Chacun connaît le résultat des élections de « mid-term ».
Le Parti républicain renforce de façon sensible sa majorité au Sénat tandis que le parti démocrate l’emporte à la chambre des représentants, ou ils auront une majorité de 11, ce qui n’est pas énorme et que les positions des uns et des autres se maintiennent plus ou moins pour les postes de gouverneurs. Grosso modo, un match nul donc ?
Peut-être, mais je ne le crois pas vraiment et pour trois raisons.
- La première est que la gauche américaine nous expliquait depuis deux ans que monsieur Trump était un accident de l’histoire, un Président « illégitime » une erreur de la démocratie et que lui et ses partisans allaient être balayés par le vent de l’Histoire soufflant en tempête. Il n’y a pas eu de vague bleue (la couleur du parti démocrate), mais un retour à une situation normale où le parti au pouvoir souffre lors des élections de mi-mandat.
- La deuxième est que le pays a rarement été aussi divisé et que ces élections n’ont rien tranché. Donc la vraie bataille entre Trump et son opposition ne fait que commencer.
- Et comme l’électorat n’a pas vraiment décidé de qui devait gouverner le pays, cette quasi-guerre civile larvée va continuer en passant cette fois-ci par les tribunaux.
Qui dit tribunaux dit ministère de la Justice (DOJ)…
Or cette guerre a commencé depuis longtemps. Venons-en donc à l’essentiel : la sourde bataille à mort qui oppose l’administration Trump au Parti démocrate pour le contrôle du ministère de la Justice depuis l’arrivée du Président Trump.
Quand j’ai commencé à parler de tout ça il y a un an, il y avait beaucoup de choses sur ces sujets que je ne comprenais pas — et donc j’ai commis quelques erreurs d’interprétations — ce dont je m’excuse. Voici ce que je crois comprendre aujourd’hui. Mais il va falloir que le lecteur s’accroche.
Revenons en arrière.
Monsieur Trump est élu et dès le premier jour les démocrates, qui n’acceptent pas l’élection du nouveau Président, lancent leur attaque « collusion entre Trump et Poutine » visant à destituer le nouvel élu. Pour cela, il leur faut capturer le ministère de la Justice et y installer un homme à eux. Ils accusent donc monsieur Sessions, nouveau ministre de la Justice de Trump et ancien sénateur, d’avoir eu lui aussi des contacts avec cette même Russie (il a rencontré plusieurs fois l’ambassadeur russe, comme la plupart des Sénateurs). Sessions, en brave homme qu’il est, se retire de l’enquête sur la soi-disant collusion entre Trump et Poutine et les démocrates de se précipiter pour demander un « prosecuteur spécial (leur homme à eux) », après que monsieur Trump ait viré le patron du FBI dans lequel il n’avait aucune confiance, ce que le congrès, pourtant à majorité républicaine dans les deux chambres, accorde, sous une pression formidable des médias.
Le prosecuteur spécial désigné, monsieur Muller, n’est donc plus — de droit – sous le contrôle du ministre de la Justice nommé par monsieur Trump, qui s’est retiré de l’enquête, mais de son second, monsieur Rosenstein, un apparatchik étatique s’il en fut. Le même Rosenstein avait recommandé à Trump de virer le patron du FBI… l’une des raisons mentionnées pour demander la nomination d’un procureur spécial. Le hasard fait bien les choses.
Pour l’instant, monsieur Muller n’a rien trouvé, ou plutôt, il n’a rien laisse filtrer de ce qu’il avait trouvé – ou pas), mais les membres républicains de la chambre des Représentants (alors majoritaires), dans les deux dernières années, ont trouvé, eux, énormément de choses sur les relations quelque peu incestueuses entre le parti démocrate et le département de la Justice. Les Républicains à la Chambre et au Senat ont déterré en effet et non sans mal les preuves de la culpabilité de leurs adversaires démocrates dans ce qu’il faut bien appeler un complot pour destituer le Président élu. (Voir mes articles précédents sur le sujet)
Mais ils ne pouvaient rien faire des preuves qu’ils avaient mis à jour en raison de la sacro-sainte séparation des pouvoirs propre à la Constitution des États-Unis. En effet, le pouvoir législatif ne peut envoyer personne devant un juge, c’est le privilège du pouvoir exécutif. Tout ce que peut faire le parlement, c’est de transmettre au ministère de la Justice, à charge pour ce dernier d’instruire ou pas. Le Président de la République ne peut donner un ordre de le faire au ministre [M1], c’est le ministre qui donne l’ordre de poursuivre, après enquête du FBI (qui dépend aussi du ministère de la Justice). Et comme monsieur Sessions s’était désisté et avait transféré toutes ses prérogatives à monsieur Rosenstein et que celui-ci n’a jamais eu la moindre intention d’ordonner la moindre enquête et a même bloqué les demandes d’informations en provenance du Congrès, les poursuites n’ont guère avancé, non pas faute de preuve, mais faute de suivi au DOJ.
