Pour la première fois dans l’histoire de ces billets, je vais expliquer quelque chose sur la façon dont je travaille. J’ai des idées dans la tête, en général dans le plus grand désordre. Pour savoir ce que je pense vraiment, il me faut m’assoir et commencer à écrire. Et dans ce processus, les pensées se mettent en ordre. En quelque sorte, l’écrit est un précipité de pensée. Et quand je commence à écrire, je sais rarement où cela va m’amener. Fréquemment, ayant écrit quelque chose, je suis moi-même étonné de ce que j’ai écrit et je me dis : » tiens, je ne savais pas que je pensais ça ».
Et cette fois ci, ce à quoi j’arrive me surprend désagréablement car je suis en train de parvenir à la conclusion que cette crise est peut-être la crise finale de la social-démocratie européenne, mélange délétère de mépris des peuples, de jalousie, d’hypocrisie et de bien pensance. Tous les systèmes non démocratiques ont tendance à s’écrouler brutalement comme l’URSS en son temps et pour la même raison : un manque total de Légitimité. Et cette crise qui couvait depuis des années va peut-être accélérer brutalement. Mais je déteste devoir obéir à mon esprit qui me force à formuler ce que j’écris ci-dessous.
Je suis un économiste et un financier, c’est vous dire si je suis assailli de questions me demandant de préciser quelles vont être les conséquences économiques et financières de la crise que nous traversons. Et pour être parfaitement honnête, je n’en ai pas la moindre idée. En revanche, je peux essayer de réfléchir avec vous et devant vous sur les conséquences politiques de la période que nous traversons en me souvenant de la phrase de Jean Bodin : Il n’est de richesse que d’hommes. Car cette crise va avoir un coût humain gigantesque, tant elle va dissiper des illusions bien ancrées que l’on essayait de nous présenter comme des vérités.
Les deux premières de ces illusions qui ont porté la génération de Mai 68 depuis cinquante ans étaient que la mort et le temps n’existaient plus. Ces deux illusions viennent de voler en éclats.
- La mort est redevenue présente d’un seul coup, mais elle n’avait jamais cessé d’être là, on la dissimulait c’est tout ; chacun mourrait tout seul et sans s’en rendre compte, drogué qu’il était à l’hôpital local. Le droit de se préparer pour avoir une « belle mort », comme on disait au XVIIIe siècle, nous avait été retiré. Ce droit revient, non pas au détail, mais en gros.
- Quant au temps, nous en redécouvrons la lenteur et l’épaisseur dans notre confinement, puisque nous ne sommes plus assaillis par les multiples distractions que nous offre le monde moderne.
Pour beaucoup, voilà deux chocs inattendus et nous comprenons d’un seul coup ce que voulait dire Brassens quand il chantait :
« La Camarde qui ne m’a jamais pardonné
D’avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d’un zèle imbécile … »
Une autre notion est en train d’apparaitre comme une ânerie et c’est celle de la sacro-sainte Egalité.
L’inégalité est en train de réapparaitre partout.
Commençons par l’inégalité devant la mort.
D’après les statistiques italiennes, 99 % des décès ont touché les gens de plus de 70 ans et/ou qui souffraient d’autres pathologies (bronchite chronique, diabète, obésité…), ce qui peut paraitre d’une injustice criante quand, comme moi, l’on a 76 ans mais qui ne l’ai pas. Je remercie tous les jours d’avoir atteint cet âge avancé en possession de tous mes moyens et entouré de l’affection des miens. La vraie inégalité n’est pas de mourir maintenant, mais d’avoir réussi à vivre jusqu’à cet âge avancé en restant libre.
Continuons par l’inégalité devant la vie.
J’ai souvent expliqué dans ces chroniques que le Christ, dans la Parabole des talents, nous recommande de prendre des risques. Et je pense à tous ceux, petits entrepreneurs, commerçants, restaurateurs, paysans, maraichers, etc… qui ont pris des risques et qui risquent de voir l’œuvre de leur vie détruite en quelques semaines car ils n’ont pas pu accumuler assez de réserves financières pour pouvoir passer cette période sans dommages, et la responsabilité de ce drame appartient bien sûr à cet état prédateur qui cherche à empêcher les gens d’épargner pour qu’ils restent bien soumis, comme il sied aux gens de peu.
