Aussi étonnant que cela paraisse, compte tenu de mon aspect juvénile, j’ai bientôt 79 ans, et cinquante et un ans d’expérience professionnelle dans ce foutu métier qui n’a été inventé que pour que j’ai fréquemment l’air idiot.
Et ce papier va me faire courir une fois de plus le risque de passer pour un économiste non sérieux, un économiste sérieux étant un homme – ou une femme – qui se trompe tout le temps- mais en même temps que tous les autres. En ce qui me concerne, je me suis souvent trompé dans le passé, il m’est parfois arrivé d’avoir raison, mais la plupart du temps, que j’ai eu raison ou tort, j’étais tout seul dans mon coin. Et il est plus facile, surtout en France, d’avoir tort avec tout le monde que raison tout seul dans son coin…
Pour donner un sens à ces propos sibyllins, il me faut préciser ici la façon dont je travaille. Jamais je ne cherche à faire une prévision. Toutes les erreurs que j’ai faites dans le passé venaient de la même cause : une erreur de diagnostic. J’investis en fonction de ce que je sais avec certitude. Et donc si je me trompe sur ce que je crois savoir, les résultats seront décevants.
Prenons l’exemple de l’inflation.
Ce qu’elle fera dans deux ans m’indiffère totalement, la seule chose qu’il m’importe de savoir est si le hausse des prix aujourd’hui accélère ou décélère, puisque c’est la seule chose aussi qui a de l’influence sur les marchés financiers.
Pour arriver au résultat recherché, je ne fais aucune confiance aux calculs mathématiques ou statistiques sophistiqués. Je ne construis pas une seule règle pour arriver à une conclusion, mais plusieurs. et quand une majorité de ces règles va dans le même sens, j’agis en conséquence.
- En premier, je chercherai à savoir si l’inflation dans chaque pays, USA, France, Suède, Japon… (je suis 40 pays), telle que mesurée par l’indice des prix de détail pour chaque pays, est en hausse structurelle ou pas ( j’utilise une formule statistique qui n’implique aucun jugement de ma part). En ce qui concerne les USA, l’indice des prix de détail, d’après cette formule, est passé en hausse structurelle pendant le premier trimestre 2021. Et depuis, je dis que les USA sont dans une période inflationniste et je changerai d’opinion quand les faits changeront, c’est-à-dire quand ma formule me le dira. Et quand l’inflation accélère dans un pays, à chaque fois, je cesse d’y gagner de l’argent.
- Puis, je prends mes quarante pays et je vois combien d’entre eux sont en inflation structurelle par rapport à ceux qui n’y sont pas. Au premier trimestre 1981, il y avait 20 % des pays qui étaient inflationnistes et 80 % des pays qui ne l’étaient pas. Aujourd’hui, 100 % des pays sont inflationnistes et c’est la première fois depuis des lustres. D’où je conclus que l’inflation est maintenant un problème mondialet que gagner de l’argent dans les actions va être… compliqué.
- Enfin, je prends les indices des prix des grands pays (USA, Allemagne, Japon, Grande-Bretagne, Chine) qui sont composés en général d’une quinzaine de sous-secteurs (nourriture, énergie, transports, éducation, santé etc.) et je vérifie combien de ces indices sectoriels sont en hausse et combien sont en baisse. Ce n’est pas du tout la même chose si les prix de détail ont grimpé de 5 % parce que le pétrole a quadruplé alors que rien d’autre n’a bougé, ou si tous les indices sectoriels ont grimpé entre 4% et 8 %. Aujourd’hui, tousles indices sectoriels sont en hausse, ce qui veut dire que le problème inflationniste est en train de toucher tous les secteurs et n’a que peu à voir avec la hausse du prix de l’énergie.
Et donc, nous sommes en plein dans une crise inflationniste d’anthologie, dont il va falloir sortir en utilisant les recettes habituelles et je peux assurer le lecteur que cela ne sera pas être une partie de plaisir. Et c’est là que je vais me servir de ma longue expérience pour expliquer ce qui doit être fait pour revenir à la stabilité des prix.
Si l’inflation, comme le disait Rueff : « c’est de subventionner avec de l’argent qui n’existe pas des dépenses qui ne rapportent rien » eh bien, il va d’abord falloir cesser de créer de l’argent magique certes, mais aussi absorber l’argent magique créé depuis quelques années : 55 % de l’argent créé aux USA depuis la guerre d’indépendance contre la Grande-Bretagne il y a deux cinquante ans l’a été dans les quatre dernières années…
En Europe , la croissance de M2 a été d’environ 35 % sur la même période, mais avec une croissance économique beaucoup plus faible.