Et monsieur Trump, avec une très faible majorité au Sénat ne pouvait prendre le risque de virer Sessions, tant cela aurait été interprété comme une tentative de coup d’État pour empêcher monsieur Muller de faire son boulot, en remplaçant monsieur Rosenstein.
Et donc les démocrates et les apparatchiks parvinrent à contrôler le ministère de la Justice, bloquant toute enquête et toute poursuite. En attendant le 6 novembre 2018, hauts fonctionnaires et élus démocrates freinaient des quatre fers, espérant retrouver une majorité contre Trump après les élections. Ce qui aurait forcé monsieur Trump à garder monsieur Sessions… et aurait définitivement enterré toutes les tentatives de nettoyer le marais de Washington. Et comme la presse ne relayait aucune de ces informations, tout était bloqué.
Mon erreur a donc été de ne pas savoir qu’en Droit, aux USA, et au niveau fédéral, seul le département de la justice pouvait diligenter une enquête en justice en saisissant un magistrat.
Ni le Sénat, ni la Chambre des Représentants ni le Président ne le peuvent (et c’est très bien comme ça d’ailleurs).
Si donc monsieur Trump avait perdu le Senat, tout était foutu pour lui. Mais comme les Républicains ont accru leur majorité au Sénat et que la nomination du prochain ministre de la Justice devra être entérinée par ce même Sena, ce qui se fera sans aucune difficulté, la première chose que monsieur Trump a fait a été de virer dès le lendemain de l’élection ce pauvre monsieur Sessions, qui du début à la fin n’a rien compris au film.
Le nouveau ministre (ou quelque haut fonctionnaire en attente de la nomination du nouveau ministre) va immédiatement enlever le contrôle EFFECTIF du ministère de la Justice (et donc de monsieur Muller) à monsieur Rosenstein pour pouvoir commencer les poursuites contre les Clinton, Comey et autres dignitaires du parti démocrate, dont peut être messieurs Rosenstein et Muller eux-mêmes d’ailleurs… si le Président le souhaite et s’il y a suffisamment de preuves.
Le résultat le plus important de ces élections est donc que Trump a certes perdu la chambre des représentants, mais en gardant le Sénat, a repris le contrôle du ministère de la Justice qu’il avait perdu à cause de la naïveté de monsieur Sessions.
Osons une comparaison militaire : après Stalingrad, tout le monde savait que l’Allemagne avait perdu, mais il fallut attendre encore deux ans pour qu’elle capitule. Pour Trump, ces élections de mid-term étaient donc LA bataille qu’il ne devait pas perdre, et il s’est battu comme un fou. Les Mid-term, c’était son Stalingrad à lui… Il n’a pas perdu. Et en virant Sessions, monsieur Trump a prévenu les démocrates qu’il pouvait leur faire des ennuis, à nouveau.
Inutile de dire que les Démocrates et la presse crient au coup d’État depuis que Sessions a été viré, mais la réalité semble être que le Président a agi dans le cadre de ses prérogatives constitutionnelles, qui l’autorisent à choisir et à virer chaque personne de son cabinet comme il le veut et quand il le veut. Et dans le fond, comme monsieur Mueller enquête sans aucune contrainte depuis deux ans, beaucoup se disent : « ou il a découvert quelque chose et il doit le publier, ou il n’a rien trouvé, et il est temps que cela s’arrête ». Et donc les cris d’orfraie des Démocrates apparaissent un peu surfaits… En tout état de cause, le nouveau responsable du DOJ n’a aucune, mais aucune raison de se désister de tout ce qui touche à l’enquête de monsieur Mueller, comme l’avait fait ce bon Sessions. Et on le voit mal bloquer les dossiers à charge contre les Démocrates comme l’avait fait monsieur Rosenstein.
