Nombreuses sont les cultures, aujourd’hui. Il y a la culture du maïs ou du soja transgénique, la culture des pommes de terre, la culture de l’excuse, la culture populaire sans peuple, la culture France Inter, et puis il y a le monde de la culture, expression par laquelle les médias désignent un ensemble de professions, mais surtout un microcosme de célébrités à paillettes, invitées sans cesse sur les plateaux pour y cultiver leur narcissisme et y répandre les niaiseries de circonstance.
Monde censé porter la création, mais qui ne distille que ronron et rabâchage des mêmes antiennes, légères et privées, profondes et publiques, et sur lequel s’est abattue, soudain, la crise sanitaire. Et qui se pose la question : sommes-nous donc non essentiels, puisque contrairement à d’autres, nous n’avons pas le droit de travailler ; pire : que l’on peut aller à la simple messe des catholiques mais pas à la messe culturelle du Festival Py d’Avignon écouter la bonne parole.
Alors ce petit monde qui se croit grand et se pense essentiel à la survie des belles âmes est en révolte contre le gouvernement et un Président, qu’il a pourtant soutenu en 2017, pour éviter le fascisme et le retour d’Hitler. À l’appel de différentes organisations, il a manifesté à Paris et en province ; et devant le théâtre de l’Atelier, François Morel, tel un Gavroche sur la barricade, appelait à l’insurrection culturelle. Les caves se rebiffent… Jusqu’à saisir en référé le tribunal, bientôt peut-être la Cour de justice européenne, enfin Dieu lui-même, tant le drame est immense, proche de la tragédie.
C’est que la situation est grave. Au théâtre du Rond-Point, le censeur Ribes ne peut plus présenter son insolence conforme et son rire de résistance subventionné. Au théâtre de la Colline, on ne verra plus de spectacles qui questionnent sur les questions, et qui dérangent sans rien déranger. Dans les centres dramatiques, et leurs clones estampillés DRAC, l’indigénisme et le décolonialisme sont à l’arrêt, les descendants des esclaves, opprimés mémoriels, vont-ils s’en remettre ? Les gays ne peuvent plus représenter comment ils ont découvert, un jour, qu’ils frémissaient au passage d’un individu du même sexe, et les indécis du genre s’interroger scéniquement pour savoir s’ils sont hommes ou femmes. Dans les gynécées culturels, les spectacles sur la parité ou la domination patriarcale sont annulés, et les autrices femmes n’écrivent plus sur des problèmes de femmes pour un public de femmes, bénéficiant d’un pack-femme pour trois spectacles. Et célébrant migrants, clandestins et sans-papiers, une adaptation de la vie de Cédric Herrou a dû être reportée. Les humoristes France Inter ne rient plus, et l’on se demande déjà si la soirée parisienne des fleuristes, rebaptisée Soirée des Molière, pourra avoir lieu et si elle sera, comme je l’ai proposé, décentralisée à Béziers.
Dans les musées d’art contemporain ou les FRAC, lieux toujours vides, même sans virus, il n’y aura pas ces soirées de vernissage où se retrouvait, selon l’expression de Nicole Esterolle, « une étrange confrérie, bras verbeux de l’idéologie esthétique bureaucratico-financière mondialisée ».
Hélas, tout ce monde de la culture, suspendu par la queue à la poutre des subventions, ce monde où la liberté d’expression est celle d’un perroquet des DRAC sur son perchoir ministériel, tous ces porteurs d’une culture formatée, d’un théâtre qui « fait sens et humanité », tous ces colporteurs des poncifs du temps et des vérités du journal de 20 h, tous ces censeurs de l’art authentique, celui qui est vivant et libre, découvrent soudain le goût de la censure et le malheur d’être interdit de public. C’est le retour du cinéma muet et de la scène culte de l’arroseur arrosé.