C’est une grande chance de pouvoir connaître cette épidémie de coronavirus et surtout sa gestion erratique par l’administration : les peurs, les atermoiements et les psychoses nous replongent dans les profondeurs des grandes épidémies d’autrefois. Notre civilisation a beau avoir une médecine beaucoup plus performante et des services d’information plus développés, la même peur panique s’est emparée d’une partie de la population d’aujourd’hui, comme autrefois à Athènes et hier durant la peste noire. L’incapacité de l’administration à gérer un produit aussi basique que le masque et de définir l’usage de son port devrait nous inquiéter sur ses capacités à manier des produits beaucoup plus complexes, par exemple les retraites, la santé ou la diplomatie. La violence de l’État à l’égard des plus faibles résonne lourdement à côté de sa faiblesse à l’égard des violents.
Le mensonge et l’administration
Souvenons-nous qu’au mois de mars le masque était présenté comme inutile, voire même dangereux, et que son port était interdit. Aujourd’hui, il est le recours ultime et son port est obligatoire en de nombreux lieux. Le gouvernement est passé d’un discours à l’autre sans excuse ni reconnaissance de faute et assume l’un et l’autre discours avec un cynisme et un aplomb déconcertant. Jamais nous ne serons passés aussi vite d’un produit interdit à un produit obligatoire, sans explication ni justification solide. L’OMS, tant écoutée en début d’année, est désormais passée sous silence quand elle dit qu’il n’y a pas de preuve scientifique à l’utilité du masque en extérieur.
Mensonge également dans la présentation des chiffres. En mars-avril, au plus fort de l’épidémie, les chiffres publics donnés par le gouvernement étaient ceux du nombre de morts et de personnes hospitalisées et en réanimation. Aujourd’hui, ces données ne sont plus communiquées, le gouvernement indique le nombre de personnes contaminées. Or d’une part cela n’est pas forcément négatif d’autre part il n’y a pas moyen d’établir de comparaisons temporelles. Pas forcément négatif, car on peut être atteint par le virus sans être gravement malade : pour la plupart des gens la maladie est anodine. Les personnes contaminées sont désormais vaccinées (jusqu’à quand ? on ne sait) ce qui est une bonne chose. Impossibilité de comparer, car en l’absence de testage de masse en mars-avril dernier un bon nombre de personnes contaminées n’ont pas été recensées. Il n’est donc pas possible de savoir si l’épidémie progresse ou non. Mais en constatant qu’il y a beaucoup moins de morts et de malades dans les hôpitaux, on peut en déduire que l’épidémie régresse. Dans ce cas, pourquoi imposer le masque ?
Cette crise démontre une nouvelle fois l’ardente nécessité d’avoir une presse libre et non pas une presse qui survit par les subventions étatiques. C’est une chose de transmettre ce qu’a dit le gouvernement, c’en est une autre de cautionner ce qui a été dit. Le métier de journaliste c’est aussi aller consulter les données accessibles. Jamais nous n’avons eu autant de sources ouvertes et pourtant celles-ci ne sont pas exploitées. Il n’est pourtant guère difficile d’aller consulter les données du ministère de la Santé et des ARS.
Ce qui pose un grave problème de philosophie politique : cela dissout la confiance que l’on peut avoir dans le gouvernement or la confiance est la base de la démocratie. À cet égard, les résultats des municipales ont été éludés avec beaucoup trop de célérité. Jamais nous n’avions eu une abstention aussi importante, d’autant que les municipales sont les élections où la participation est la plus forte. Cela a été mis sur le dos de l’épidémie et sur la peur de certains de contracter le virus. C’est possible pour une partie de la population, mais pas pour plus de la moitié du corps électoral. Cette abstention, massive et sans précédent, est le résultat d’une défiance totale du corps électoral à l’égard de ses représentants. Aujourd’hui, les maires n’ont quasiment plus de pouvoir. Ils ne maîtrisent ni le logement ni l’urbanisme et leurs marges financières sont très réduites. Le véritable pouvoir municipal est aux mains des préfets et des communautés d’agglomération. L’administration et les directives ont pris le pas sur le politique. Dans ces conditions, pourquoi continuer à jouer à un jeu qui n’existe plus ? Il faut analyser l’abstention massive des municipales comme la conséquence de la révélation aux yeux des citoyens de la disparition du pouvoir politique au profit du pouvoir administratif. Nombreux sont ceux qui n’ont pas voulu participer à cette farce.