Or cette population, représentée sociologiquement par les gilets jaunes, n’allait déjà pas bien et cette interruption forcée d’activité risque de lui donner le coup de grâce. Pour elle, la crise va être un désastre alors que pour ceux qui travaillent dans des positions dans les grands groupes, dans la fonction publique, dans des organisations internationales, dans des professions libérales (docteurs, avocats, dentistes), l’inconvénient sera une perte temporaire de revenus, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Une précision importante doit être ajoutée ici. Imaginons qu’une société importante, une ligne aérienne par exemple, fasse faillite. Les actionnaires (les propriétaires) perdront tout, et les détenteurs d’obligations (la dette émise par la ligne aérienne) une grande partie de leurs avoirs. Mais les avions, les pilotes, les « slots » pour se poser ou décoller eux ne disparaîtront pas. Les perdants seront les actionnaires, les gagnants d’abord l’entrepreneur suivant qui rachètera l’outil de production avec une grosse décote et ensuite les consommateurs qui auront accès à des produits moins chers. Et pour les employés, pas de grands changements. Quand Swissair a déposé le bilan, peu de temps après une nouvelle ligne aérienne suisse voyait le jour, et rien n’a changé au fond pour les employés, si ce n’est que certains ont perdu des droits liés à leur ancienneté, ce qui n’est pas trop grave. Mais un café local, l’hôtel de Paris dans une petite ville, une petite agence de voyages, le réparateur informatique, le restaurant familial à l’écart des routes, la librairie qui avait résisté à Amazon … beaucoup risquent de ne jamais rouvrir.
Et donc, je crains par-dessus tout le quasi anéantissement de toute la classe des « petits » travailleurs indépendants et des « petits » entrepreneurs un peu partout en France, ce qui finirait de désertifier nos campagnes et nos villes petites ou moyennes, déjà bien atteintes. Voilà qui risque de faire naitre des conflits considérables dans la société et cela pour des raisons statistiques toutes bêtes.
Comme chacun le sait, l’état français représente 56 % du PIB produit par la France. Ce qui veut dire que le secteur privé doit être à 44 % du PIB, ce qui est le chiffre le plus faible de tous les pays développés.
Ce qui va baisser fortement dans tous les cas de figure, compte tenu de la gamelle économique qui nous attend, ce n’est certainement pas le PIB du secteur public, mais bien celui du secteur privé qui va se retrouver en quasi dépression. Imaginons qu’il baisse de 20 %, ce qui n’aurait rien d’étonnant puisque le tourisme à lui tout seul représente 10 % du PIB, ce qui veut dire environ 20 % du PIB du secteur privé. Voilà qui va pousser des hordes de petits patrons et leurs employés vers des systèmes sociaux déjà complètement surchargés et en déficit et auxquels parfois ils n’auront même pas droit. Il va se passer la même chose que pour nos hôpitaux avec l’afflux des malades en ce moment, mais à la puissance dix. Les dépenses publiques vont exploser tandis que les recettes fiscales vont s’effondrer.
Le secteur privé risque de s’écrouler brutalement. Et c’est bien pour ça que monsieur Macron voudrait mutualiser toutes les dettes étatiques européennes. Comme tous ceux qui l’ont précédé depuis 1974 il manque « en même temps » de compétence et de courage et s’est entouré de gens qui lui sont inferieurs intellectuellement, ce qui paraissait difficile, mais il y est arrivé sans effort apparent. Et ce pauvre garçon ignore hélas que l’Histoire est tragique.
Le secteur privé va donc tomber en dessous de 40 % du PIB tandis que le secteur public lui va se retrouver bien au-delà de 60 %. Et c’est là que le dos du mulet sur lequel on a mis un brin de paille de plus se brise en général. Car je ne connais pas dans l’Histoire un seul pays ou le poids de l’État soit passé au-dessus de 60 % du PIB sans que cela ne déclenche assez vite des phénomènes de ruptures gigantesques dans les systèmes sociaux et économiques et souvent une fuite devant la monnaie. Et pour bien me faire comprendre, il me faut revenir à la Loi de dite de Pareto, à laquelle j’ai consacré un article il y a quelques semaines.
Cette loi stipule que la quasi-totalité des phénomènes sociaux sont distribués selon le principe mis à jour par Pareto : dans un pays, 80 % des accidents de voitures sont causés par 20 % des conducteurs ; 80 % de l’alcool est bu par 20 % d’alcooliques… etc. Et 80 % de la richesse, de la valeur marchande ajoutée est créée par 20 % de la population, et c’est eux bien sûr que j’appelle les entrepreneurs, et cette crise va en mettre la moitié au tapis.
Et nous allons nous retrouver certes dans un monde où tout le monde va toucher de l’argent, mais où plus personne ne créera la moindre valeur, c’est-à-dire dans un monde communiste, et la bataille pour se partager les morceaux de la poule aux œufs d’or que l’on vient de tuer risque d’être féroce. Ce qui veut dire en termes clairs que tout cet argent qui va être distribué ne vaut pas tripette et que le risque d’hyper-inflation est loin d’être nul. Contrôle des changes et contrôles des prix ne sont plus très loin.
