24 février 2020
Il y a une vingtaine d’années, j’avais averti mes clients de l’apparition d’un nouveau modèle de société industrielle et commerciale que j’avais appelé les sociétés « plate-forme. » Pour les lecteurs français, j’avais décrit ce nouveau type d’animal par exemple dans mon livre : « C’est une révolte, non Sire, c’est une Révolution », que le lecteur peut commander sur notre site.
En voici une brève description.
Chaque société doit faire trois choses.
- Conceptualiser un bien ou un produit qui devrait intéresser le public. Appelons cette partie Recherche et Développement ou R&D.
- Produire ce bien ou ce service
- Le vendre
Voilà le modèle de production qui existait depuis la nuit des temps.
Arrive ce que j’ai appelé la troisième révolution dans l’histoire de l’humanité (après la révolution agricole et la révolution industrielle) qu’il est convenu de nommer la révolution de la connaissance ou de l’information. Soudain, l’information devient parfaite et instantanée et ne coûte quasiment plus rien.
Voilà qui change tout pour une société comme Apple… qui va se rendre compte très rapidement qu’elle n’a plus besoin d’avoir ses usines à côté de son centre de recherche et que ces usines peuvent être à l’autre bout du monde, puisque la direction d’Apple saura en temps réel à tout moment ce qui se passe dans ses centres de production. Et, première étape, ces usines iront s’installer là où produire sera moins cher. Mais Apple va très vite se demander pourquoi elle devrait posséder ces usines et payer ces employés. Le plus simple est d’aller voir Foxconn, la grande société chinoise et de lui demander de produire à sa place tout en suivant encore une fois en temps réel, les progrès de ses commandes, chez Foxconn cette fois-ci
Et Apple va donc prendre la décision de sortir complètement de la production et de ne rester que dans la R&D et la vente. Ce faisant, elle économise tous les investissements en machine, en ouvriers, en terrains, en logistique et se concentre sur les endroits où sa marge est la plus forte, c’est-à-dire la R&D et les ventes, et abandonne donc toutes les activités à faible marge et à forte intensité capitalistique pour se concentrer sur les domaines les plus rentables et bien sûr le cours d’Apple explose à la hausse. Apple est l’archétype des sociétés plate-forme et il y en a aujourd’hui des milliers de par le monde.
Pour simplifier à l’extrême, en fin de parcours, toute l’industrie sera en Chine, toute la R&D aux États-Unis et toute la rentabilité des ventes dans des paradis fiscaux et JAMAIS dans l’histoire nous n’avons eu un système aussi optimisé. Mais comme je l’ai écrit souvent ici, plus un système est optimisé, plus il devient FRAGILE et c’est ce qui est en train d’arriver.
- D’abord nous avons eu Monsieur Trump qui trouve que désindustrialiser les USA n’est pas une bonne idée et que ceux qui veulent vendre aux USA devront produire aux USA. Et voilà qui a commencé à forcer les Apple de ce monde à rouvrir des usines aux USA.
- Ensuite le coup de faire apparaître les profits là où ils ne sont pas taxés et un peu… gros et va à terme amener les pays à taxer, non pas les profits que chaque société fait soi-disant dans chaque pays, mais les ventes qu’elle y fait, en imputant une marge théorique à ces ventes… ce qui sera un très mauvais coup pour l’Irlande et les Pays-Bas par exemple, mais aussi pour la rentabilité après impôts d’Apple.
- Mais surtout nous avons maintenant une vraie épidémie/pandémie en plein cœur de l’usine du monde et du coup tout s’arrête.
Continuons pour prouver ces points avec Apple.
Les différentes parties du I Phone sont fabriquées dans plus de dix pays et assemblées en Chine. Imaginons qu’une pièce indispensable soit fabriquée en Thaïlande et que ce pays soit inondé et la fabrication des I Phones est interrompue. Ce n’est pas très grave et n’a aucune conséquence macro-économique.
