Par Charles Gave
5 juin, 2017
Les événements se suivent et semblent tous aller dans la même direction : le monde anglo-saxon en général et les États-Unis en particulier sont en train de larguer les voiles et de s’éloigner de l’Europe. Le premier signe fût le Brexit, salué comme une libération par celui qui fut ensuite élu à la Présidence des États-Unis. Le deuxième signe fût bien sur l’élection de monsieur Trump à la Présidence des États-Unis. Et le troisième signe, nous venons de l’avoir, c’est le voyage de monsieur Trump en Europe, marqué par les habituelles incartades verbales du Président US renforcées par sa décision de sortir du Traité de Paris une fois rentré à la maison.
On ne pouvait pas signifier de manière plus nette un divorce. Qu’a donc dit le Président américain de si peu diplomatique? Pour répondre, il me faut traduire dans un langage compréhensible ce qu’a exprimé monsieur Trump ( Je parle le Trumpien couramment). En fait, il a dit deux choses que tout le monde sait, mais dont il est malséant de parler en public.
La première, c’était que le temps des passagers clandestins était fini.
Depuis cinquante ans, l’armée US protège l’Europe par l’intermédiaire de l’OTAN. Les USA consacrent entre 4 % et 5 % de leur PIB par an à la défense, ce qui a permis à toute une série de pays et en particulier à l’Allemagne de… cesser d’avoir une défense.
Lors de son voyage qui s’est terminé au G7 et comme les USA ont des problèmes de fin de mois, Trump a présenté à madame Merkel la note que les USA payent pour l’Allemagne, ce qui a horrifié cette pauvre dame. Comment peut-on avoir de si mauvaises manières? Parler d’argent entre amis, quelle horreur! Et à la fille d’un Pasteur! Pouah !
La réalité est pourtant toute simple : d’une façon ou d’une autre, la facture militaire/ordre public va grimper de façon considérable dans les années qui viennent pour le « vieux » continent. Et donc, soit les USA continuent de payer et présentent la facture à la fin de chaque mois, ce qui s’apparente au paiement d’un tribut du féodal à son suzerain, soit l’Europe se défend toute seule. On reconnaît là l’horrible pragmatisme du businessman demeuré qu’est monsieur Trump. Et pourtant…Un peu plus haut j’ai utilisé le terme « vieux « tout à fait sciemment. En effet, pour se défendre tout seul, il faut commencer par rebâtir une armée. Comment rebâtir une armée quand il n’y a plus que des vieux dans un pays, les taux de fécondité par femme dans un certain nombre de pays européens et non des moindres tels l’Italie, l’Espagne, ou l’Allemagne étant inferieurs à 1. 5 enfants par femme depuis de lustres ?
Certes, on voit bien que la grande idée de monsieur Macron est d’offrir l’armée française à l’Allemagne en remplacement de l’armée américaine puisque nous, nous avons des jeunes, l’Allemagne payant les soldes des militaires français et la France fournissant les hommes… Tel est bien entendu l’accord que l’on va nous annoncer comme une avancée prodigieuse de l’Europe.
Mais créer une armée faite de soldats français payés par les Allemands, est-ce que cela constitue une armée «Européenne» ou simplement un retour du STO? En 1942, la France fournissait des travailleurs tandis que les Allemands entaient soldats. Aujourd’hui, nous fournissons les soldats pendant que les Allemands travaillent. Et quel soldat français va mourir pour défendre la patrie allemande ?
Qui plus est, est-il bien sûr qu’armer et former certains de ces « jeunes» français soit une bonne idée ? Monsieur Macron devrait lire la chute de l’Empire romain de Gibbons …
Depuis les années cinquante et la CED, tout le monde s’est cassé la figure sur la notion de défense européenne. Abandonner le dernier symbole de la souveraineté nationale, l’armée, quand plus de la moitié de la population a voté contre les abandons de souveraineté à chaque élection présidentielle et à chaque referendum serait…osé. Mais comme le disait Audiard …
La deuxième idée que pousse monsieur Trump est toute aussi simple et toute aussi grosse de conséquences.
Les USA ne se sentent plus tenus de respecter des traités qui ne lient pas, mais dont les résultats sont désastreux pour eux. Je m’explique, en prenant deux exemples :
Commençons par la balance commerciale allemande dont tout le monde admet qu’elle est exagérément excédentaire (le plus important solde positif au monde en termes absolus). Ce à quoi les autorités allemandes rétorquent qu’elles n’y peuvent rien puisque les nations européennes ont décidé de se donner une monnaie commune. Fort bien, sur cette volonté, les États-Unis n’ont rien à dire. Mais il se trouve que le résultat ultime de cette expérience monétaire est qu’elle permet à l’Allemagne de bénéficier d’un taux de change très sous-évalué, ce qui nuit à l’équilibre du commerce entre les USA et l’Allemagne et à la croissance mondiale dans son ensemble.
