Par Aude de Kerros.
En ce début de 2019 le marché international de l’art connaît un événement susceptible de modifier en profondeur le système en place. Il s’agit d’une alliance commerciale et stratégique inattendue. Elle a été passée entre trois entreprises fondées sur la création et mise à profit de banques de données. Deux sont spécialisées dans le domaine de l’art, ayant aussi une capacité de vente en ligne — et une troisième répertorie les données de la presse internationale et met en relation les besoins de toute communication avec les médias qui correspondent.
Cette alliance intervient au terme d’une décennie ayant connu une révolution technologique de la communication et un changement des rapports de force géopolitiques. Une rivalité est apparue entre les tenants d’un très haut marché de l’Art mainstream, visible mondialement, seul labélisé « contemporain- international » — et des marchés qualifiés de « locaux », vendant un art dit « identitaire – non novateur ». C’est dans ce contexte que survient un partenariat, inédit entre ArtPrice – Artron – Cision.
– ArtPrice, à l’origine de cette aventure, est une entreprise privée française, menée par un personnage hors système et hors normes dont le principal mobile est sa liberté. Thierry Ehrmann est le créateur de la banque de données la plus complète du marché de l’Art mondial. Elle est exhaustive, incluant à la fois le global art financier et les arts non conformes… ce que l’État français n’a pas fait, à son échelle nationale, puisque son travail d’archivage ne retient que les « officiels conceptuels ».
– Artron est une institution de l’État chinois qui depuis 1996 a pour but de promouvoir art et création en Chine, en créant tous les outils nécessaires à l’existence d’un marché non existant sous le régime communiste, dont une banque de données exhaustive, n’écartant aucun courant de l’Art chinois.
– Cision est un Argus de la presse, dont le quartier général est à Chicago, fournissant aux stratèges de l’influence et la communication un service de mise en relation adaptée, avec les médias du monde entier.
UN CHASSEUR D’ENTENTES ET DE MONOPOLES
Thierry Ehrmann est un Robin des bois qui n’aime pas les monopoles et les intermédiaires et leur fait la chasse. Il se nourrit de la bête et libère ainsi « vertueusement » le monde de l’Art de ses prédateurs. En déchiffrant les données de sa banque, il a constaté que le haut marché de l’art global, référencé à New-York, seul visible mondialement, est un marché de l’offre, hors sol, sans concurrence. Il a perçu également que le marché réel, qui est un marché de la demande, est infiniment plus vaste, mais sous-développé pour cause d’invisibilité.
À l’inverse, le marché hégémonique vit d’un réseau international, fortement interconnecté, partageant des intérêts communs, tenant foires, ventes aux enchères, expositions dans musées et galeries internationales. Son modèle économique associe une fonction de marché financier, sécurisé par des collectionneurs opérant en vase clos et un marché de masse commercialisant des objets dérivés arty, sériels, industriels, faisant de l’œuvre à 50 millions de dollars le produit d’appel décliné à tous les prix et formats, de la réplique pour galerie au porte-clefs et t-shirts.
Ce marché doit sa légitimité à sa rentabilité et à ses utilités : plateforme mondaine et d’affaires, occasion d’animation urbaine, touristique et muséale. Ainsi, l’Art Global Financier gagne sa vie en bénéficiant par ailleurs des dons, qui ont l’avantage d’être défiscalisés, de mécènes, sociétés, institutions, et des subventions de certains États. La CIA, qui y joua sa partie, est pour l’heure, missionnée ailleurs.
Pour Thierry Ehrmann, c’est un consortium conjugué d’ententes, à sa mesure.
