Par Philippe Fabry
Nous avons appris aujourd’hui que, après l’escarmouche mortelle qui les a conduites au bord de la guerre, la Chine et l’Inde auraient trouvé un accord de désescalade.
Est-ce à dire que les choses n’iront pas plus loin ? C’est effectivement une possibilité.
Cependant, gardons plusieurs éléments à l’esprit.
D’abord, un accord de désescalade avait déjà été trouvé avant l’escarmouche qui a tué vingt soldats indiens et, semble-t-il, plusieurs dizaines de soldats chinois. La bonne foi soutenant un tel accord n’est donc pas certaine, d’autant moins que l’Inde, comme le renseignement américain, ont décrit le déroulement des événements et affirmé que les Chinois avaient prémédité l’incident, qui avait été ordonné à un haut niveau (le général Zhao Zong Qi, déjà impliqué dans la confrontation du Doklam en 2017). L’ordre venait-il directement de Pékin ou bien y a-t-il encore, en dépit de la puissante mainmise de Xi Jinping sur l’appareil d’Etat chinois, une faction belliciste à l’oeuvre qui cherche l’incident activement ?
Une telle situation nous renvoie encore une fois à l’incident du pont Marco Polo, que j’évoquais dans mon précédent billet, et qui conduisit jadis la puissance à volonté hégémonique en Asie, le Japon, à envahir son voisin moins puissant mais en pleine ascension, la Chine d’alors.
En effet, on se souviendra que l’expansionnisme nippon fut largement l’oeuvre de bellicistes au sein de l’armée, prenant des décisions autonomes et plaçant le pouvoir impérial devant le fait accompli. Il n’est pas impossible que le même genre de mécaniques soient à l’oeuvre en ce moment dans la manifestation des ambitions chinoises : certes, Xi est un impérialiste, mais il n’est pas certain que la guerre soit le principal instrument dont il entende user en priorité, ce qui n’est peut-être pas le cas de hauts gradés de l’Armée Populaire de Libération.
Et pour filer le parallèle avec l’incident du Pont Marco Polo, il faut se rappeler qu’il y eut une réelle tentative de désescalade entre Japonais et Chinois, et qu’il ne s’agissait pas purement et simplement d’une recherche de prétexte par le Japon, contrairement à l’incident de Mukden qui avait entraîné la conquête de la Mandchourie.
Cette tentative de désescalade fut cependant sabotée par les bellicistes japonais d’une part, et d’autre part par l’activité des rebelles communistes chinois, qui espéraient tirer profit d’un conflit ouvert entre le gouvernement nationaliste chinois du Kuomintang et l’Empire du Japon.
Or la situation actuelle entre Inde et Chine comprend des paramètres très similaire : la région concernée, le Cachemire, est la zone de confrontation principale de l’Inde avec les terroristes manoeuvrés par la République islamique du Pakistan, lequel, se sachant de plus en plus déclassé par rapport à l’Inde, pourrait chercher à entraîner son voisin et puissant allié chinois dans une guerre directe contre l’Inde. Ce n’est certainement pas un hasard si, dans ce contexte, Delhi est en alerte en raison d’une menace terroriste désignée comme imminente.
Harcelée de part et d’autre du Cachemire sous son contrôle par la Chine et le Pakistan, l’Inde pourrait bien perdre ses nerfs en cas d’attaque terroriste d’ampleur. Les soldats indiens, désormais autorisés à faire feu en cas de circonstances exceptionnelles, pourraient bien céder à la nervosité une fois, qui serait de trop.