Si rien ne change, si nous étions impliqués dans un conflit majeur, nous connaîtrions une défaite semblable à celle de mai-juin 1940
Le premier numéro du Défricheur-Démineur paraissait en 2017.
L’objectif qui guidait alors la Fédération des Opex de France (FOF) était de présenter des analyses aussi impartiales que possible à propos de sujets d’importance tels que : « la liberté d’expression dans les Armées, Qu’est-ce qu’un chef ? la menace islamique, le format de la Marine, le programme Scorpion de l’Armée de Terre, l’ensauvagement en France ... »
Avec ce numéro 10, nous ne dérogeons pas à notre règle en vous proposant tout d’abord une analyse du Projet de Loi de Finances 2023 pour les Armées (PLF23) puis le résultat de notre réflexion au sujet du décret 2022-128 de février 2022 modifiant les modalités de fixation de la valeur du point d’indice des pensions militaires d’invalidité (PMI) et autres prestations.
Bonne lecture à tous
Pour la France Par la FOF Nous agissons
Colonel ® Daniel Péré
Projet de loi de Finances 2023 (PLF 23) présenté par le Ministère des Armées en novembre 2022.
Ce texte commence par un extrait du discours du Président de la République prononcé le 13 juillet 2022 :
« Il y avait des décennies, des décennies que les Lois de Programmation militaire (LPM) n’étaient pas respectées année après année. Nous avons fait l’inverse et nous allons poursuivre dans cette voie ».
Faisant écho à cette déclaration, dans son édito présentant le PLF23, le Ministre des Armées précise :
« Dès 2017, le Président de la République a décidé de stopper l’érosion de nos capacités militaires. Depuis, chaque annuité de la LPM a été respectée avec une hausse de 1,7 milliards d’euros.
Le PLF 23 renforce cette promesse faite à nos soldats avec une nouvelle augmentation de 3 milliards d’euros. Depuis 2017, la nouvelle trajectoire a permis de faire passer les crédits des Armées de 32,3 à 43,9 milliards d’euros. »
Le PLF23 détaille ensuite dans un autre chapitre les mesures sociales envisagées envers les familles, la condition militaire en général et la politique réservée aux Anciens combattants en particulier que nous présentons dans la deuxième partie de ce Défricheur-Démineur.
Nous nous bornerons ici à l’examen des moyens (effectifs, équipements, matériels majeurs, infrastructures, en livraison et en commande) dans nos Armées en vue de ce qu’il est convenu désormais d’appeler et de mener « un combat de haute intensité dans une économie de guerre. »
En préambule, nous revenons sur l’année 2017, présentée à l’envi, par le Président de la République et le Ministre des Armées comme l’aube aveuglante du grand Renouveau qui a arrêté le déclin de nos capacités militaires et favorisé l’irrésistible remontée en puissance de nos forces armées.
Trois mois après l’élection du Président de la République, c’est-à-dire en juillet 2017, la LPM en cours d’exécution a été amputée de 850 millions d’euros ce qui a entraîné de facto la démission du Chef d’état-major des Armées (CEMA) qualifié de poète par le servile Ministre de l’intérieur de l’époque.
Plus près de nous, en mars 2022, le plan résilience pour l’accueil des réfugiés ukrainiens a contraint le Ministre des Armées, dans le cadre de la solidarité gouvernementale, à céder 400 millions d’euros afin de participer au financement de cette politique d’accueil, que nous respectons au plan humanitaire, évalué à 6 milliards d’euros.
En mai 2022, la frégate multi missions (FREMM) Normandie, basée à Brest, a été dépouillée de ses brouilleurs (dispositif de guerre électronique actif) au profit de la frégate (FREMM) Lorraine opérant en Méditerranée. 7 brouilleurs avaient été commandés alors que 8 frégates sont en activité. Ce déficit matériel essentiellement dû à des contraintes budgétaires engage la sécurité des bâtiments et des équipages déployés dans les zones à risques.
Sous le coup de nouvelles contraintes budgétaires, en poursuivant avec l’exemple de la Marine, la situation peut s’avérer encore plus désastreuse pour les commandes à venir de 5 frégates d’intervention (FDI) dont il n’est pas prévu à l’heure actuelle de les équiper de système électronique actif (brouilleurs et leurres) et de 10 patrouilleurs pour l’outre-mer (POM) dont l’armement est, à ce stade, réduit à un anémique canon de 40 mm et quelques mitrailleuses !
Examinons maintenant dans leurs grandes lignes les données chiffrées du PLF 23.