Bien sûr, des pays moins mal en point que nous, la Hollande, l’Autriche, l’Allemagne peut-être, vont prendre le même genre de mesures, mais cela fera passer leurs secteurs privés de 57 % du PIB où ils sont à peut-être 52 %, et en serrant la vis, une fois la crise passée, ils pourront revenir à un équilibre normal. Mais nous, faute d’avoir reformé notre état dans les années de vaches grasses, nous allons passer au-dessus de 60 % et il faut ici citer la phrase que Dante avait écrit sur la porte de l’enfer « oh vous qui entrez ici, perdez tout espoir » Au-dessus de 60 %, l’enfer est quasiment certain.
Car, vous ne pouvez pas rester dans un taux de change fixe et avec des frontières ouvertes sans que cette différence du poids des États et de création de valeur n’amène à une explosion du déficit extérieur du pays qui est a 60 %… car les fonctionnaires en général ne travaille pas pour l’exportation mais en revanche importent comme tout le monde. Et donc la demande créée par les émissions massives de monnaie par le pays au secteur privé atrophié ne peut plus être servie que par des fournisseurs à l’étranger, puisque la moitié des entrepreneurs locaux a été mise au tapis…
Pierpont Morgan, le grand banquier américain qui, tout seul, sauva le système économique américain pendant la grande panique financière de 1907, avait coutume de dire « L’or, c’est de la monnaie, tout le reste est du crédit ». Et j’ajoute que « crédit » vient du mot latin et ensuite italien, credito, « je crois ». Et comme les Italiens ont tout inventé dans le domaine financier, quand les gens cessaient de croire à Venise au crédit d’un banquier qui ne pouvait plus honorer ses traites, un agent de la Sérénissime République sortait du Palais des Doges et cassait la table sur laquelle les opérations de cette banque avaient lieu. Et casser la table en vénitien se disait « banqua rota », ce que nous avons traduit en français en banqueroute.
Ce que voulait donc dire Pierpont Morgan, c’était donc tout simplement qu’arrive un moment où, d’un seul coup, plus personne ne croit ce que le dit le débiteur et qu’à ce moment-là, plus personne ne lui fait crédit. Avant, tout le monde y croyait. Après plus personne n’y croit. « Une heure avant sa mort monsieur de la Palisse était encore en vie… » Et la monnaie, c’est du crédit. Je crains fort qu’en ce qui concerne la France, l’Espagne et l’Italie, nous ne soyons en train d’arriver au moment où la personne en charge ne sorte du Palais des Doges pour aller casser la table.
Bref, et comme je ne cesse de l’écrire dans ces chroniques, nous continuons à toute allure à rentrer dans une période révolutionnaire, et il me semble que le peuple des gilets jaunes sera une fois de plus la première victime, mais aussi sans doute le déclencheur des troubles à venir. Il y a deux ans, ils n’avaient pas grand-chose à perdre et rien n’a été fait pour eux. A l’automne prochain, ils n’auront vraiment plus rien et leur révolte risque d’être très dure. Le temps des jacqueries est de retour. Et au pouvoir, nous avons des gens hors-sol, corrompus, arrogants, incompétents, qui ne comprennent rien à la France ni à son peuple et qui d’ailleurs n’aiment ni l’un ni l’autre. Attachez vos ceintures.
Que faire au niveau individuel ? Rien de plus que ce que je recommande littéralement depuis des années :
- Sortez de tous les systèmes d’épargne étatiques si vous le pouvez
- Ayez vos obligations en Asie.
- Achetez de l’or ou des napoléons est quasiment impossible en ce moment, mais si une période d’accalmie se profile, achetez des napoléons en vous souvenant qu’avec une seule pièce vous nourrissez une famille de cinq personnes pendant une semaine depuis vingt siècles.
- Essayez de mettre votre cash en monnaie étrangère dans votre banque en y achetant un fonds commun de trésorerie en dollar ou en livre sterling
- Ne possédez aucune obligation de l’état français (qui ne mérite pas de majuscule et à qui je n’en ai pas mis.)
- N’ayez que des actions de sociétés qui produisent partout et qui vendent partout.
- Ayez plutôt un château tout cassé dans le Gers avec trente hectares autour qu’une belle maison à Saint Tropez.
Et souvenez vous du mot de Sieyès, à qui quelqu’un demandait ce qu’il avait fait pendant la Révolution et qui avait répondu : « J’ai survécu ».