Comme me l’avait dit il y a bien longtemps l’un de mes mentors lorsque j’ai commencé à réfléchir sur les marchés financiers : « Charles, la seule question est de savoir s’il y a plus d’idiots que d’argent (les marchés baissent) ou plus d’argent que d’idiots (les marchés montent) ».
Le principe est simple et très juste, son application dans la réalité est, et reste, oh combien difficile, hélas.
Revenons un peu en arrière, au moment de la grande crise de l’Euro de 2011-2012.
La BCE, suivant en cela la Fed décide de jeter son bonnet par-dessus les moulins et se met à acheter des obligations d’état et cet exemple sera rapidement suivi par la banque du Japon. Et donc, de 2012 à 2017, nous avons eu beaucoup plus d’argent que d’idiots et les marchés en conséquence se sont fortement appréciés.
Changement de décor en 2017. La Fed annonce qu’elle va réduire la taille de son bilan, alors même que la BCE et la banque du Japon maintiennent leurs politiques « expansionnistes ». La quantité d’argent « dollar » va donc commencer à baisser et les optimistes (autre nom donné aux idiots) de me dire que cela n’est pas très important puisque la BCE et la BOJ vont continuer à imprimer à tout va. Voilà qui montre que ces optimistes ne comprennent pas qu’en ce qui concerne les monnaies, le dollar est plus égal que les autres puisque la monnaie des USA est aussi la monnaie qui sert aux financements internationaux.
Explication.
Le rôle d’une banque centrale est de gérer la « liquidité « de l’économie qu’elle a sous son contrôle.
Si elle veut la faire croître, elle achète des obligations émises par son ou ses états (dans le cas de la BCE) qui seraient détenues par les banques commerciales et ce faisant elle fait baisser les taux et fait monter un agrégat monétaire qui s’appelle la base monétaire. Que le lecteur imagine que cette base est la pointe de la pyramide du crédit dans un pays. Si la pointe s’accroît, l’ensemble de la pyramide devrait suivre. Et le contraire est vrai aussi… et la Fed nous dit donc depuis un an qu’elle veut réduire la taille de la pyramide, c’est-à-dire l’offre de dollars, ce qui devrait faire monter les taux aux USA, ce qui se passe…
Mais le dollar est — aussi — la monnaie dans laquelle le monde emprunte, c’est-à-dire la monnaie dans laquelle ceux qui ne disposent pas d’une épargne suffisante chez eux s’endettent s’ils veulent investir ou spéculer, qu’ils s’agissent d’États, de sociétés ou de particuliers.
Et donc, quand le dollar se fait rare, ces entités se retrouvent en difficultés et sont obligées de vendre leur monnaie nationale pour servir la dette en dollar, ce qui force la banque centrale locale à vendre les dollars qu’elle avait en réserve de change et du coup les réserves de change de ces pays se mettent à baisser, ce qui force la banque centrale à monter les taux… et donc les taux de changes de ces pays se mettent à baisser de plus en plus fortement au fur et à mesure que les réserves de changes locales s’épuisent, ce qui rend le remboursement des dollars de plus en plus onéreux… et cela se termine parfois avec le FMI.
Or il se trouve que la Fed publie chaque semaine son bilan dont ces réserves font partie, au passif, ce qui me renseigne sur la situation et me permet d’avoir une idée du stock de dollars inutilisés en dehors des États-Unis et donc mis « en réserves » par des banques centrales tierces.
En additionnant la base monétaire aux USA aux réserves de change déposées à la Fed pour le compte des banques centrales étrangères, j’ai donc une idée de la QUANTITÉ de dollars dans le monde, séparée entre dollars aux USA et dollars en dehors des USA. Et j’appelle cet agrégat « la base monétaire mondiale ».
Est-ce une mesure précise ? Certainement pas. Mais comme le disait Keynes, il vaut mieux avoir approximativement raison que précisément tort… Et donc, si cet agrégat se met à baisser, je sais que nous nous trouvons dans un monde où la quantité d’argent baisse) … alors que le nombre d’idiots reste à peu près constant.
Et c’est là en général que les difficultés commencent, comme en témoigne le graphique suivant et c’est là aussi que nombre de pays se mettent à faire appel au FMI.
