Par Charles Gave
27 mai 2019
La guerre de Trente Ans entre les USA et la Chine a commencé officiellement. Nous venons de terminer le premier round et, à mon avis (qui est tout sauf humble), les USA mènent aux points.
Revenons en arrière. En mars, les négociations allaient bon train et nous semblions tout près d’un accord. Le Président Trump était satisfait. Et soudain, très curieusement, les autorités chinoises reviennent sur un certain nombre de points sur lesquels un accord paraissait acquis. Apparemment, et d’après les sources chinoises, ce qu’avaient accepté les négociateurs aurait été « trop » favorable aux USA et s’apparentait à des « traités inégaux ». Parler de traités inégaux, c’était faire allusion au « traité inégal » signé entre la Grande-Bretagne et la Chine après la guerre de l’opium, qui était en fait un diktat imposé par l’Occident à la Chine. C’était donc remuer de fort déplaisants souvenirs et signifier que ce traité était inacceptable pour Pékin.
Je ne sais pas pourquoi les Chinois ont pris cette décision, mais le résultat ne s’est pas fait attendre.
La contre-attaque américaine a été foudroyante. En s’appuyant sur des textes de loi votés pendant l’été 2018, les décisions suivantes furent annoncées :
- Les droits de douane allaient être soit augmentés quand ils existaient déjà, soit imposés sur une grande partie des exportations chinoises vers les États-Unis quand ils n’existaient pas.
- Comme les USA ont un quasi-monopole mondial sur les semiconducteurs de grande-qualité (ce que je ne savais pas…), interdiction fut faite à TOUS les fabricants de semi-conducteurs américains d’exporter quoi que ce soit vers [CG1] des entreprises chinoises. Cela revient à condamner à mort Huawei et toute une partie de l’industrie chinoise, en particulier dans la haute technologie et l’armement.
- Qui plus est, les autorités américaines faisaient savoir qu’elles interdisaient à TOUTE société NON-AMERICAINE d’exporter vers la Chine si plus de 25 % de la valeur ajoutée trouvait sa source soit dans une production aux USA soit dans des brevets américains. Il s’agit là d’une nouvelle et fort grave extraterritorialisation du Droit US à des entités dont certaines jusque-là ne se savaient pas soumises au droit américain. Elles ont appris très vite : en Europe, Infineon, ARM, ST Micro etc. ont déjà annoncé leurs arrêts de toute livraison vers la Chine et l’annulation de tous leurs contrats avec Huawei…
- Dans la foulée, les autorités US publièrent une liste fort vague de dix-huit « secteurs d’avenir », allant de l’intelligence artificielle, à la biologie ou l’informatique et spécifiant que toutes exportations allant vers la Chine dans ces secteurs devaient être soumise à autorisation préalable.
- Le nombre d’étudiants étrangers (Chinois, Indiens…) autorisés à faire des études scientifiques au niveau du doctorat aux USA sera dorénavant extrêmement limité.
- Un certain nombre de sociétés chinoises ayant acheté des sociétés de technologie aux USA vont être forcées de vendre ces actifs, faute de quoi ces activités seront fermées.
Bref, il s’agit d’un véritable « blitzkrieg » qui, à l’évidence, avait été soigneusement préparé à l’avance.
Que peuvent faire les Chinois ?
Il faut ici distinguer réponses à court, moyen et long terme.
- À court terme, les sociétés chinoises du type Huawei, voyant le coup arriver, avaient fait d’immenses stocks de semiconducteurs, assez sans doute pour tenir un an ou un an et demi, mais en tout état de cause Huawei ne peut plus espérer bâtir les réseaux 5 G en Europe ou en Grande-Bretagne, le contrat revenant du coup à Nokia ou à Ericsson, ce qui en augmentera sans aucun doute le prix.
- À moyen terme, il est à peu près certain que les Chinois vont devoir lâcher du lest et que la position de Xi est affaiblie, sauf si Trump veut le ménager.
- À long terme, la Chine va se lancer dans une campagne frénétique pour casser cette dépendance vis-à-vis des USA, mais cela prendra au moins 10 ans, et rien ne prouve qu’ils y arriveront. Intel par exemple a échoué à concurrencer les puces de Qualcomm, non sans avoir dépensé des milliards de dollars dans cette tentative.
Dans un ordre plus pratique.
On peut calculer que chaque augmentation des droits de douane de 25 % peut être compensée par une dévaluation d’environ 10 %. Pour atténuer le choc des droits de douane sur la rentabilité des sociétés chinoises, le Yuan a donc baissé déjà vis-à-vis du dollar de 6.2 y/$ a 6.9y/$, retrouvant ainsi les niveaux de 2017. Voilà qui devrait atténuer passablement le choc pour les entreprises chinoises.
Mais les autorités chinoises si elles peuvent dévaluer contre le dollar, ne veulent en aucun cas dévaluer contre les autres monnaies asiatiques tant elles sont soucieuses de préserver la construction d’une « zone monétaire yuan », pour arriver à leur but ultime :la de-dollarisation de l’Asie. Il faut donc que les autres monnaies asiatiques « suivent » la Chine dans cette dévaluation, ce qui semble bien être le cas, toutes les monnaies asiatiques ayant suivi la monnaie chinoise, à la baisse.