Les données de sa banque lui donnent la primeur de l’information et les moyens d’analyse propres à lui inspirer une stratégie. Ainsi, il est le premier à constater que la Chine est passée en tête du marché de l’art dès 2009, devant l’Amérique. Le fait est peu commenté, les médias font comme si cela n’entraîne aucune conséquence. Thierry Ehrmann comprend qu’il est impensable d’avoir une banque de données à prétention planétaire sans y introduire les données chinoises, difficiles d’accès en raison de l’obstacle de la langue et du mur que constitue « Intranet » isolant la Chine de toute communication numérique avec le reste du monde. C’est ce qui motive fortement son rapprochement avec l’Agence chinoise Artron et son alliance officielle avec elle en septembre 2018.
Comme ArtPrice l’a déjà fait pour tous les autres pays, il s’emploie à rendre ses données accessibles au monde entier, en traduisant et en documentant notamment toutes les orthographes des noms propres qui changent d’une langue à l’autre. Pour que ce soit possible, il a fallu bénéficier d’une autorisation unique et exceptionnelle, accordée à ArtPrice, de franchir le mur de l’Intranet chinois. La fluidité de l’information ainsi obtenue a pour conséquence la naissance d’un commerce en ligne d’œuvres d’art, grâce à WeChat1, par-dessus les frontières, ce dont les Chinois sont familiers notamment pour les achats de luxe.
Art Price, en 2017, avait déjà anticipé cette démultiplication de la circulation de l’information et l’élargissement de la clientèle du marché de l’art, en rendant accessibles ses données, pour partie gratuitement, à tous les amateurs sur leur smartphone, ce qui facilite un marché de la demande, en ligne, sans le filtre des intermédiaires.
Mais pour une véritable révolution, l’information brute ne suffit pas, il faut aussi des instruments d’analyse. C’est la nécessité à la quelle ArtPrice répond, créant plusieurs indices, également accessibles, pour décrire ce marché sous ses divers angles.
Il n’est plus nécessaire d’être expert pour déchiffrer le marché et donc le démystifier.
Reste un dernier obstacle à surmonter pour casser le monopole actuel de la visibilité : mettre en rapport les données vraiment mondiales du marché de l’art et la totalité des journalistes et médias du monde entier. C’est chose faite le 26 décembre 2018, par l’accord signé entre ArtPrice et Cision pour créer la première agence de presse mondiale dédiée au Marché de l’Art : Art Press Agency. Cette Révolution de l’accessibilité à l’information bouleverse le contexte : les divers marchés de l’art, qu’ils soient de l’offre ou de la demande, du global ou du local, sont désormais en concurrence.
DE L’ART GLOBAL HÉGÉMONIQUE AUX ARTS PLURIELS EN CONCURRENCE
Ainsi une autre réalité du marché planétaire apparaît, et l’on constate qu’il ne ressemble pas au marché global-financier, seul visible actuellement. En effet, les Chinois, qui aujourd’hui achètent le plus, ne font aucune discrimination entre les divers courants artistiques. Ils ont porté sur le très haut marché, bien au-dessus du million de dollars, à la fois l’art conceptuel validé à New York et les artistes qu’ils aiment pratiquant un art esthétique dans la suite de l’art. La Chine se trouve être de fait plus représentative géopolitiquement de la vraie diversité de l’art dans le monde que la place de New York.
L’art global-financier qui s’est installé comme référence après l’effondrement soviétique a perdu de son pouvoir provocateur et stupéfiant, malgré ses cotes oniriques. L’idée de « culture et d’art global » comme fatalité historique est remise en question par beaucoup de pays depuis une décennie. L’art global kitsch apparaît soudain comme le dernier avatar d’une vieille utopie du XXe siècle qui voyait l’art du futur comme étant homogène et unique sur toute la planète.
Cette utopie, née avec la proclamation de « l’Art réaliste socialiste, international et communiste », meurt avec le « l’art conceptuel global, international et financier », deux faces de la même pièce de monnaie qui réduit le monde à un matérialisme économique, sensé tout expliquer.
- Artprice est une des seules sociétés occidentales à posséder un site WeChat réservé aux sociétés de droit chinois qui touche plus de 1,8 milliard d’internautes chinois dans le monde. ↩