Il n’est pas vraiment nécessaire de revenir sur les raisons qui m’avaient amené à cette conclusion si ce n’est pour rappeler que les Anglais, ayant inventé la démocratie parlementaire, ne voyaient pas pourquoi ils devaient être gouvernés par des gens que personne n’avait élus et que personne ne pouvait virer. Comme le disait Tony Benn, un gauchiste s’il en fut, mais un vrai Anglais : « La démocratie consiste à voter pour des incompétents pour pouvoir les virer cinq ans plus tard ». Aucune des conditions n’étant remplie dans les institutions européennes, à l’exception bien sûr de celle de l’incompétence, les Britanniques ne pouvaient que sortir, ce qu’ils firent.
Une fois le résultat connu, j’ai presque immédiatement fait part de ma quasi-certitude que les négociations entre Bruxelles et la Grande-Bretagne allaient échouer piteusement tant les points de vue « philosophiques » de départ étaient totalement irréconciliables.
Essayons d’expliquer ces différences intellectuelles.
- À ma gauche, dans le camp britannique, des négociateurs qui cherchent un accord qui limiterait les dégâts économiques et politiques qu’une rupture trop brutale pourrait créer tant pour eux que pour les autres. Et ces négociateurs sont dans une position très faible dans leur propre pays, dans la mesure ou Mrs. May a une majorité inexistante aux Communes (après une dissolution désastreuse) et que son propre parti, le parti conservateur est lui-même très partagé. Ce que recherchent les négociateurs anglais est donc tout simplement un accord de nature « technique « qui pourrait être accepté et par le Parlement et par le parti conservateur et par ceux qui ont voté pour sortir, c’est-à-dire environ 52 % de la population.
- À ma droite, dans le camp bruxellois, les négociateurs, qui n’ont été élus par personne et ne devront rendre des comptes à personne. Mais ces grands hommes sont convaincus qu’ils portent un projet « politique », ce qui est tout à fait exact et c’est celui de Jean Monnet : remplacer la Démocratie dans chaque pays européen par une Technocratie à l’échelle Européenne. L’idée était simple : les guerres en Europe étaient dues à l’existence de nations rivales. Il fallait donc les faire disparaître dans une « structure » européenne, mais le faire tout doucement, en appliquant la théorie du cliquet. Chaque abandon de souveraineté au profit de la technocratie était à chaque fois très faible, mais une fois consenti, le pays en question ne pouvait jamais revenir en arrière. Ce qui était perdu était perdu pour toujours. Imaginez la fureur des hommes de Monnet quand, en un seul referendum, la Grande-Bretagne a réussi à retrouver potentiellement toutes ses souverainetés. Ce qui voulait dire que le Peuple britannique était SOUVERAIN et que toutes les constructions technocratiques ne valent pas tripette par rapport à la volonté d’un peuple exprimé par le suffrage universel. Et cette réalité, la supériorité de chaque peuple sur la technocratie à tout moment, implique un danger mortel pour Bruxelles. Et donc le seul but des Barnier ou Junker est de faire le nécessaire pour que l’économie anglaise s’écroule et/ou que les Britanniques fassent marche arrière, tant tout autre développement pourrait donner des idées aux Italiens, aux Grecs, aux Français, aux Bataves…
Et donc les deux partenaires n’ont absolument pas le même but.
Les Britanniques veulent trouver un compromis honorable.
Bruxelles veut organiser l’effondrement de l’économie anglaise.
Le premier est prêt à arrêter le duel « au premier sang », le deuxième ne s’arrêtera qu’avec une capitulation de son adversaire.
Pour Bruxelles, il s’agit d’une lutte à mort : Si la Commission ne réussit pas à forcer la Grande-Bretagne à revenir en arrière, le rêve de Jean Monnet qui s’est transformé en un cauchemar pour les Européens va imploser comme l’Union soviétique le fit. Je vous en donne un exemple : l’Irlande du Nord pose un problème puisqu’il n’y a plus de frontières entre l’Irlande du Nord, qui fait partie du Royaume-Uni et l’Irlande du Sud, pays indépendant.
Si le Royaume- Uni sort de l’Union européenne, une légère difficulté se profile à l’horizon : Il va falloir rétablir non seulement des barrières douanières entre les deux Irlande, mais aussi mettre en place des contraintes sur les mouvements de personnes physiques entre l’Irlande du Sud et la Grande-Bretagne et entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, ce qui va être extrêmement difficile. Et remettre des frontières est contraire à l’accord dit du « Vendredi saint » qui spécifiait qu’il n’y aurait plus de frontières entre les deux Irlande et qui mit fin à la guerre civile.
Que propose la Commission pour résoudre cette difficulté ?
Que l’Irlande du Sud annexe l’Irlande du Nord et que donc l’Irlande du Nord reste en Europe et abandonne le Royaume-Uni, ce qui équivaudrait à un démantèlement de la Nation. Politiquement, c’est idiot puisque la majorité de Mrs. May ne tient que grâce aux députés unionistes d’Irlande du Nord. Humainement, c’est bien pire quand on se souvient que la guerre civile a fait rage en Irlande du Nord pendant un siècle entre une majorité protestante (qui voulait rester anglaise) et une minorité catholique (qui voulait devenir Irlandaise) et que cette guerre civile a fait des milliers de morts. On ne peut s’empêcher de penser que le but des Barnier, Juncker and Co n’est que de rallumer les feux qui ont été si péniblement éteints et que ces gens sont au mieux des incompétents et au pire des criminels, l’un n’excluant pas l’autre d’ailleurs.
Venons-en au point suivant : compte tenu de ces contraintes, quelles sont donc les deux stratégies de négociation ?
