine face à Israël.
Pour les Israéliens, et plus globalement pour les Occidentaux, le rapport de force est donc d’ores et déjà défavorable. Après une première rupture dans la foulée de la guerre en Ukraine, la deuxième guerre du Kippour pourrait très bien déboucher sur une confrontation bloc contre bloc qui, dans la durée, ne sera guère favorable à l’Occident. Les États-Unis l’ont bien senti : l’affaiblissement de l’imperium américain constitue désormais un problème, et les actions unilatérales que l’Occident a pu mener après l’implosion du bloc soviétique dans les années 90 deviennent beaucoup plus difficiles à réitérer.
Comme Edouard Husson l’avait souligné, ce nouveau conflit marque probablement un tournant pour l’hybris occidentale : nous ne sommes plus les maîtres du monde.