L’année 2021 a débuté dans la douleur pour l’armée française avec cinq soldats tués, à chaque fois des morts causées par des explosions de mines. Il appartient aux services adéquats de l’armée de terre de vérifier la sécurité de ses soldats et la capacité des véhicules de transport à résister à ce type de charge. Mais au-delà de ces morts, ce pourrait être l’occasion de s’interroger de façon profonde sur la notion de terrorisme et ses corollaires : la lutte contre le terrorisme et la présence de l’armée française dans le Sahel.
Terrorisme : une erreur de concept
Depuis plusieurs années nous sommes victimes d’une intoxication intellectuelle autour de la question du terrorisme. Dire que nous sommes « en guerre contre le terrorisme » ou que nous luttons contre les terroristes n’a pas de sens. Le terrorisme est une stratégie militaire, non un adversaire. On ne lutte pas contre le terrorisme, de la même façon que l’objectif final ne peut être la lutte contre les conducteurs de chars ou les pilotes d’avion. Or depuis les attentats de 2001, le terrorisme est présenté comme une personnalité et un tout, chose qu’il n’est pas. Au moment de la guerre d’Indochine et durant la guerre d’Algérie, l’armée française ne luttait pas contre le terrorisme, mais contre les Vietminh ou les fellagas, qui faisaient usage du terrorisme comme stratégie militaire. Nous sommes ici intoxiqués par le refus de nommer l’adversaire que nous combattons, soit parce que nous ne voulons pas le nommer, soit parce que nous ne voulons pas reconnaitre que nous n’avons pas d’adversaire. Contre qui sommes-nous en guerre au Sahel : le Mali, le Niger, des groupes touaregs ? Apparemment non. Éventuellement on dira ici et là que nous sommes en guerre contre l’islamisme. C’est déjà un peu plus précis, mais c’est tout autant inexact : on ne combat pas des idées avec une armée et des déploiements militaires. L’existence de l’État islamique avait au moins cela d’utile que nous pouvions enfin lutter contre une entité définie et cohérente. Pour le reste, la lutte contre le terrorisme est un échec.
Le terrorisme en France, pas au Sahel
La présence française au Sahel a débuté avec l’opération Serval (janvier 2013 – juillet 2014) puis s’est poursuivie avec l’opération Barkhane (août 2014).
On nous assure ainsi que notre présence au Sahel est indispensable afin de lutter contre le terrorisme en France, sans que le lien de causalité ne soit jamais démontré. En quoi est-ce indispensable de se déployer au sud du Sahara pour éviter un attentat à Strasbourg ou à Lyon ? Des services de renseignement, de police et de justice adaptés ne seraient-ils pas plus utiles ? Cette présence militaire n’ayant pas « d’effet final recherché » clair, elle peut être sans fin puisqu’étant sans objectif. Elle est indubitablement utile pour les militaires : elle leur permet de s’entrainer en conditions réelles, ce qui est une nécessité, elle leur permet aussi de monter en grade et en avancement ailleurs que dans des bureaux d’état-major, ce qui est plus glorieux. Pour le reste, le lien entre nécessité de cette opération militaire et défense de la sécurité de la France reste encore à démontrer.
Le Sahel : cause de la Libye
Pour les comprendre, il faut sans cesse revenir aux causes des événements. Si la France a dû intervenir au Mali, à la demande de son gouvernement, c’est qu’une escouade de Touaregs armés menaçait de s’emparer de Bamako et de renverser le régime. Or ces Touaregs furent armés grâce à Kadhafi qui, avant d’être renversés, leur donnèrent les clefs de ses stocks d’argent et de munition. La cause directe de la déstabilisation du Mali et de la bande sahélienne où nous sommes aujourd’hui embourbés est l’intervention militaire franco-otanienne en Libye en 2011. Une intervention qui alla au-delà du mandat de l’ONU et qui créa un chaos dont nous ne sommes toujours pas sortis. Là réside une partie des causes des mouvements migratoires à travers la Méditerranée, le verrou libyen ayant sauté, puis la déstabilisation du Sahel. En quelque sorte, nous essayons de réparer les pots que nous avons cassés il y a désormais dix ans. À l’époque, c’était Alain Juppé qui était le brillant ministre des Affaires étrangères qui défendit avec vigueur cette opération. Remplacé ensuite par Laurent Fabius, qui voulut mener la même opération brillante en Syrie afin de « renverser Bachar ». Pour les remercier de cette clairvoyance et de cette haute contribution à la stabilité moyen-orientale, ils furent tous deux nommés au Conseil constitutionnel, dont l’un comme président.
Une mentalité coloniale diffuse
Toujours en Afrique, la France intervient en Centrafrique en 2013 avec l’opération Sangaris (2013-2016) afin de pacifier un pays en situation de guerre ethnique majeure. Si cette opération fut un succès à court terme, notamment en démilitarisant une partie des milices séléka et anti-balaka, elle n’a rien résolu sur le long terme, les violences étant reparties et avec elles les massacres de populations civiles. Les élections présidentielles qui se sont tenues le 27 décembre dernier ont certes permis l’élection d’un nouveau président, mais elles sont très loin d’avoir réglé un problème endémique qui est d’abord un problème ethnique.
Force est donc de constater que les opérations militaires que nous avons menées ces dix dernières années, si elles sont techniquement des succès à court terme et si elles permettent à l’armée française de se déployer sur des théâtres d’opérations réels, ce qui est nécessaire pour maintenir son niveau, elles ne résolvent pas les problèmes humains posés dans ces pays. Et elles ne peuvent nullement prétendre les résoudre puisque ces problèmes trouvent leurs origines dans des luttes ethniques et tribales qui ont débutées bien avant la première colonisation de l’Afrique (1880). Malheureusement, pour nos militaires et pour les populations de ces pays, certains pensent encore que la démocratie est la seule voie possible de la pacification et que l’imposition du modèle européen réglera les problèmes de ces pays. Couplés au mirage du « développement » qui dilapide une partie de l’argent collecté en France via des associations et des organismes humanitaires qui n’ont jamais pu démontrer leur utilité concrète, nous demeurons pour l’essentiel en Afrique avec une mentalité qui reste figée dans les schémas coloniaux. Bien que la plupart des pays africains ont obtenu leur indépendance en 1960, soit tout juste soixante ans, la mentalité coloniale, mère de l’intervention humanitaire et du mythe du développement, est encore loin d’être dissipée. Cela donne raison à des hommes comme Guizot, Bastiat ou Tocqueville, qui dans les années 1830-1850 s’opposaient aux aventures coloniales en considérant que chaque peuple devait être maitre et libre de son destin, sans que d’autres éprouvassent la nécessité de leur dire dans quelle direction il fallait marcher. Il n’est nullement certain que l’année 2021 permette de dissiper ces mythes.