Monsieur Trump ne porte pas de jugement sur l’Euro (en fait, si, il a dit plus d’une fois que c’était un désastre), mais constate la subvention de fait dont bénéficient les producteurs allemands, et du coup se réserve le droit de prendre des mesures protectionnistes contre l’Allemagne, et seulement contre l’Allemagne. Il y a là une certaine logique, chacun en conviendra. Que les Français acceptent que leur industrie soit détruite par les Allemands, voilà qui ne regarde que les électeurs français, attachés à l’euro comme un pendu l’est à sa corde.
Que l’industrie américaine en souffre et voilà une tout autre affaire… Les Allemands disent : nous n’y pouvons rien, ce à quoi monsieur Trump répond : c’est bien embêtant, mais moi j’y peux quelque chose et donc je vais faire quelque chose, comme mettre des droits de douane sur les voitures allemandes pour compenser les imbécillités d’un système dont je ne suis pas responsable, mais qui me nuit beaucoup.
Continuons avec le Traité de Paris, signé par monsieur Obama et non ratifié par le Congrès (ce qui était anti constitutionnel). Il stipulait que les USA devaient réduire leurs émissions carbone de 25 % au cours des années qui viennent. Encore une fois, fort bien, mais le seul problème était que rien n’était demandé ni à la Chine, ni à la Russie, ni à l’Inde ni à bien d’autres avant le milieu des années trente. En fait, il s’agissait ni plus ni moins que de sanctions prononcées contre les USA au motif qu’étant les plus riches, ils avaient donc beaucoup pollué dans le passé et devaient donc se sacrifier pour le bien du reste de l’Humanité (avec un grand H). Et du coup, monsieur Trump dénonce un Traité qui n’avait pour but que de réduire la compétitivité des États-Unis en les forçant à prendre quasiment seuls des mesures bridant leur économie, ce qui bien sur avait été approuvé avec enthousiasme par la terre entière.
Et cette sortie du traité déclenche une fureur noire chez mes Oints du Seigneur et autres hommes de Davos puisque cette décision réaffirme la primauté de la Souveraineté nationale sur le Droit International et jette le doute sur le sérieux scientifique de la nouvelle religion qui devait forcer tous les élus nationaux à s’incliner devant les prêtres du nouveau dogme consacrant la primauté de Gaia sur chaque individu (A ce propos, il est troublant de voir le Pape soutenir ce qui est objectivement une hérésie).
En fait, tout cela met en lumière de façon éclatante quelque chose dont je parle depuis longtemps : nous avons au niveau mondial un conflit latent entre ceux que j’ai appelé dans une chronique précédente les hommes des arbres et de l’autre les hommes des bateaux.
Comme je l’avais expliqué il y a quelque temps, en Polynésie tout le monde sait qu’il y a deux sortes d’hommes : ceux des arbres, qui vivent heureux dans leur île en s’occupant de leurs arbres et ceux des bateaux qui coupent les arbres pour en faire des pirogues et aller voir si l’île d’à-côté n’est pas plus verdoyante. Et quasiment toutes les élections un peu partout depuis un certain temps se passent entre d’un côté les représentants des hommes des arbres (partisans de la souveraineté nationale) et de l’autre les représentants des hommes des bateaux (partisans de la prééminence du Droit International).
En Chine, en Inde, aux Philippines en Pologne, en Hongrie, en Grande-Bretagne, aux USA, pour l’instant les hommes des arbres gagnent… Par contre en Hollande, en France les hommes des bateaux l’ont emporté. L’Allemagne va certainement voter cet automne pour les hommes des bateaux. Restent pour l’Europe l’Italie et l’Autriche qui pourraient voter dès cet automne, c’est-à-dire six mois plus tôt que prévu.
Le rêve premier des hommes des bateaux fut de construire un « État Europe ». Une fois contents des résultats, ils se mirent à pousser l’idée d’un « État Monde », avec par exemple le Traité de Paris. Devant le recul général de l’idée de globalisation, ils sont tous en train de revenir à toute allure à l’idée qu’il faut d’abord réussir en Europe où ils contrôlent encore le système politique. Il est donc quasiment certain que nous allons avoir une tentative très puissante d’accélérer l’intégration européenne dans les trimestres qui viennent.
Mais chacun voit fort bien qu’il s’agit là d’une distinction absolument essentielle : ou l’on est des arbres ou l’on est des bateaux et cette ligne de fracture traverse l’Europe et chaque pays en Europe de part en part. Les Polonais, les Hongrois, sont des arbres et non pas des bateaux, et n’obéiront jamais aux gens des arbres.
Et donc s’opposent partout DEUX conceptions du monde et ces deux conceptions sont complètement antinomiques.
Nous sommes en plein milieu d’une crise non pas de civilisation, mais de compréhension entre deux parties des mêmes nations qui n’ont plus aucun langage commun. Et à ce point du raisonnement, je dois avouer l’incapacité conceptuelle dont je souffre à imaginer comment ce conflit va être résolu. Si les systèmes électoraux ne servent qu’à entériner le triomphe d’une partie de la population sur l’autre et si la volonté de vivre ensemble et la mémoire commune ont disparu, alors je ne vois pas très bien ce qui nous attend.