Description
Pourquoi et comment Reccep Tayip Erdogan, que l’Occident adulait en 2005, lors du référendum sur le Traité européen, comme un « islamo-démocrate » défenseur des libertés publiques, est devenu un despote islamiste incarcérant d’innombrables journalistes, intellectuels, artistes, avocats, juges, universitaires, militaires… Pourquoi et comment cet « ami de l’Occident » est devenu l’un de ses pires ennemis, forçant l’embargo des armes sur la Libye au point « d’illuminer » dangereusement une frégate française, violant les eaux territoriales grecques et chypriotes pour y prospecter les gisements gaziers, poussant l’Azerbaïdjan musulman à attaquer les Arméniens chrétiens du Haut-Karabakh, multipliant les chantages au lâcher de réfugiés vers l’Europe… Pourquoi et comment ce musulman « modéré » a longtemps soutenu Daech, attaqué les Kurdes fer-de-lance de la lutte antidjihadiste en Syrie, et envoyé les égorgeurs de la poche d’Idleb combattre en Libye et dans le Haut-Karabakh…
La crise économique érodant sa popularité, Erdogan détourne l’attention de son opinion publique par des provocations internationales, au risque de graves conflits. Les militaires français planchent sur un scénario de guerre avec la Turquie.
Collection « le Cercle Aristote », dirigée par Pierre-Yves Rougeyron
Introduction
ERDOGAN : UN GÉNIE POLITIQUE
Recep Tayyip Erdogan est un génie politique. Son habileté manœuvrière a engendré l’installation durable des islamistes au pouvoir en Turquie en mettant fin aux dissolutions répétées de leurs mouvements par les militaires lorsqu’ils l’influençaient trop ou y accédaient. Après une première étape, émaillée de déclarations chargées d’islamisme radical et d’agressivité contre l’Europe et l’Occident lui ayant valu la confiscation de son mandat de maire d’Istanbul et la prison, Erdogan a bouleversé la stratégie islamiste de conquête du pouvoir en Turquie. Il a cofondé un parti cultivant une rhétorique modérée, pro-européenne et pro-occidentale, à rebours des usages de ce milieu. Cet aggiornamento scandaleux aux yeux des puristes lui a permis de séduire les élites de l’Union européenne (UE), de conquérir le pouvoir et surtout de s’y maintenir.
Après avoir castré politiquement l’armée turque, gardienne autoritaire de la laïcité, par le développement des libertés publiques visant à la priver de ses leviers de commande politiques, Erdogan a opéré un virage à 180 degrés : il a saccagé les libertés publiques qu’il avait développées, réprimé les élites turques kémalistes, c’est-à-dire laïcistes et pro-occidentales, ainsi que les opposants d’autres horizons. Il a lancé la Turquie dans une politique de revanche sur l’Occident responsable du démantèlement de l’Empire ottoman au sortir de la Première Guerre mondiale.
Cette revanche, Erdogan, lié aux Frères musulmans, la place sous la bannière d’Allah. Il veut faire de la Turquie l’État phare de l’islam, tout au moins de l’islam sunnite (85 à 90% du monde musulman). Il a déjà lancé des opérations de reconquête, en Libye, en Syrie, dans le Caucase, en Méditerranée orientale. Il projette son influence au-delà, en Asie centrale, en Europe… Il ambitionne de restaurer le Califat ottoman.
Un délire lié à l’ubris, la démesure ? En réalité, Erdogan est à prendre très au sérieux. Islamiste passionné, doué d’un grand talent politique, il est persuadé que le destin de l’islam est de prendre sa revanche sur l’Occident et de repartir à la conquête du monde.
En 2005, j’avais écrit un livre intitulé « 10 questions sur la Turquie et 10 réponses qui dérangent » (éditions Jean-Cyrille Godefroy). À ce moment-là, Erdogan était la coqueluche des élites occidentales qui voyaient en lui un islamiste « modéré », un « islamo-démocrate » ressemblant aux chrétiens-démocrates allemands. Ces élites souhaitaient vivement l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. Dans ce livre, je prenais le contrepied de cette vision qui dominait le débat public. J’annonçais qu’Erdogan installerait une dictature et ré-islamiserait la Turquie, après avoir neutralisé politiquement l’armée turque adepte d’un despotisme éclairé visant à maintenir les islamistes à l’écart du pouvoir. J’annonçais que son adhésion aux critères de Copenhague imposés aux candidats à l’entrée dans l’UE (pluripartisme, libertés publiques…) et son inclination affichée pour l’Europe et l’Occident se mueraient en une hostilité ouverte. J’annonçais qu’il lancerait la Turquie, chouchou de l’OTAN, dans une politique étrangère agressive d’inspiration néo-ottomane.
On y est.
Table des matières
INTRODUCTION : ERDOGAN, UN GÉNIE POLITIQUE
PREMIÈRE PARTIE : LE KÉMALISME, UN COUVERCLE POSÉ SUR LA MARMITE ISLAMISTE
Chapitre I – La parenthèse kémaliste
Chapitre II – Le recul du kémalisme a commencé dès 1946
Chapitre III – Rôle central des confréries religieuses dans la réislamisation de la Turquie
Chapitre IV – L’alévisme bektachi, un ferment d’opposition
DEUXIÈME PARTIE : L’IRRÉSISTIBLE ASCENSION D’ERDOGAN
Chapitre I – Un fils du peuple
Chapitre II – La montée vers le pouvoir
TROISIÈME PARTIE : LA PHASE DÉMOCRATIQUE DE L’EXERCICE DU POUVOIR PAR ERDOGAN
Chapitre I – Les libertés publiques contre l’armée
Chapitre II – Quand Erdogan souhaitait l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne
QUATRIÈME PARTIE : LA PHASE DESPOTIQUE DE L’EXERCICE DU POUVOIR PAR ERDOGAN
Chapitre I – Victoires décisives d’Erdogan sur les kémalistes
Chapitre II – Divorce entre Erdogan et la confrérie Gülen
Chapitre III – Guerre civile avec le PKK
Chapitre IV – Le coup d’État manqué de 2016
Chapitre V – 2018 : Erdogan hyper-Président
CINQUIÈME PARTIE – LE BELLICISME NÉO-OTTOMAN D’ERDOGAN
Chapitre I – Erdogan nostalgique de l’Empire ottoman
Chapitre II – La Turquie, État phare de l’islam
Chapitre III – Les guerres impériales d’Erdogan
Chapitre IV – Subversion de l’Europe par Erdogan
CONCLUSION – L’ESPRIT MUNICHOIS DES EUROPÉENS FACE À LA TURQUIE