Il y a quelques années, j’ai lu un papier qui racontait une expérience faite avec des singes. On mettait une dizaine de singes dans une grande cage, au sommet de laquelle on disposait de multiples friandises, fruits, bananes, bonbons etc… Tous les singes se précipitaient vers le haut. Ce qui déclenchait des jets d’eau glacés, des sirènes, des systèmes de claques automatiques dans toute la cage.
Au bout d’un certain temps, même le plus obtus des singes avait compris, et tout le monde restait en bas. C’est à ce moment-là que l’on faisait rentrer une dizaine d’autres singes. Dès que les nouveaux venus faisaient mine de vouloir aller vers le haut de la cage pour profiter des friandises, alors, les anciens singes leur mettaient une raclée, ce qui fait que plus personne n’allait vers le haut.
Alors, les expérimentateurs faisaient sortir les dix singes du départ pour les remplacer par dix nouveaux singes. Et le plus étonnant était que les dix singes du milieu, ceux qui avaient reçu la raclée des dix premiers singes mais pas les jets d’eau froide, immédiatement, se mettaient à taper sur les dix nouveaux singes avec beaucoup d’entrain.
Et plus personne n’allait vers le haut de la cage alors même que plus personne ne savait pourquoi…
Remplaçons les singes par des banquiers centraux, tant les ressemblances sont fortes.
Depuis des siècles, les banquiers centraux savaient qu’il ne faut pas cueillir les fruits défendus au sommet de la cage et pour ceux qui l’auraient oublié, la Bundesbank était là pour leur mettre une raclée. L’euro est créé en 2000, et en 2012, le pouvoir de la Bundesbank est détruit. Et tout le monde, sauf la Chine, et donc l’Asie, de se précipiter pour enfin bouffer les bananes et faire les choses défendues, aucun des banquiers centraux d’aujourd’hui n’ayant la moindre notion d’histoire économique ou financière puisque l’histoire de l’humanité a commencée avec l’ordinateur. Mais hélas, et comme on pouvait s’y attendre, les jets d’eau glacée, les sirènes et les tapettes automatiques sont en train de se mettre en branle et nos pauvres singes, pardon nos pauvres banquiers centraux qui ont sans doute un QI inferieur au chimpanzé de service, de se trouver tout désemparé, n’ayant pas la moindre idée de ce qu’il leur faudrait faire.
Le papier de cette semaine va donc être consacré aux banquiers centraux americains tandis que celui de la semaine prochaine analysera les actions de leurs confrères à la BCE
Commençons par les Etats-Unis.
D’habitude la masse monétaire (M2) aux USA était équivalente à la moitié du PIB US, ce qui voulait dire que la vélocité annuelle de la monnaie était de 2 environ.
Depuis la crise de 2009 et la crise européenne de 2012-2014 , toute prudence a disparu et la planche a billet a fonctionné à fond. C’est ce que montre le premier graphique. Quasiment 9000 milliards de dollars de monnaie excédentaire ont été créés ex nihilo depuis 2015.
Cet argent a d’abord été investis en actions, en obligations, en immobilier, poussant tous ces prix à la hausse, ce que tout le monde trouvait très sympathique.
Hélas, quelques années après, arrive toujours la deuxième étape, où les prix qui montent ne sont plus les prix des actifs mais les prix de détail, ce qui assure rarement la réélection des politiciens qui ont déclenché la vague inflationniste, et c’est ce que montre le deuxième graphique.
Le but d’une politique inflationniste est toujours de procéder à « l’euthanasie du rentier » et donc de ruiner les épargnants en pratiquant des taux réels négatifs (hachures vertes sur le graphique). Quelques mois ou trimestres après le début de l’euthanasie du rentier, la hausse des prix de détail commence.
Cette fois ci, elle a mis du temps à venir car, de 2010 à 2020, les prix du pétrole ont beaucoup baissé. Ce qui n’est plus le cas depuis un an, bien au contraire. Et si j’utilise les prix de détail hors logement (tant l’inflation sur le logement est bidouillée par les services statistiques US), je suis à 9 % d’augmentation des prix de détail d’une année sur l’autre, ce qui est tout simplement désastreux. Et les taux réels sont à – 7.35 % (voir graphique du bas ci-dessus), ce qui veut dire qu’à ce rythme-là le dollar perdra la moitié de son pouvoir d’achat en 10 ans, ce qui rend une crise du dollar inévitable.