Le patient américain et le patient européen ont donc été sous perfusion constante d’argent gratuit depuis des années, ils vont être durs à sevrer.
Pour retirer tout ou partie de cet argent excessif, et pour réduire la croissance de la masse monétaire dans le futur, il va falloir, comme toujours, que les taux d’intérêts passent significativement au-dessus du taux d’inflation, pour des raisons évidentes mais qui seraient trop longues à expliquer à ce point du raisonnement.
Admettons que le taux d’inflation pour la France dans les quatre ans qui viennent soit aux alentours de 3 % par an, ce qui correspond aux quatre dernières années.
Cela veut dire qu’il faudrait que les taux soient aux alentours de quatre %. Avec des taux à quatre %, lentement mais sûrement, au fur et à mesure que la dette ancienne arrive à échéance et est remplacée par de la dette nouvelle avec un taux plus élevé, le service de la dette passera de 1. 5% à 6 % du PIB à la fin du deuxième mandat de monsieur Macron, ce qui veut dire qu’il faudra couper toutes les autres dépenses telles la défense, la police, l’éducation, les transferts sociaux d’au moins 50 %- ce qui est impossible.
Ce que je dis est simple : compte tenu de la dette accumulée depuis des décennies mais surtout dans les quatre dernières années par notre pays, la moindre hausse des taux d’intérêts nous ferait immédiatement rentrer dans une trappe à dettes Keynésienne, où le service de la dette croît beaucoup plus vite que la richesse nouvellement créée. Et comme une bonne part de notre dette est détenue par des étrangers, plus de 100 % de la richesse nouvellement créée ira à ces étrangers, ce qui veut dire que notre niveau de vie baissera inexorablement année après année.
Ce qui est inacceptable politiquement.
La conclusion logique est donc que la BCE va continuer à faire monter la masse monétaire (l’argent magique) en achetant les obligations d’Etat, puisqu’elle est la seule à pouvoir acheter « à perte » et que ces obligations de la zone euro vaudront à terme à peu près autant que leurs consœurs Vénézuéliennes ou Argentines , c’est-à-dire qu’elles vont aller tendanciellement à zéro.
Il ne peut pas en être autrement tant que l’Euro existe, ce qui veut dire que les pays du Nord vont devoir choisir entre continuer à ruiner leurs épargnants ou tuer l’euro, et donc abréger l’acharnement thérapeutique dont bénéficie le pauvre monstre depuis le fameux « whatever it takes » de Super Mario et procéder à l’exécution de la pauvre bête.
En termes simples, ni les pays du Sud de l’Europe, ni les USA ne peuvent monter leurs taux, c’est mathématiquement impossible, alors que les pays du Nord de l’Europe le pourraient
Les évènements avec la Russie arrivent au bon moment pour enlever toute velléité d’indépendance aux pays du Nord, ce qui veut dire qu’ils ne feront rien et que la BCE va continuer à émettre de l’argent magique, et donc que le cours de change ce qui n’a jamais été une monnaie, l’euro, va s’écrouler puisque le taux d’intérêt sera structurellement trop bas.
Quel effet sur le dollar, tout aussi malade ? Paradoxalement, au début, cela va le faire monter.
Imaginons qu’ en Europe, un certain nombre de sociétés aient d’un seul coup besoin d’acheter des dollars pour payer leur pétrole aux Saoudiens ou aux Qataris, ou leur huile et leur blé aux américains alors qu’avant elles payaient tout ça en euro, avant.
Et, bien sûr, elles n’ont pas le moindre dollar en réserve.
Elles vont faire deux choses : acheter des dollars avec les euros excédentaires qu’elles auraient, et acheter pour se couvrir, le pétrole ou le blé, ou le gaz dans les marchés à terme sur ces produits en dollar. Et si le pétrole , ou le blé, ou le gaz montent, elles seront l’objet d’appels sur marge, en dollar, alors qu’elles n’en auront toujours pas. Et il faudra en acheter ou en emprunter plus.