S’agissant des effectifs, nous apprenons que 29 700 recrutements sont envisagés. Ce volume à première vue significatif se voit réduit à seulement 1500 créations nettes de postes qui seront répartis dans les domaines de la cyberdéfense, du renseignement, le soutien aux exportations et enfin aux unités opérationnelles. D’ailleurs, afin de respecter le volume imposé de créations de postes en termes budgétaires, il a été décidé, à titre de compensation, de supprimer une compagnie de combat dans les RIMA par exemple.
Souvenons-nous qu’entre 2008 et 2014 les effectifs de nos Armées sont passés de 241 000 à 203 000 personnels militaires. À l’heure actuelle ils n’atteignent que 208 000 personnels militaires aux côtés de 63 000 personnels civils.
Concernant les matériels majeurs, souvenons-nous qu’en 1991, les Armées disposaient de 1350 chars lourds contre 200 aujourd’hui,
680 avions de combat contre 250 et 37 grands bâtiments de surface contre 19.
Les matériels commandés et ceux prévus en livraison dans le PLF23 sont censés renouveler les capacités opérationnelles et soutenir la crédibilité des forces armées en portant un double effort sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) et l’acquisition de munitions.
Les commandes n’indiquent pas de date d’achèvement, pour l’essentiel, elles consistent
pour l’Armée de terre 420 véhicules blindés légers SERVAL, 22 hélicoptères de manœuvre NG
pour l’armée de l’air et de l’espace : 42 Rafale
pour la Marine : Lots de missiles mer-mer Exocet et mer-air Aster
Les principales livraisons consistent pour l’armée de terre en :
- – 18 chars Leclerc rénovés,
- – 264 blindés légers Griffon, Serval et Jaguar,
- – 5 Hélicoptères de combat NH90,
- – 180 véhicules tactiques polyvalents non blindés (VLTP)
Pour la Marine :
- – 3 avions de patrouille rénovés,
- – 1 patrouilleur outre-mer (POM),
- – 1 sous-marin nucléaire d’attaque (SNA),
- – 1 bâtiment ravitailleur de forces (BRF),
- – 1 frégate rénovée,
- – 5 hélicoptères légers H160,
- – Lots de missiles mer-mer Exocet.
Pour l’Armée de l’air et de l’espace :
- – 13 Mirage 2000 rénovés,
- – 3 avions ravitailleurs multi-rôles Phénix,
- – 13 Rafale,
- – 2 avions de transport Atlas 400 M,
- – 9 avions d’entrainement PC-21,
- – Lots de missiles Scalp et Mica d’interception,
- – 1 satellite de télécommunication Syracuse,
- – 37 stations tactiques satellitaires,
Afin de soutenir la crédibilité des Forces, le PLF23 prévoit un effort particulier sur le maintien en condition opérationnel (MCO) par le déploiement d’outils numérique, l’optimisation des flux de la chaîne logistique et la capacité de fabrication en impression 3D (disposition supplémentaire de pièces de rechange).
Le PLF 23 envisage également un effort particulier pour l’acquisition de munitions de tout type dans une logique de renouvellement des stocks et de montée en puissance.
Concrètement, cela se traduira notamment par la livraison des premiers lots de bombes de forte puissance issues de la filière française et de missiles air-air Mica.
Napoléon disait en 1793 : « on peut rester jusqu’à 36 heures sans manger ; mais l’on ne peut rester trois minutes sans poudre et des canons arrivant 3 minutes trop tard n’arrivent pas à temps ».
Nous profitons de cette déclaration intemporelle pour examiner une faille majeure dans notre système de défense : le démantèlement en particulier de notre industrie de munitions de petit calibre (selon un article de l’école de guerre économique paru en octobre 2022).
La France abritait jusqu’en 2018, le leader mondial des machines de production de munitions de petit calibre : Manhurin. Malgré cette qualité et ce savoir-faire éminent, l’État décide de faire jouer le marché et abandonne sa participation de premier actionnaire de l’entreprise. Ainsi, l’État poursuit sa politique mercantile menée depuis plus de 25 ans. Cette politique considère le budget des armées comme variable d’ajustement au budget général et la production de munitions sert de variable d’ajustement au sein des armées !
Aveuglés par l’illusion de la paix éternelle et de ses funestes dividendes, les politiques ont considéré que les achats à l’étranger reviendraient moins chers qu’une production nationale.
C’est notamment la logique qui a prévalu dès 1999 lors de la fermeture de GIAT industries.
Compte-tenu des démissions successives de l’État, pour ce qui concerne les munitions de petit calibre, la France est dépendante des firmes ATK (USA) , MEN (Allemagne), BAE (Royaume uni), et CBC (Brésil).