Mais dans le cas présent, c’est le nouveau cœur industriel du monde qui est frappé parce que la Chine apparaît aujourd’hui dans toutes les chaînes de production dans le monde et que ces chaînes de production se sont terriblement allongées et donc fragilisées depuis vingt ans. Tous les produits industriels seront affectés. Par exemple 80 % des matières premières pour fabriquer les médicaments proviennent de Chine et donc attendez-vous à une hausse des prix au marché noir créée par une pénurie de l’offre de vos médicaments, et si j’étais vous je ferais quelques réserves de précaution.
Le monde est donc en train de réapprendre une fois de plus ce que Bastiat disait il y a un siècle et demi : « En économie, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas “
- Ce que l’on a vu, c’est la hausse des marges des sociétés plate-forme.
- Ce que l’on n’a pas vu c’est l’immense accroissement de la fragilité du système en raison de la dépendance accrue à la Chine qui serait victime d’une catastrophe naturelle ou d’une pandémie.
Cela ne sert à rien de se lamenter une fois que le lait a été renversé. Ce qu’il faut faire maintenant c’est réfléchir à ce qui risque de se passer dans le futur et ici il me semble qu’il n’y a que deux possibilités.
Possibilité numéro un.
La pandémie se répand dans le monde entier, mais le taux de mortalité est relativement faible et ne touche majoritairement que les vieillards. Le nombre de décès commence à chuter assez rapidement après que l’épidémie ait commencé. C’est ce qui a l’air d’être le cas en Chine où le nombre de morts augmente certes, mais où il augmente de moins en moins vite (la dérivée seconde du nombre de décès commence à ralentir).
Dans ce cas, les chiffres du premier et du deuxième trimestre risquent d’être très mauvais pour l’économie mondiale, le tourisme, les exportations d’un peu tout le monde, mais surtout de la Chine, les ventes de matières premières et de produits de luxe, le transport aérien, etc., mais cela sera temporaire et tout reviendra en place dans la deuxième moitié de l’année, graduellement bien sûr, mais à l’échelle de l’histoire, le ralentissement pourrait être fort, mais temporaire. Mais ce qui ne reviendra pas ce sera la volonté de rester dépendant d’une seule zone géographique pour sa production si l’on est Apple, ou toute autre société plate-forme d’ailleurs.
Chacune de ces sociétés va devoir s’assurer de produire donc dans différents centres, l’un pour l’Asie, l’autre pour l’Europe, le troisième pour l’Amérique, etc. Et tout cela va rendre le système moins efficient et peut-être déclencher des hausses de prix, ce qui rendre le travail des banques centrales beaucoup plus difficiles. En tout cas — la rentabilité de ces sociétés va baisser à terme, avec la rentabilité globale du capital.
L’ère de l’hyper optimisation est terminée, ce qui aura sans doute de graves conséquences pour les marchés financiers portés depuis des années par la hausse parabolique des valeurs plate-forme.
Venons — en à la deuxième possibilité.
Nous avons affaire à une vraie pandémie, du style de la peste noire au XIII siècle, du choléra au XIXe ou de la grippe espagnole au XXe, et dans ce cas, tout l’édifice de la globalisation mis en place depuis les années 1990 risque de s’écrouler, avec un retour précipité au protectionnisme et au ‘refus de l’étranger’ qui comme chacun le sait a toujours été dans l’histoire le bouc émissaire idéal, vecteur de maladies et de troubles. Cela entraînerait inéluctablement un retour à des solidarités proches du type famille, villages, amis, régions et finalement nations.
S’écroulerait donc sans doute aussi avec l’effondrement du commerce international une bonne partie de l’ordre international en place depuis 1945 et il s’agirait là d’un vrai cataclysme, contre lequel il sera difficile de se protéger. Compte tenu des progrès de la médecine, je n’y crois guère tant j’ai déjà vu des alertes similaires qui n’ont pas eu les effets attendus par les pessimistes, du type sida, grippe aviaire, SARS, etc., mais prenant en compte l’information dont je dispose, cela ne peut être exclu, en particulier pour des zones comme l’Afrique.