Moins de pouvoir, plus de violence
Moins un pouvoir est fort, plus il doit être violent pour tenter de cacher sa vacuité et continuer de faire croire à son utilité. L’État central n’étant pas capable de faire régner l’ordre sur les Champs-Élysées un soir de match, dans le centre-ville de Dijon lors d’affrontements communautaires ou dans un grand nombre de quartiers contre les gangs mafieux et les violences ordinaires de l’ensauvagement, il doit, pour continuer à justifier son existence (et les prélèvements fiscaux qui vont avec), être violent à l’égard de ceux qui ne peuvent pas se défendre. D’où les restrictions continuent des libertés pour les honnêtes gens et notamment les amendes pour non-port du masque. C’est pour lui le moyen de vivre dans l’illusion du pouvoir perdu, la violence devenant l’unique justification de la continuation de son existence. Ne pouvant plus exercer la force à l’égard des violents, il ne peut plus qu’exercer la violence à l’encontre des honnêtes gens afin que ces derniers ressentent encore la présence d’un pouvoir qui a depuis longtemps déserté son théâtre d’ombres. L’inversion de l’ordre du pouvoir crée un chaos moral et politique qui certes peut durer longtemps et se maintenir, mais fait disparaître toute moralité chez les gens honnêtes. Pourquoi respecter les lois quand le législateur lui-même est incapable de faire tenir les siennes chez ceux qui la violent ouvertement ? Cette corruption de la population par la dissolution du pouvoir politique légitime est la pire chose qui puisse arriver à un pays.
L’enjeu du masque n’est donc pas tant pour la question du coronavirus, mais pour poursuivre la légitimation perdue par l’État. Si bon nombre de maires prennent des arrêtés pour imposer le masque dans leurs rues c’est surtout, même s’ils n’en sont pas forcément conscients, pour donner à croire qu’ils ont encore un peu de pouvoir et que leur élection n’est pas chose inutile. Ils ne peuvent intervenir ni sur les HLM ni sur les écoles, ils sont impuissants à juguler la violence ordinaire, ils doivent se soumettre à toutes les règles et tous les décrets absurdes que l’administration leur impose. Mais, dans leurs mairies battues par quatre vents, il leur reste cela : un masque dérisoire qui leur accorde encore une parcelle de pouvoir. Le masque, c’est ce que portent les tribus primitives lors de leurs rites et de leurs sacrifices. Le musée Chirac en possède des collections magnifiques venues d’Asie, d’Alaska et d’Afrique. Le masque, c’est ce que l’on porte à Venise pour faire croire que l’on est un noble aristocrate venu du XVIIIe siècle. Le masque porte bien son nom : il camoufle, il cache, il nous fait passer pour autre chose que ce que nous sommes. C’est une mascarade que nous vivons où les gouvernants ont revêtu leur masque pour se faire plus important qu’ils ne sont. Les fêtes galantes ne durent qu’une nuit et les masques sont voués à tomber. La vacuité du pouvoir, la violence réelle et de plus en plus forte de la société finira par l’emporter. Le masque peut apaiser les peurs de ceux qui craignent une contamination par le coronavirus, il ne pourra longtemps cacher les vides et les trous du pouvoir politique et les colères de ceux qui sont contraints de le porter. Le masque du clown triste pourrait un jour se changer en masque de la colère et de la révolte.