Nous rappelons qu’en matière de relations internationales, il n’existe pas d’alliés mais uniquement des intérêts. En cas de guerre, alliances et partenariats ne tiennent plus. La seule constitution de stocks ne permettra pas d’assurer la défense et la sanctuarisation du territoire.
La relance de l’industrie de production nationale de munitions de tout calibre est primordiale. L’exemple de la guerre conventionnelle qui se déroule en Ukraine, consommatrice d’une quantité de munitions colossale journellement, devrait inciter l’autorité politique et les Chefs d’état-major, dans le contexte d’un affrontement de cette intensité, à privilégier
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d’urgence la mobilisation voire la transformation de nos capacités industrielles existantes à cette fin (comme ce fut le cas en 1914 -1918).
En conclusion, il est désormais acquis compte-tenu des insuffisances accumulées depuis 40 ans dans tous les domaines, qu’il faut procéder à une révision rapide, complète et en profondeur de notre concept de défense :
En ce qui concerne l’Armée de terre, il est vital de constituer un corps aéroterrestre de 300 000 hommes équipé en quantité d’armements puissants et modernes (1200 chars lourds, 300 canons Caesar blindés et à signature furtive, 200 LRU et 200 LRI, une défense Anti-aérienne et Anti-char conséquente, une flotte de 300 hélicoptères de combat, de manœuvre et de transport, et l’accroissement significatif des soutiens commissariat et santé).
En ce qui concerne l’Armée de l’air, elle n’a pas la « quantité » pour soutenir un choc dans la durée.
Son format a souffert au profit de l’export. En outre, la livraison d’une centaine de Rafale perçus en 15 ans s’est avérée insuffisante en volume et en rythme.
La cible fixée à 185 appareils pour 2030 est un minimum à comparer aux 600 chasseurs disponibles en 1991.
Actuellement, le volume est de 159 appareils répartis entre aéronavale et armée de l’air avec un taux de disponibilité de 60 pour 100.
Nous jouons donc avec le feu, car en cas de crise majeure, la moitié de la flotte sera « sanctuarisée » pour la dissuasion et nous n’aurons plus alors la supériorité aérienne. Nos forces terrestres et navales seront neutralisées avant même de pouvoir intervenir.
Pour ce qui intéresse la Marine, si elle se contente, comme c’est le cas depuis des années, d’un effort a minima c’est- à-dire remplacement un pour un des bâtiments en service sans déploiement de moyens supplémentaires de haut niveau : SNA, frégates, corvettes, porte-avions, avions de surveillance, drones sous-marins, et des effectifs portés à 80 000 personnels, elle montrera une extrême faiblesse.
Extrême faiblesse dans un monde marqué par le retour à la guerre navale classique étendue à tous les océans et mers du globe et le primat de la force sur le droit, exposant la Marine au déclassement et aux menaces (entrave du commerce international, sabotage de gazoducs et câbles de communication, actions accrues de piratage) auxquelles elle ne pourra pas répondre simultanément avec le maximum d’efficacité.
Le format actuel de la Marine et celui envisagés par le PLF 23 et la LPM 2019-2025 n’ont pas à l’évidence la « dimension » du domaine maritime français notamment dans l’océan Indien et l’océan Pacifique.
La prise en compte trop tardive de l’éventail des menaces, l’inadéquation du budget de la Défense sans cesse remis en cause et amendé à la baisse ont conduit notre Pays dans une impasse.
Sans méconnaître les efforts accomplis et envisagés, sous la pression des événements, dans le but de renforcer notre outil de défense, celui-ci demeure très insuffisant à hauteur de 2 pour 100 du PIB.
Si l’effort n’est pas porté à 4 pour 100 du PIB afin de développer à marches forcées une économie de guerre capable de permettre à nos forces armées de mener avec succès un combat de haute intensité, il est certain qu’à compter de 2023 si nous sommes impliqués dans un conflit majeur nous n’en sortirions pas vainqueurs.
Alors, nous subirions sans doute un combat de haute intensité mais celui-ci serait bref et nous connaîtrions une défaite semblable à celle de mai-juin 1940.
Décret 2022-128 de février 2022 (PMI)
Au sujet de la situation des Anciens Combattants en France, nous écrivions en 2018 :
« Les Anciens Combattants forment une population silencieuse, particulièrement méritante mais continuellement délaissée. Au cours des 40 années passées, il y a continuité de la part des gouvernements successifs dans l’indifférence à leur égard. Hormis lors des cérémonies patriotiques où les autorités politiques, toujours avides d’apparence et de considération devant les médias, consentent furtivement à leur serrer la main, les Anciens Combattants ressentent douloureusement qu’ils sont les grands oubliés de la Reconnaissance Nationale.