À vue de nez j’aurais tendance à donner une probabilité de 90 % à la première hypothèse et de 10 % à la seconde, ce qui m’amène à la conclusion de ce papier dont je reconnais qu’il est un peu sombre, mais je suis là pour expliquer la réalité et non pour essayer de dorer la pilule à ceux qui veulent bien me lire.
Et ici, je dois préciser qu’il n’est pas du tout certain que nous restions dans un monde où la liberté de circulation de capitaux restera pleine et entière. Des contrôles sur les mouvements de ces capitaux seront inévitables. Ce qui revient à dire que si vous voulez mettre votre cash en dollar, en yuan ou en livre, il vaut mieux le faire maintenant plutôt que d’attendre que cela vous soit interdit. Et cette conclusion se doit d’être financière, puisque c’est là que se trouve mon domaine d’expertise.
Partons de ce que je recommande depuis un certain temps et commençons par les choses qu’il faut avoir.
Voici mes recommandations.
- L’or. Dans les deux cas de figure, il faut en avoir et je ferai passer les positions de 10 % à 20 %.
- Les obligations asiatiques, et en particulier chinoises. Dans le premier cas, elles seraient de grandes gagnantes, les taux d’intérêt s’écroulant en Chine tandis que la monnaie remonterait. Dans le deuxième cas et à partir d’une source européenne, je ne pense pas perdre sur le moyen terme. Rester au niveau actuel.
- Les actions des grandes sociétés industrielles ou qu’elles soient dans le monde, produisant partout et vendant partout, du type d’Air Liquide et Schneider en France. Je continue à exclure tout ce qui touche à l’automobile. Je garderai ces positions, mais je vendrai tout ce qui touche au luxe, les ventes de biens de luxe risquent en effet de baisser structurellement beaucoup en raison de la baisse générale du niveau de vie qu’entraînerait la deuxième hypothèse, qui ne peut être exclue à ce point.
- Le cash. Je le maintiendrai en dollar US et Canadien. Pour ceux qui veulent rester en monnaie européenne, je choisirai la Livre britannique et la Couronne suédoise.
- Pour des raisons de respect de la Loi et du droit de propriété, et donc de sécurité juridique, je préférerais posséder des actifs dans les pays où la Reine d’Angleterre figure sur le billet de banque (GB, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande)
Ce qu’il ne faut pas avoir ensuite.
- Tout ce qui touche à l’écologie et à ce qu’il est convenu d’appeler l’économie verte. Dans le deuxième cas de figure, le réchauffement atmosphérique passera à l’arrière-plan des préoccupations des gens qui auront d’autres chats à fouetter.
- L’Euro qui dans ce cas-là deviendra complètement impossible à gérer. Encore une fois, il faut vendre tous les placements à revenu fixe libellés dans cette (fausse) monnaie.
- Toutes les actions des sociétés qui dépendent d’une façon ou d’une autre de l’ordre international en place depuis 1945 ou 1990.
- Continuer à éviter avec soin toutes les financières, qui devront être nationalisées, ainsi que tout ce qui dépend des états sociaux-démocrates tant il est certain que dans le second cas vous serez spoliés.
Le pire n’est jamais certain, mais nous risquons de rentrer dans une période très difficile à un moment où tous les prix sont faux , au moins en Europe, puisque les banques centrales manipulent depuis des lustres le prix du temps (les taux d’intérêt) et le prix du risque géographique (les taux de change). Nous risquons de revenir dans le désordre à de vrais prix, ce qui ne va pas faciliter les choses.
En tout cas, cher lecteur, la balle est dans votre camp.
En ce qui me concerne, je continuerai à faire tout ce que je peux pour vous aider à traverser cette période dans les conditions non pas les meilleures, mais les moins mauvaises.
Bonne chance, nous risquons d’en avoir besoin.