Bruxelles a une stratégie à double détente : d’abord ne rien lâcher aux négociateurs britanniques dans l’espoir (second point) que cela affaiblira le gouvernement de sa Majesté et forcera à des élections ou à un nouveau referendum, et que les Britanniques à cette occasion reviendront en arrière. Le but de Bruxelles est purement et simplement de revenir au « statu quo ante » et certainement pas de négocier quoi que ce soit.
À cet effet, on sort du placard les vieux chevaux de retour tels Major ou Blair qui ont consenti à tous les abandons de souverainetés du passé sans jamais demander son avis au peuple et qui vont expliquer à qui veut bien les entendre (pas grand monde) qu’il est encore temps de demander pardon et de retourner vers un déclin tranquille.
Et tout cela est accentué par des campagnes de presse dirigées par les oints du seigneur et autres hommes de Davos depuis leurs forteresses (BBC, FT, OECD, The Economist), expliquant que l’économie britannique est en train de s’effondrer et qu’il est encore temps de faire machine arrière.
Et ces calembredaines sont reprises par la grande presse internationale, en particulier en France, pour expliquer que toute tentative de quitter l’Europe ne peut qu’amener au déclin et à la ruine. En fait l’économie anglaise est en train de s’adapter et ne va pas si mal que le pensent les Français.
Regardons les taux de chômage dans trois pays, la Grande-Bretagne, la France et l’Italie et leur évolution (entre parenthèses) depuis fin juin 2016, date du vote pour le Brexit.
Aujourd’hui, l’Italie a 11 % de chômeurs (en baisse de 8 %), la France, après de savants tripatouillages, en est encore à 8.5% de chômeurs (en baisse de 11%), et la GB a 4.4 % de chômeurs (en baisse de 12 %). Depuis le vote du Brexit, le chômage en pourcentage de la population active a plus baissé en Grande-Bretagne qu’en France ou en Italie, deux pays qui, d’après la presse officielle vont très bien… Signalons aussi que le Royaume-Uni n’a jamais compté autant de personnes au travail dans son histoire.
À mon avis, il vaut mieux être demandeur d’emploi en Grande-Bretagne qu’en France ou en Italie… La concurrence est moins rude. Rappelons quand même que tous ces pays avaient le même taux de chômage en 2011, aux alentours de 12 %
Venons-en maintenant au résultat final probable de ces négociations qui n’en sont pas, puisque l’une des deux parties n’a aucunement l’intention de négocier.
Je ne crois pas une seconde, mais je peux me tromper, que les Anglais vont faire machine arrière. Le Bull-Dog britannique, quand il a refermé ses mâchoires sur quelque chose ne les a jamais rouvertes sauf s’il avait Jeanne d’Arc en face de lui. Et messieurs Barnier et Juncker ne sont pas Jeanne d’Arc…
Qui plus est, petit à petit les choses vont évoluer en faveur du Royaume-Uni. Plus le temps va passer, plus la tactique britannique va devenir simple et leur discours va être le suivant :
- Si nous quittons l’Europe sans avoir pu signer quoi que ce soit, alors les accords qui s’appliqueront entre notre pays et la zone européenne seront ceux de l’OMC qui régissent les relations entre les États-Unis, la Chine ou tout autre pays avec la zone. Dans ce cas-là, bien entendu, nous ne paierons rien, puisque rien n’est prévu dans les traités et l’Europe se retrouvera tout de suite avec un déficit de financement d’au moins 20 milliards d’euros par an, ce qui forcera à augmenter les impôts en Allemagne, en France, en Espagne et/ou à couper les subventions à la Pologne à la Hongrie, au Portugal, etc.… avec lesquelles Bruxelles a bien du mal déjà.
- Par contre, si nous signons un accord qui nous satisfasse, alors nous vous versons 40 milliards d’euros dans les années qui viennent et vous n’aurez pour un moment aucun problème budgétaire.
- Et, diront les négociateurs de la perfide Albion, en parlant très doucement aux oreilles des Allemands pour ne pas être entendus par les Français, « Nous aimerions vous rappeler que le Royaume-Uni a un déficit commercial de 90 milliards d’euros vis avis de la zone euro, dont près de la moitié avec l’Allemagne et qu’il s’agit principalement de matériel de transport (voitures). Si vous nous cassez trop les pieds, on trouvera que les voitures continentales sont très polluantes, mais pas les voitures japonaises ou coréennes. Et vous pourrez fermer Wolfsburg… »
En ce qui concerne Bruxelles, la question est beaucoup plus existentielle : Ou le Royaume-Uni « craque » et ils auront gagné, ou il ne craque pas et ils auront perdu et seront dans un danger mortel.
- S’il n’y a pas d’accord et que l’économie britannique se porte bien, alors tout le monde se rendra compte que Bruxelles est un tigre de papier et la Pologne, la Hongrie, l’Italie et d’autres encore verront émerger des partis de plus en plus puissants réclamant la sortie des Institutions européennes.
- S’il y a un accord qui permet à la Grande-Bretagne de retrouver sa Souveraineté juridique et de contrôler ses frontières et que tout se passe bien, alors d’autres peuples se diront « pourquoi pas nous ? » et nous voilà ramenés au problème précèdent.
Dans tous les cas de figure, le cauchemar de Jean Monnet disparaît comme une brume quand le soleil se lève, sauf si les Anglais craquent. Et donc, les pressions économiques, politiques, financières, diplomatiques sur la Grande-Bretagne vont être inouïes dans les deux trimestres qui viennent.
Et en vieux financier que je suis, je me dis que cela va certainement amener à des occasions d’achats sur les actifs britanniques.
Il va falloir que je regarde ça d’un peu plus près.