Il faut donc faire baisser l’indice des prix de détail à tout prix.
Et là il n’y a que deux possibilités
- Que le prix du pétrole s’écroule, ce qui est très peu probable.
- Que la Fed monte les taux courts très brutalement, ce qui provoque à chaque fois une récession (encore une fois, voir le graphique ci-dessus).
Si le lecteur veut bien s’en donner la peine qu’il veuille bien vérifier que toutes les baisses de l’inflation se sont produites aux USA après que l’économie fût entrée en récession, sauf si le prix du pétrole venait à s’écrouler, comme en 1985. Et déclencher une récession pendant une année électorale n’est pas recommandé.
Mais il y a plus.
Si la masse monétaire est montée comme une fusée depuis quelques années, c’est tout simplement parce que la banque centrale achetait de la dette étatique dont les quantités émises explosaient. Le stock de dette est monté de 10000 milliards de dollars depuis 2014, ce qui est insensé. Quatre-vingt pour cent des dollars créés depuis le début de l’histoire des USA l’ont été dans les vingt dernières années.
Incidemment, 10000 milliards, c’est aussi le montant de la masse monétaire excédentaire émise depuis cette date.
Du coup, la dette américaine atteint maintenant le chiffre astronomique de 30000 milliards de dollars et elle a une « duration moyenne » de quatre ans, ce qui est très court. Toute hausse des taux d’intérêts se répercutera donc très vite sur le service de la dette et donc le déficit budgétaire.
Si donc la Fed montait les taux courts de 1 point, ce qui serait probablement insuffisant, la première année, le service de la dette augmenterait de 300 milliards, la deuxième de 600 milliards et ainsi de suite. Ce qui rendrait quasiment impossible le financement du déjà gigantesque déficit budgétaire (2700 milliards de dollars en 2021), sauf si la Fed continuait à acheter les obligations de l’Etat US, ce qui continuerait à entretenir l’inflation.
C’est vraiment pile je perds, et face je perds aussi.
Et donc, la Fed est dans une situation…difficile.
- Ou elle fait monter les taux, cesse d’imprimer et nous avons une crise de liquidité monstrueuse amenant à un énorme marché baissier sur le marché des actions et précédant une vraie récession, tout cela accompagné d’un dollar qui s’envole. A un certain moment, les obligations longues du trésor US redeviendront anti fragile, et il faudra les racheter, mais nous en sommes très loin. Dans cette récession, les obligations du secteur privé se ramasseront la gamelle du siècle et il ne faut pas en avoir du tout.
- Ou bien elle décide de faire des bruits verbaux en expliquant que l’on va voir ce que l’on va voir et c’est tout, en espérant un miracle, et l’inflation continue d’accélérer jusqu’au lents mais inévitables effondrements du marché obligataire et de la monnaie, mais pas automatiquement du marché des actions.
Connaissant par expérience le courage politique des hommes politiques et des banquiers centraux aux USA, je n’ai pas le moindre doute que la deuxième option sera suivie, celle de la politique du chien crevé au fil de l’eau. Si tel est le cas, il faut continuer à minimiser toutes les positions en cash et en obligations en dollar, et peut-être aller vers les actifs réels du type immobilier ou terres agricoles aux USA. Bien entendu. Il faut garder l’or et les obligations chinoises bien au chaud. Mettre tout son cash en monnaies asiatiques etc…
Hélas, il existe aussi un troisième scenario dont j’ai du mal à mesurer les risques. Dans un pays, quand les incompétents au pouvoir se rendent compte qu’ils sont coincés, la tentation est grande de se laisser tenter par une aventure extérieure, une guerre, pour parler une langue que tout le monde comprend. Je pense par exemple aux Colonels Grecs, aux Généraux Argentins à Saddam Hussein… Et quand je vois les bruits qui émanent de Washington à propos de l’Ukraine et de la Russie, j’ai des frissons dans le dos.
J’ose espérer que monsieur Poutine saura botter en touche au moment voulu.