14 septembre 2022
Jean-Baptiste Noé, Institut des Libertés
Tous les monopoles sont exécrables, surtout ceux qui émanent du capitalisme de connivence, car ils font croire à la concurrence alors qu’il n’en ait rien. La concurrence est nécessaire au système économique, notamment pour permettre l’inventivité, l’amélioration de la qualité, la baisse des prix. Mais elle est aussi indispensable au monde intellectuel, rappelant que le libéralisme n’est pas une pensée économique, mais d’abord une pensée du droit. Concurrence de la presse, concurrence des écoles, des universités, des idées, des pensées. La concurrence est le corollaire indispensable de l’esprit scientifique.
Contre l’unanimité
On le voit sur le sujet du réchauffement climatique qui est régulièrement asséné au motif que « tout le monde défend cette idée ». La science n’est pas une démocratie : la majorité ne fait pas une vérité scientifique. Une proposition est juste non pas parce qu’une majorité la soutient, mais parce qu’elle est en accord avec la méthode expérimentale. Quand le médecin hongrois Ignace Semmelweis préconisa à ses confrères de se laver les mains avant de réaliser un accouchement, il fut moqué et combattu. La majorité était contre lui : se laver les mains allait à l’encontre des idées scientifiques du moment. L’avenir lui donna raison et cette modeste pratique permit de sauver la vie de nombreuses femmes.
Quand on interdit toute concurrence dans le débat des idées, c’est que nous ne sommes plus dans le domaine scientifique, mais idéologique. Peut-être que l’action humaine cause le réchauffement climatique, mais ceux qui défendent cette idée doivent répondre, de façon rationnelle, aux arguments de ceux qui contestent tout ou partie de leur démonstration. Or aujourd’hui, dans le débat public, la concurrence intellectuelle est rétrécie pour imposer un monopole des idées.
Il en va de même sur les questions internationales. L’unanimisme impose d’être pro-Ukraine ou bien, ailleurs, d’être pro-Russe. Incapacité à écouter les arguments de l’autre, à les confronter à ses propres arguments, à les réfuter et donc à progresser aussi dans sa propre connaissance.
Les keynésiens sont utiles
Même les hérétiques sont utiles à la science, car par leurs questions, leurs erreurs, leurs doutes, ils permettent d’approfondir des questions qui auraient été ignorées ou à peine évoquées. Les hérésies chrétiennes d’Arius et de Luther ont permis d’explorer de nouveaux champs et d’approfondir de nouveaux points. Il en va de même en matière économique : les keynésiens empêchent les libéraux de se reposer sur leurs lauriers, ils les contraignent à chercher, à démontrer, à explorer. Leur rôle est donc essentiel pour améliorer la science économique.
Pour que la pensée puisse être libre et se développer, elle doit être indépendante de l’État. De la même façon qu’il doit y avoir une distinction entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux, il faut aussi qu’il y ait une séparation entre l’État et l’Université. Ce qui en France n’est absolument pas le cas. Une université d’État n’est pas une université. Elle en a le titre et le nom, mais elle n’en possède pas le principe. Si l’État possède la collation des grades, s’il finance les recherches via les subventions et les bourses, s’il régit la règle pour le recrutement des professeurs, alors l’université n’est pas libre, mais soumise au pouvoir politique, c’est-à-dire au discours politique. La première réforme à opérer pour restaurer la dignité des professeurs est de séparer l’école de l’État, c’est-à-dire de permettre au pouvoir intellectuel de ne plus dépendre du pouvoir politique.
Ces derniers mois, j’ai suivi et accompagné un certain nombre de thésards dans leur demande d’obtention de bourse doctorale. J’ai vu d’excellents dossiers déposés, émanant d’étudiants qui avaient fait de très bonnes choses en master, qui disposaient d’un dossier sérieux et du soutien de leur directeur de thèse. Tous les dossiers qui n’avaient pas les termes écologie ou genre dans leur intitulé ont été rejetés. Tous ceux qui avaient ces mots magiques ont pu obtenir une bourse ou un contrat doctoral. Cela en devient une blague à l’université : « l’écologie dans la pensée militaire de Jules César » aura une bourse contrairement au sujet « La pensée militaire de Jules César ». Voilà où conduit la soumission du pouvoir intellectuel au pouvoir politique. Il est ensuite aisé de dire que tous les scientifiques défendent le réchauffement climatique ou l’idéologie du genre puisque c’est la condition sine qua non pour obtenir des financements et pour avancer à l’université. Mais ici, nous ne sommes plus dans le domaine de la méthode scientifique.
Savons-nous dialoguer ?
Il ne peut y avoir de pays civilisé sans capacité à dialoguer, c’est-à-dire à faire usage du logos, de la raison. Dans les banquets de Platon, les commensaux exposent librement leurs idées et leurs désaccords et c’est de cette confrontation acceptée que la vérité peut émerger. La violence, l’insulte, le terrorisme intellectuel n’ont pas leur place. C’est l’exact inverse de ce que nous connaissons aujourd’hui. La vérité n’est pas cherchée, mais l’idée commune imposée. La méthode scientifique n’est pas respectée. La science n’est même plus un sujet. Nous sommes dans une ère de sentimentalisme et de sensiblerie. À l’université, rares sont les étudiants qui acceptent d’étudier la pensée des autres, qui acceptent même de reconnaitre qu’ils ne savent rien, qu’ils doivent lire et apprendre. Imbibés d’écologisme naturaliste depuis le primaire, nous sommes confrontés à une génération qui refuse le savoir, la logique, la rumination intellectuelle et qui a peur de tout. On en vient à regretter la gauche d’avant, qui était tout aussi violente et sectaire que celle d’aujourd’hui, mais qui était au moins cultivée.
Vivre-ensemble sans commun ?
La France a toujours été divisée, sur les plans politiques, spirituels, intellectuels mais elle disposait malgré tout de quelques communs qui faisaient l’unanimité et qui permettaient le vivre-ensemble. Le Tour de France, le football et le rugby rassemblaient des gens de gauche et des gens de droite, des chrétiens et des anticléricaux. La table et la gastronomie étaient les lieux par excellence du commun et du partage. Les écologistes tentent aujourd’hui de briser ces communs, en interdisant le Tour de France, en attaquant le vin et la viande. S’il n’y a plus de commun, il est difficilement envisageable de penser un vivre-ensemble. Même les émotions, du sport, de la table, de la culture, ne peuvent plus être partagées. Tout devient motif à guerre et à lutte, à arrière-pensée et à guerre civile. Le comportement voulu par quelques-uns est imposé à tous, sans respect de la concurrence des modes de vie et des libertés personnelles. C’est le retour de la pensée magique et c’est la fin de la vie en société.