Ce qui m’amène à mon dernier point : que va-t-il se passer pendant les deux années qui nous séparent de la prochaine élection présidentielle dont la campagne a commencé le 7 novembre au matin ?
A mon avis, rien de bon.
Les Démocrates ont les médias, viennent de récupérer la chambre des représentants et ils ont bien l’intention de faire tomber le Président, comme ils l’avaient fait avec Nixon. Il se murmure par exemple que les Démocrates à la chambre des représentants auraient déjà préparé près de 100 demandes d’information spéciales (subpoena) sur des sujets aussi passionnants que les déclarations fiscales de Trump, le nombre et l’identité de citoyens russes qui auraient acheté des appartements dans la tour Trump à New York, les relations entre la Deutsch Bank et le groupe Trump, les sources de financement de ce même groupe pour savoir si des fonds russes ne seraient pas intervenus au bon moment pour sauver le groupe quand il était en difficultés, etc.
Inutile de dire que toutes informations fuiteront dans la presse instantanément, du moins toutes celles qui seraient défavorables au Président sortant.
Du côté de l’administration au pouvoir et des Républicains, ils ont la Présidence, le Senat, et donc le pouvoir de nomination des juges et ils viennent de récupérer le ministère de la Justice (DOJ). Je suis bien certain que les dossiers sur les Clinton, sur les collusions entre ministère de la Justice et le parti démocrate, sur la fondation Clinton, etc. sont tous prêts à être envoyés devant un juge… si nécessaire. Mais il faut se souvenir que quand le dossier arrive chez le juge, il devient inarrêtable, et c’est ce que le Président a dit en mentionnant que le temps de gouverner ensemble plutôt que de se déchirer était arrivé… façon polie de rappeler ce que l’on dit en Polynésie : « ceux qui grimpent au cocotier doivent d’abord s’assurer qu’ils ont le derrière propre. » Mais je ne crois pas une seconde que les Démocrates vont saisir cette branche d’olivier tant ils haïssent Trump. Et donc, il me semble évident que dans les deux ans qui viennent, les États-Unis vont continuer à se déchirer comme rarement dans leur histoire et que cette fois-ci la bataille aura lieu devant les tribunaux.
L’atmosphère aux USA va devenir de plus en plus irrespirable et il est à craindre que le système législatif ne soit complètement bloqué puisque toute législation qui passera à la Chambre sera refusée par le Sénat, et vice versa.
En ce qui concerne le pouvoir exécutif, cela veut dire que le Président devra gouverner par décrets (exécutive orders) comme l’avait fait Obama. Ce qui veut dire que toute reforme réalisée par l’administration en place pourra être annulée d’un coup de crayon, comme on l’a vu pour le soi-disant Traité de Paris ou l’accord avec l’Iran, signés par l’administration Obama et annulés purement et simplement par l’administration suivante.
Quant au pouvoir judiciaire, on l’a vu avec la nomination du dernier juge à la Cour suprême, c’est là que la bataille fait le plus rage entre les deux groupes.
Je n’ose penser à ce qui pourrait se passer si madame Ruth Ginsburg (juge de gauche à la Cour suprême), octogénaire et qui vient de subir une chute assez grave, venait à disparaître dans les semaines qui viennent. Et chaque nomination d’un juge au niveau fédéral ou local va être l’objet d’une bataille sanglante, qui laissera des traces.
Beaucoup pensent que cette situation de blocage serait favorable à long terme à la croissance et aux marchés financiers. Cela sera vrai si nous n’avons pas de crises domestiques ou internationales demandant une réponse rapide et coordonnée des autorités américaines.
Hélas, une crise me paraît assez probable dans les mois qui viennent, comme je l’ai écrit depuis l’automne dernier. D’après moi, nous sommes en effet en train de rentrer dans des temps difficiles et troublés. Rien dans ce résultat électoral ne me permet de remettre en doute ce diagnostic, au contraire puisque le pouvoir exécutif américain en sort quelque peu affaibli.
En conclusion
Je pense que ce résultat électoral n’est pas spécialement mauvais pour Trump, mais que rien n’a été réglé, rien. Et comme la gauche a tendance à devenir de plus en plus violente et intolérante, le pire est à craindre et le sang pourrait couler. Dans la mesure où les marchés ont horreur de l’incertitude, il me semble que les choses vont donc aller plus mal avant que d’aller mieux.
Conservez une part importante de cash dans les portefeuilles me semble toujours justifié.