Chaque fois depuis 1972 que la base monétaire mondiale en dollars est passée en dessous de zéro, nous avons eu des problèmes, des gros problèmes. (La seule fois où nous avons eu des problèmes sans que nous soyons passés en dessous de zéro fût en 2008 quand Paulson, le ministre des Finances US, laissa Lehmann Brothers faire faillite, écroulant non pas la base monétaire, mais la pyramide du crédit elle-même, ce qui était une imbécillité incommensurable. À l’époque je pensais que tout le monde savait depuis les années trente qu’il ne fallait JAMAIS laisser faire faillite à une banque… je me trompais).
Or la base monétaire mondiale est en train de passer en dessous de zéro, ce qui revient à dire qu’il y a moins de dollars qu’il y a un an dans le système, et le Président Trump, en suivant une politique protectionniste, rend l’acquisition de dollars par les non-Américains plus difficile qu’à l’accoutumée.
Et déjà, les pays endettés en dollar et qui souffrent d’un déficit de leur commerce extérieur sont en train d’aller au tapis les uns après les autres.
Citons la Turquie, dont j’ai déjà parlé deux fois récemment dans ces chroniques, mais aussi l’Argentine, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Mexique…
Déjà aussi, les pays très dépendants de leurs importations de pétrole — qui sont bien sûr libellées en dollar — voient leurs taux longs monter…
Citons par exemple l’Italie et l’Espagne, ce qui démontre l’échec de la BCE et met en danger la pérennité même de l’Euro.
Mais après tout, l’un des objectifs de monsieur Trump est de se payer l’Allemagne avec ses excédents du commerce extérieur de plus de 8 % de son PIB, ce qui est monstrueux et ne s’explique que par la sous-évaluation de la monnaie allemande, elle-même conséquence de l’Euro.
Mais que cherche à faire monsieur Trump exactement ?
Monsieur Trump ne croit qu’en la Nation et il veut donc simplement sortir du monde multilatéral dans lequel nous vivons.. II veut que son pays redevienne le premier pays au monde et le proclame haut et fort « America first ». Et pour cela, il faut sortir du multilatéralisme et revenir au bilatéralisme.
Depuis 1990 et la chute du mur de Berlin, les hommes de Davos n’ont eu qu’une idée, enlever morceau par morceau sa souveraineté à chaque nation pour la transférer à des technocrates non élus, et pour se faire ils ont inventé l’Euro, les traités de commerce multilatéraux, les cours de justice internationale, les traités sur le climat et que sais-je encore.
Le but était et reste toujours était de brider l’expression de toute volonté nationale et il fallait donc enchaîner les électorats et rendre le vote inutile, un peu comme en URSS.
Le président Trump à l’évidence veut libérer Gulliver des chaînes qui enserrent le géant américain et cela va passer par une crise de l’ordre international installé par les hommes de Davos depuis 1990, il ne peut en être autrement.
Le multilatéralisme est mort (quid de l’OTAN ?)
Je ne dis pas que cela est bien ou que cela est mal, je dis simplement que c’est une évidence.
Le nouveau Président américain est en train de rappeler aux hommes de Davos ce que disait de Gaulle : « les Nations n’ont pas d’amis, elles n’ont que des intérêts » et c’est ce que pensent aussi toute l’Europe de l’Est, la Chine, la Russie et la quasi-totalité du reste de l’Asie. Il s’agit donc d’un mouvement éminemment populaire, ce que les hommes de Davos traduisent par populiste. Et ce mouvement apparaît inarrêtable.
Attachez vos ceintures, car la construction européenne est au cœur même du multilatéralisme et ses représentants du style Delors, Bernard Lamy ou Jean-Claude Trichet en ont été les fers de lance. Le dernier survivant de cette classe encore au pouvoir est bien sûr notre cher Président, si jeune en âge et si vieux en pensée, sans grande légitimité, car porté au pouvoir par un coup d’État judiciaire et médiatique et qui ne comprend que le monde qui est en train de disparaître.
La diplomatie française est donc sans doute à la veille de connaître un véritable effondrement de ses principes directeurs, car la France a à sa tête un homme qui ne semble pas avoir intégré que partout dans le monde les peuples veulent redevenir maîtres de leurs destins. Et que les peuples n’aiment pas que les élites gouvernent contre leurs volontés.
Nous vivons la fin d’un âge technocratique et nul ne peut arrêter la marée quand elle se met à monter. Je ne saurai trop conseiller aux lecteurs de réfléchir par eux-mêmes tant il me semble évident que nous rentrons dans des temps troublés. Un seul conseil : restez flexibles.