Ils sont las de solliciter comme une faveur ce qui leur est dû au titre de leur engagement au service de la France. »
Depuis 2018, le budget consacré au Monde Combattant est passé d’un peu plus de 3 milliards d’euros à moins de 1,8 milliards d’euros.
Le 4 février 2022, un décret est paru modifiant les modalités de fixation de la valeur du point de la PMI.
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Après étude, le décret nous est apparu, comme un carcan administratif d’une complexité diaboliquement calculée * destinée essentiellement à différer sur le moyen terme (1° janvier 2024) les augmentations éventuelles de la PMI, de telle sorte que le décalage cumulé entre inflation et revalorisation déjà abyssal soit une nouvelle fois accru.
* Nous citons ici deux phrases en particulier du décret :
« La valeur du point est ainsi fixée annuellement à compter du 1° janvier 2024. Elle est indexée sur l’évolution cumulée et constatée de l’indice d’ensemble des traitements bruts de la fonction publique du troisième trimestre de la pénultième année au deuxième trimestre de l’année précédente inclus. »
« Tous les 2 ans, un rapport comparant l’évolution de la valeur du point et celle de l’inflation est adressé au Parlement ».
Il est important de noter que la baisse régulière du budget est disproportionnée par rapport à la baisse budgétaire engendrée par la seule disparition physique des ayants-droit.
Ainsi, en l’espace de 5 années, si la baisse des allocataires a été de 38 pour 100, le budget quant à lui a été amputé de plus de 47 pour 100.
Une PMI à 100 pour 100 attribuée aux bénéficiaires du statut de grand mutilé correspondait au 1° janvier 2005 à 93,5 pour 100 du SMIC. Au 1° janvier 2021, la même pension ne représentait plus que 78,7 pour 100 du SMIC, soit une perte de 14,8 points de pension.
Après la parution de ce décret, et compte-tenu de la très forte inflation et de l’augmentation du point d’indice de la fonction publique de 3,5 pour 100 intervenue au 1° juillet 2022, la secrétaire d’État aux Anciens combattants a annoncé que la revalorisation du point PMI, interviendrait dès le 1° janvier 2023 au bénéfice de 850 000 allocataires.
Cette nouvelle disposition présentée comme une faveur accordée au Monde combattant se solde par :
- – Une date de prise d’effet décalée de 6 mois (1° janvier 2023 au du 1° juillet 2022),
- – Une perte de 0,5 pour 100 (3,5 pour 100 au lieu de 4 pour 100) par rapport aux autres catégories de la population qui ont bénéficié, à juste titre, des mesures d’anticipation.
Dès lors, une fois encore, Le Monde combattant tenu par le sentiment du devoir silencieux qui le dessert, sans soutien médiatique, sans appui parlementaire, desservi par les associations officielles courtisanes, déplore qu’il demeure le grand oublié de la Reconnaissance Nationale.
A l’heure où en France, l’esprit patriotique se délite et le sentiment d’appartenir à une même communauté s’effondre, ce sont la Raison et le Cœur qui devraient présider aux décisions le concernant. La Raison car le Monde Combattant forme une population fidèle aux idéaux de la République. L’autorité politique peut compter sur lui en temps de guerre, lors d’une crise comme en temps de paix. C’est un gage essentiel pour la cohésion nationale.Le Cœur car il s’agit d’hommes et de femmes qui ont souffert. Au combat ou en zone hostile, ils ont démontré leur courage et leur abnégation.
Aujourd’hui, ils se consacrent, bénévolement pour la majorité d’entre eux, au service des autres et en particulier aux blessés, et aux familles des disparus.
Dans le domaine des propositions concrètes, nous en présentons deux :
- 1- Il faut poser et respecter le principe d’obligation d’utiliser les marges budgétaires annuelles résultant de la disparition physique des ayants-droit. Cette disposition permettrait de satisfaire de façon définitive la principale revendication qui demeure la revalorisation du point d’indice affectant le montant de toutes les prestations servies.
- 2- La retraite du Combattant ne possède aucun des critères d’un régime de retraite (pas de cotisation, pas de réversion, un montant unique versé quel que soit le statut du bénéficiaire). En conséquence et dans un souci d’harmonisation avec la gestion des Harkis, et de considération envers les Anciens combattants, nous proposons de changer son appellation en « Allocation de Reconnaissance aux Anciens Combattants ». En outre, le montant actuellement dérisoire de cette allocation devrait être affecté de 60 points au lieu de 52.Colonel Daniel Péré