Par Charles Gave
20 novembre, 2017
Voilà qui n’est pas bien excitant. J’ai déjà vu le film et dans de nombreuses moutures, au Chili en 1973, en Grande-Bretagne en 1977, en France en 1981, en Union soviétique en 1990, en Thaïlande et en Corée en 1997, en Grèce en 2009, pour terminer avec le Venezuela la semaine dernière, en attendant la version suivante qui ne saurait tarder.
Le scénario est toujours le même : Un idéologue (religieux ou socialiste, le nom précis donné à l’incompétence importe peu, car dans le fond Melanchon Erdogan c’est tout pareil…), pense qu’il va montrer au monde comment «vaincre» et «dompter» les forces de l’horrible «marché capitaliste» et se met en conséquence à suivre une politique profondément débile qui commence toujours par l’impression incontrôlée de monnaie, suivant l’idée que plus d’argent crée plus de richesse…
Hélas, dans la réalité, une telle politique a comme premier effet immédiat d’envoyer au tapis le taux de change du pays qui la suit, comme le montre le premier graphique.
Quand la quantité de monnaie augmente (ligne bleue qui monte), le prix de la monnaie baisse (ligne rouge qui monte=Euro qui monte contre la Lire Turque et donc Lire Turque qui baisse). Variations sur 12 mois dans les deux cas.
Voilà qui est fort logique. Si la quantité de quelque chose augmente, son prix baisse…
Ce qui est plus embêtant est que la Turquie depuis des années a emprunté des sommes considérables en monnaies étrangères. On parle de plus de 450 milliards de dollars, ce qui n’est pas rien… Et comme le taux de change se casse la figure, financer cette dette devient de plus en plus difficile. Par exemple comme la Lire Turque a baissé de prés de 30 % depuis un an, le service de la dette coûte aujourd’hui 30 % de plus qu’il y a un an et demain peut être 60 % si la Lire continue de baisser. Sous l’effet de ces sorties de capitaux, le déficit du commerce extérieur se creuse de plus en plus. Or et il est déjà à près de 5 % du PIB Turc…et la question se pose : qui va investir de l’argent frais dans un pays dont la monnaie s’effondre ?
Et bien sûr une hausse des taux d’intérêt phénoménale suit, sous l’effet de deux facteurs :
- Tous ceux qui ont des dettes et un cash flow négatif cherchent à emprunter pour servir des frais financiers qui explosent de façon «inattendue».
- Par contre, les résidents qui ont une épargné ou sont en cash flow positif n’ont qu’une idée et c’est de sortir leur argent aussi vite que possible du pays pour protéger leur capital.
Et surprise, surprise ! Si la demande de prêts augmente considérablement et si l’offre d’épargne diminue, et bien le prix auquel l’offre d’épargne = la demande d’épargne, c’est à dire les taux d’intérêt montent au travers du toit. Et c’est ce que montre le graphique suivant.
Et comme l’inflation monte et que l’activité économique s’écroule puisque plus personne n’investit, ne pouvant trouver l’argent pour le faire, nous rentrons dans une dépression inflationniste tandis que les banques se mettent à sauter comme des bouchons puisque plus personne ne les rembourse. C’est en général le moment ou les gens du FMI à Washington devraient se mettre à réserver leurs billets d’avion pour Istanbul ou Ankara…
L’embêtant est que dans la catégorie « idéologue fou », monsieur Erdogan est parmi les tous meilleurs au monde en ce moment (malgré une sévère concurrence) et que l’idée qu’il a eu tort ne l’effleurera même pas. Les responsables sont bien entendu (je laisse le lecteur choisir) : les Juifs, les Arméniens les Américains, les trois ensemble, les Chrétiens, l’Intelligence Service, les Grecs (peu crédibles cette fois ci), le « mur de l’argent », les gnomes de Zurich ou de Wall-Street, et j’en oublie sûrement.
Il va donc continuer d’accumuler les erreurs que bien d’autres ont fait avant lui du style contrôle des prix, contrôle des changes, contrôle du crédit, mises en prison de commerçants ou de banquiers, trafiquants fusillés sévèrement, diplomates étrangers expulsés, journalistes disparaissant mystérieusement… avant que d’être chassé du pouvoir par la rue ou par l’armée.