Ce qui veut dire en passant que les pays européens, à l’exception de la Suède et de la Grande-Bretagne dont les cours de change ont beaucoup baissé depuis quelques mois, ont réévalué contre l’Asie depuis 18 mois, ce qui ne saurait être une bonne nouvelle pour le vieux continent, qui apparaît un peu comme une victime collatérale d’un affrontement qui le dépasse.
Les Chinois ne sont pas sans armes cependant.
- Ils peuvent décider de durcir le jeu, en faisant savoir par exemple qu’ils ne paieront plus leur pétrole en dollars, mais en yuan et que ceux qui ne seraient pas d’accord, eh bien la Chine ne leur achèterait pas de pétrole… et comme ce sont les principaux acheteurs dans le monde…
- Parallèlement, ils pourraient décider de vendre leurs obligations US et de redéployer les sommes correspondantes en achetant de l’or, ce qui déclencherait une superbe panique financière.
- Ils pourraient aussi décider de nationaliser les usines de Qualcomm ou de Broadcom en Chine, ce qui n’arrangerait rien…
Mais honnêtement, je crois plutôt qu’ils vont essayer de calmer le jeu, en sacrifiant par exemple ceux qui ont négocié, pour offrir une victoire au Président Trump, en mal de réélection…
Mais tout cela va laisser des traces immenses.
Il est évident aujourd’hui que la lutte pour la « suprématie » mondiale est engagée entre les USA et la Chine et que TOUTE l’administration aux États-Unis est derrière Trump. Les USA entendent rester numéro un.
Du coup, la « mondialisation heureuse » de monsieur Minc est morte, et bien morte. L’évolution vers trois zones monétaires distinctes dont je parle depuis des mois est confirmée.
La gentille puissance hégémonique que semblaient être les USA se transforme en un hégémon impérialiste qui utilise encore et toujours son DROIT pour forcer ses sujets à l’obéissance. Et comme l’Europe n’a aucune armée, on voit mal ces pays désobéir. On songe à la formule du Premier ministre anglais au XIXe : « Les nations n’ont pas d’amis. Elles ont des intérêts que le gouvernement doit défendre »
Nous y sommes et c’est une dure réalité pour l’Europe, qui ne voulait utiliser que le « Droit » pour se défendre et qui du coup se retrouve le dindon de la farce, obligée qu’elle est d’obéir au droit américain, sur lequel elle n’a rien à dire.
Nous sommes donc passés en deux ans d’un monde allant vers l’unité et se globalisant de plus en plus à un monde qui va se fragmenter à toute allure et dans lequel chacun va devoir s’armer ou se réarmer, où des chaînes de production superfétatoires vont devoir être installées pour répondre à des impératifs de souveraineté, et où produire dans un pays pour vendre ailleurs deviendra irresponsable…
Voilà un monde bien difficile pour Apple et pour ce que j’avais appelé il y a bien longtemps les sociétés « plateformes »… Il va falloir produire la ou l’on vend, et non plus là où c’était le moins cher. Tout cela annonce à la fois une inflation plus forte, une rentabilité du capital plus faible et un environnement géopolitique beaucoup plus dangereux ce qui GARANTIT une baisse des multiples cours/bénéfices, qui sont loin d’être bas en ce moment.
Je maintiens donc ce que je dis depuis novembre 2017 : la plus grande prudence s’impose.
À noter que les marchés n’ont rien fait depuis cette date…
Quelques précisions, un peu au hasard. Géographiquement, l’Europe est la zone de tous les dangers, les USA un peu la forteresse et l’Asie l’endroit qu’il faudra racheter en premier. En Europe, il ne faut avoir que peu d’actions, toujours du type Air Liquide, qui produit partout et vend partout et aucune obligation tant l’Euro sera sous-pression si l’activité venait à y plonger. Il faut vendre l’Allemagne encore et toujours, qui va se trouver dans une situation impossible.
Il faut avoir son cash en dollar, ses obligations en Yuan ou en roupie indienne et pour ceux qui le peuvent en rouble russe. On peut garder des actions dans la périphérie de la Chine, tant je suis convaincu que la zone monétaire asiatique centrée autour du yuan va être LA réalité de demain, à condition de garder des réserves de cash importantes pour en racheter quand il le faudra. Je n’aurais pas plus de 50 % en actions, au grand maximum.
Le secteur de la technologie industrielle aux USA risque d’en prendre un coup puisque Qualcomm réalise en Chine 55 % de son chiffre d’affaires, Broadcom 50 %, tandis qu’Intel avoisine les 20 %. Voilà des sociétés dont les bénéfices risquent de décevoir, mais je n’y connais rien dans ce domaine. Mieux vaut avoir les grandes sociétés de software ou des sociétés à fort rendement et couvrant bien leurs dividendes que de garder des sociétés industrielles opérant dans le secteur de la techno…
Il faut certainement renforcer les positions en or et peut-être établir une première position en crypto monnaies, qui devraient bénéficier des troubles à venir. Vendre encore et toujours les financières surtout européennes.
Bref, tous aux tranchées, mettez vos casques lourds et surtout, surtout, restez bien à l’abri. Des occasions d’achat tout à fait intéressantes ne devraient pas tarder à apparaître, mais pour l’instant, gardez votre poudre sèche, bien sèche.