Et donc le dollar risque de continuer à monter, alors même qu’il devrait s’ effondrer, tout simplement parce que pétrole et matières premières sont libellées en dollar et que l’Europe est « short » le dollar d’un montant équivalent à celui qu’elle dépensait pour acheter les mêmes matières premières à la Russie en Euro. Et toute hausse du dollar renforcera la récession qui arrive aux USA, ce qui ne peut qu’entrainer des mesures protectionnistes à Washington.
Bref, et pour faire simple encore une fois, l’euro et le dollar sont dans un remarquable cercle vicieux, où la baisse de l’euro déclenche des achats de dollars , ce qui fait baisser l’euro encore plus et donc monter le dollar… et ainsi de suite, jusqu’à la faillite de ceux endettés en dollar qui sera suivi d’un effondrement de la monnaie américaine lorsque les achats forcés en provenance de la zone Euro cesseront.
Deuxième conclusion donc : les mécanismes qui existent aujourd’hui et qui n’ont rien à voir avec des mécanismes de marché amènent à une divergence explosive entre les économies américaines et européennes. Et la crise Russe ne fait que renforcer ces divergences.
Et c’est là que je dois revenir à mon discours sur la méthode, du début de cette note.
Depuis des années, j’ai bâti pour tous les facteurs économiques qui m’intéressent des outils de diagnostic .
J’en ai pour l’inflation , pour l’activité économique aux USA, en Europe, en Asie, pour le commerce international, pour le pétrole, pour les taux d’intérêts, pour les taux de change, pour l’or, au point que de temps en temps, quand je fais une revue d’effectifs parfois je m’y perds.
Pas cette fois-ci.
Que le lecteur veuille bien me croire, mais tous mes indicateurs ayant une relation (ou essayant d’en avoir une) avec ce qu’il est convenu d’appeler les actifs à risque (actions, obligations du secteur privé) sont au rouge vif, ce qui ne m’était jamais arrivé en cinquante ans de carrière.
Et je ne peux en tirer qu’une conclusion : les politiques imbéciles suivies aux USA et en Europe depuis vingt ans sont en train d’arriver à leurs limites et nous sommes peut-être beaucoup plus proches du feu d’artifice final que bien des gens ne le pensent.
Et les autorités ne pourront rien faire. Les banques centrales ne peuvent plus rien faire, les états sont complètement dépassés, tous nos hommes politiques sont des Lilliputiens, les Universités sont devenues des fabriques à crétins, la presse libre a disparu…
Le temps est peut-être venu, enfin, de procéder au grand reset, c’est-à-dire d’abandonner toutes ces politiques imbéciles pour revenir à des prix de marché. Nous sommes (peut-être) en train d’arriver à la fin de l’expérience sociale-démocrate qui a commencé en 1945 et qui, comme l’expérience communiste en 1990, est en train de s’écrouler sous ses propres contradictions. Et c’est ce qu’avait prévu Schumpeter. Comme la chute du mur de Berlin, ce serait une très bonne nouvelle, mais cela risque de secouer beaucoup…Je crains pour mon épargne, et pour la vôtre…
J’ai essayé de préparer le terrain, mais quand l’avalanche part , il vaut mieux ne pas être sur la piste en contrebas. Mon conseil est simple. Dans le cadre du portefeuille IDL 50 % fragile, 50 % anti fragile, j’arrêterai les opérations de re-balancement périodiques puisque nous risquons d’avoir un sacré coup de tabac sur les marchés des actions. La partie anti fragile montera, la partie fragile risque de baisser, sèchement. Si j’ai raison, vous aurez le temps de racheter vos actions.
Pourquoi ne pas vendre les actions et tout mettre en anti fragile tout de suite, me demandera le lecteur attentif ?… Parce qu’il m’est arrivé de me tromper, est ma réponse. Mais j’aimerais que la poussière retombe avant de recommencer à rebalancer. Pour ceux qui le peuvent et qui ont du cash, je créerai une position en Yen, incroyablement sous-évalué à cause du cercle vicieux entre le dollar et l’Euro.
Bref, si j’en crois mes propres outils, les conditions pour que nous ayons un Ursus Magnus (baisse de 50 % ou plus sur les marchés des actions) sont en train d’être réunies. J’en ai connu trois dans ma carrière, 1973-1974, 2000-2003, 2007-2009 . De l’autre côté de ces plantigrades, les opportunités étaient immenses. A condition bien sûr que le grizzly ne vous ait pas bouffé quand vous l’avez croisé .
C’est là qu’il faut se souvenir que le grizzly est le plus grand des carnivores existant sur terre en ce moment. J’en ai très peur.