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Ces réseaux criminels que la guerre en Ukraine contraint à se rabattre vers l’Europe

avec Xavier Raufer

Ces réseaux criminels que la guerre en Ukraine contraint à se rabattre vers l’Europe
La région des Carpates à cheval sur plusieurs Etats de l’Est européen abrite depuis longtemps de nombreux gangs et trafics dont le débouché naturel a longtemps été Odessa.

II – HORIZON PROCHE : Aux confins de l’Europe, une immense et toxique zone grise

Parlant parfois de théoriques « guerres hy­brides » mais incapables de concrétiser ce concept, les militaires-jugulaire de L’OTAN semblent renouveler, sur le front Ukraine-Russie, l’erreur terrible de leur campagne antiserbe, en 1999 : l’oubli de la mafia albanaise. L’OTAN savait tout de cette mafia : un épais document « très se­cret » de l’OTAN la dépeignait en détail ; mais sur place, nul ne l’in­quiéta : elle était dans le camp des « gentils », face au mé­chant Milo­sevic.

Dans la guerre Russie-Ukraine, l’aveuglement perdure. En un total silence – nul média d’in­for­mation n’en n’a parlé – il affecte une super-Sicile, une Alba­nie puis­sance 100 : l’arc carpa­tique. La plus vaste d’Europe, cette chaîne montagneuse s’étend de la Pologne à la Serbie, via la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie, l’Ukraine et la Roumanie ; la seule frontière Rouma­nie-Ukraine fait 650 km de long. Montagnes de 2 500 m., plateaux escarpés, vallées perdues, fo­rêts im­menses abritant la plupart des grands carnivores d’Europe (Loups, ours…), les Carpates sont hors-contrôle de­puis toujours. Une mosaïque de peuples, de langues et religions, aux « frontières » floues et élastiques où surnagent les timides bureaucraties (d’usage, corrom­pues…) d’États qui, trop souvent, n’y font que passer.

Saint-Empire romain-germanique… Empire ottoman … Austro-Hongrois … Bloc communiste… l’aire carpatique est le perpétuel refuge des bandits d’honneur, ou Haïdouks, plus féroces ici, encore, que dans les Balkans ; de nomades criminalisés, contrebandiers irriguant la Mitteleu­ropa, tribus rebelles et guérilléros. Criminalité bien sûr transfrontière car ici, les « frontières » relèvent de la fiction polie. À l’orée même du champ de bataille Russie-Ukraine, un immense chaudron de sorcières, traversé de flux d’armes, d’argent, de brigands, migrants et réfugiés. Chaudron dont l’OTAN ne dit rien, ne sait rien – ou ne veut rien savoir – et qui pourtant, est fort dangereux.

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Ce 22 juillet, le très sérieux Evening Standard de Londres souligne ainsi qu’aux Carpates, des « Gangs cherchent à intercepter des cargaisons d’armes ukrainiennes pour les vendre au mar­ché noir ». Information venue du renseignement britannique, ici prudent car Londres soutient l’Ukraine à fond. Or si, depuis février 2022, Kiev reçoit pour des milliards d’armement, la ges­tion de ses arsenaux est obscure – le fameux « brouillard de la guerre ». Entre autres, Europol s’inquiète du trafic de ces armes, des sources de terrain confirmant qu’entre Pologne et Ukraine (zone des Car­pates : suffit de lire une carte), des bandits achètent en espèces des armes légères, ensuite infiltrées dans l’Union Européenne (missiles antichars, lunettes de vi­sion nocturne, gilets pare-balles high-tech, etc.).

Péril d’autant moins théorique que le débouché séculaire des trafics de l’arc car­patique est Odessa, ville aujourd’hui assiégée et quasi-encerclée côté mer – pas optimal pour trafiquer. Pour cet arc, l’Europe reste le seul débouché praticable : orientale (Roumanie, etc.) ; occiden­tale, (Pologne, Tchéquie ; de là vers le sud et l’ouest). Preuve : un trafic illicite inondant les mé­tropoles et banlieues françaises : celui des cigarettes. Contrefaites, de contrebande, ou les deux, ces cigarettes vendues en France viennent d’abord de Belgique, où de multiples lieux de stockage existent près de la frontière française. De là, les enquêtes remontent vers des socié­tés-écran, facilitant un trafic massif issu des Carpates.

Aux confins de la Roumanie, de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Po­logne, la Transcarpatie est depuis toujours un carrefour de contrebande. Dans cette région, les enquêtes de l’U.E. ci­blent des individus issus d’Arménie, de Géorgie, de Po­logne, de Russie et d’Ukraine. Les in­cul­pations les visant sont « Importation et détention en contre­bande et en bande organisée de tabac manufac­turé… Blanchiment en bande organi­sée… Blan­chiment douanier… Détention en contrebande et en bande organisée de marchan­dise contre­faisante…, etc. ».

Aux confins de la Pologne, de la Tchéquie et de la Hongrie, dans l’arc carpa­tique même ou en usant comme tremplin d’exportation ou lieu de repli, existe, de­puis l’abolition du bloc de l’Est, une industrie de fabrication de stupé­fiants de synthèse. Or si la route Odessa – Biélorussie est coupée, ces drogues chimiques prendront la route du sud et de l’ouest. Pour un camionneur local, « Ça vient de tous les côtés » : stupéfiants, al­cool, cigarettes, électroménager, ali­ments. À 40 km de Slovaquie et de Hongrie, Moukachevo, petite ville transcarpate, est typique des cités criminelles : Juarez à la frontière texane, côté mexicain… Iguazu-Ciudad del Este, aux con­fins Paraguay-Argentine-Brésil, etc. En Transcarpatie, règnent des politiciens cor­rompus de di­verses ethnies, soutenus (ou contrôlés) par des milices « patriotiques » dotées de blindés et armes lourdes ; affrontant parfois la police ou les armées locales.

Un mélange de bandes armées, trafiquants et « forces de l’ordre » sou­doyés et « protégés » par les minorités nationales – la région, millénaire ka­léidoscope ethnique, n’en manque pas. Comme partout, ces clans criminalisés contrôlent les filières de contrebande. Di­verses milices et « brigades pa­triotiques » vivent de ces trafics, désormais orientés ouest, de­puis le blocage d’Odessa. Avec un taux de profit énorme : pour un expert local, un poids-lourd des Car­pates, livrant à bon port ses cigarettes dans l’U.E., laisse un profit net d’environ 450 000 € (logistique et corruption payées). L’expert estime que chaque semaine, trois à cinq de ces camions pas­sent « la frontière », dans l’indifférence de douaniers « amadoués » par les bandes ar­mées lo­cales, voire par la police même…

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