Mais avant de réfléchir aux nouvelles âneries que le Président Turc nous réserve, il me faut d’abord expliquer pourquoi et comment il a tenu aussi longtemps.
La Turquie a depuis un grand moment un important déficit de son commerce extérieur (aux alentours de 5 % du PIB), ce qui veut dire qu’elle achète pour 5 % de plus à l’étranger qu’elle ne lui vend. Cela n’est possible sur le long terme que si « quelqu’un » lui prête la différence, c’est-à-dire environ bon an mal an 5 % du PIB. Ce quelqu’un, d’après ce que je crois savoir aurait été l’Arabie Saoudite.
Et donc, depuis années, la Turquie vivait au-dessus de ses moyens parce que l’Arabie Saoudite la subventionnait dans le cadre de la lutte millénaire entre Sunnites et Chiites au Moyen-Orient (voir mes papiers sur le sujet). L’embêtant est que le royaume Saoudien a un nouveau maître qui s’est rendu compte qu’il n’y avait plus un rond dans les caisses et qui du coup cesse de subventionner les autres pays Sunnites…Plus de subventions à attendre donc et du coup la monnaie se casse la figure.
Et que le lecteur ne croit pas que cela va affecter uniquement la Turquie.
Les monnaies Libanaises, Bahreïni, Qatari, Égyptienne, voir Algérienne ne sont tenues que grâce aux Saoudiens. Et donc, partout dans le monde sunnite et arabe les monnaies locales vont s’effondrer, ce qui est rarement favorable à la stabilité politique.
Depuis 1973, les économies de ces pays vivent dans une fausse économie basée sur ce que les économistes appellent la rente minière. La rente minière disparaissant, il est à craindre que les populations locales payées à ne rien faire depuis des lustres ne se mettent à crever de faim et que du coup elles partent – à pied – pour rejoindre de nouveaux pays d’accueil où elles seront nourries.
Les crises financières et politiques au Moyen-Orient risquent bien de relancer l’immigration vers chez nous, ce qui ne va pas arranger les affaires dans notre vieux continent
Pour conclure
(Sur des considérations bassement boursières (Pouah !))
La première étape de la crise du Moyen-Orient impliquait d’un côté la Russie et l’Iran et de l’autre l’Arabie Saoudite et la Turquie. La Russie et l’Iran ont gagné cette première manche, ce qui était parfaitement prévisible.
Du coup, l’Arabie Saoudite se retire dans son bunker et laisse tomber les autres Sunnites, dont les régimes vont s’écrouler, ce qui va déclencher de nouveaux mouvements d’immigrés et quelques perturbations financières, je le crains.
- Je me suis laissé dire par exemple que les banques françaises et allemandes étaient parmi les plus grands créditeurs de la Turquie. Voilà des dettes qui ne seront jamais remboursées…et pour ça, je fais tout à fait confiance à monsieur Erdogan.
- Il apparaît aussi que les plus gros clients de nos vendeurs d’armes en Europe seraient les monarchies sunnites dont tout laisse à penser qu’elles vont droit à la faillite. Détenir ces valeurs en bourse me paraît peu souhaitable.
- De gros contrats viennent d’être passés par Airbus avec la compagnie aérienne Émirats. J’attendrais un peu avant d’acheter Airbus, à tout hasard.
- J’achèterai bien des obligations Russes (à 8 %), pour me prémunir contre une hausse des prix du pétrole et des obligations chinoises (à 4%), pour me protéger contre des ennuis avec mes euros.
- Je maintiens ce que je dis depuis des années, n’ayez aucune valeur financière ni aucune obligation de la zone euro en portefeuille, sauf si vous aimez perdre de l’argent.
- Je vendrai volontiers les fonds investis en obligations des pays émergents, si j’en avais, ce qui n’est pas le cas.
Et pour finir, je lèverai bien un peu de cash dans mon portefeuille actions, que je mettrai en dollar US, à tout hasard.