Par Charles Gave
Je reçois beaucoup de questions sur l’or et je vais donc faire une petite mise au point sur ce que l’or est- ou n’est pas.
- Ce que l’or est.
Un placement. Et c’est tout. A certains moments, il est de bon ton d’en avoir dans son portefeuille, mais la plupart du temps, l’or n’ajoute rien à la performance et en retranche pas mal.
- Ce que l’or n’est pas.
Une monnaie.
L’or n’est pas une monnaie. Une monnaie a trois caractéristiques:
- Etre un instrument d’échange, pour éviter le troc,
- Etre une mesure de valeur pour pouvoir exprimer tous les biens et services en unités de comptes similaires enfin,
- Etre une réserve de valeur.
Les partisans de l’or semblent penser non seulement que l’or est la réserve de valeur ultime si notre civilisation s’effondre, auquel cas à mon avis un fusil fera mieux l’affaire mais que l’or est aussi une excellente réserve de valeur sur le long terme, ce qui n’est pas le cas, comme le montre le graphique suivant.
Ce graphique montre le ratio entre la rentabilité totale d’une obligation longue Américaine depuis 1935, après que Roosevelt ait dévalué le dollar contre l’or relançant de ce fait la grande dépression. Grosso modo, un portefeuille qui n’aurait eu que de l’or depuis 1935 a sous performé un portefeuille constitué uniquement d’obligations US longues de …50 % depuis cette date.Et si je choisis comme date de départ la fin de la grande inflation, c’est-à-dire 1981, je découvre que l’or a sous performé un portefeuille obligataire en dollars US de…87 %. Et je ne parle pas de la sous performance par rapport à un portefeuille d’actions qui a été bien supérieure à 90 %…Donc comme réserve de valeur sur le long terme, le résultat n’est guère probant.Passons à l’or «étalon de valeur». Un étalon de mesure est supposé être invariant. Historiquement, depuis le début de ma carrière, j’ai vu l’or passer de 25 à 800, de 800 à 270, de 270 à prés de 2000 (moment où j’avais recommandé de le vendre) et tout le monde s’excite parce que l’or vient de passer de 1100 à 1240. Voila un étalon qui me parait un peu volatil.Et je me permets de mentionner pour en terminer avec l’or comme monnaie que sortir une pièce d’or pour acheter sa baguette de pain n’est guère praticable. Cela l’était quand le Franc, c’est-à-dire la monnaie Française définissait l’or, car ce qui donnait sa valeur d’échange à l’or c’était le simple fait que la Banque de France imprimait des francs quand quelqu’un lui amenait de l’or. Cela n’est plus le cas. On peut le regretter, comme on peut regretter le temps de la marine à voiles ou des diligences, mais cela n’a rien à voir avec notre propos.Donc l’or n’est pas une monnaie mais a néanmoins une troublante caractéristique : il déclenche des phénomènes affectifs très bizarres. Les détenteurs d’or y sont à peu prés aussi attachés qu’Arpagon à sa cassette (qui d’ailleurs était remplie de pièces d’or). En 1980, avec l’or à 800, j’avais écrit un papier pour tous mes clients en leur disant de vendre l’or. La réponse fut foudroyante : un nombre important d’entre eux décidèrent ce jour là de se passer de mes services. L’or est en effet de tous les placements celui qui déclenche les réactions émotionnelles les plus extraordinaires et pourtant l’or ne sait pas que ses détenteurs l’aiment passionnément.A dire vrai, l’or ne sait même pas que vous existez. Et donc l’on ne peut s’empêcher de penser que certaines personnes semblent ne pouvoir vivre que si elles ont de l’or, sans doute parce que leur maman ne les a pas assez aimé quand ils étaient petits ? Il faudrait que quelqu’un écrive un jour une thèse sur cette passion.Et cela m’amène à une deuxième caractéristique très curieuse de l’or. Ceux qui détiennent de l’or sont en général profondément pessimistes et semblent « espérer » que tout va s’écrouler. Dans la Parabole des Talents, le mauvais serviteur qui enterre son métal précieux dit à la fin à son Maitre « Voila ton Talent. Je l’ai enterré parce que je sais que tu es un Maitre dur et injuste » On peut difficilement être plus pessimiste. Et donc les thuriféraires du métal jaune sont souvent des prophètes de malheur attendant je ne sais quel effondrement final. Il est certes possible que Troie soit rayée de la carte à jamais, mais enfin si Cassandre s’était bourrée de pièces d’or, je ne suis pas sur que son sort en eut été meilleur. L’écroulement final de civilisations entières est certes quelque chose qui s’est produit dans l’Histoire, mais dans l’ensemble les sociétés Démocratiques ont plutôt bien résisté à ces disparitions. Donc mettre tous ses actifs en or pour jouer la catastrophe ultime me parait procéder d’une vision quelque peu… millénariste.Il faut reconnaitre cependant l’or que l’or à une qualité éminente. C’est un placement qui a la curieuse caractéristique de souvent monter quand tout va mal, ce qui peut être très intéressant dans une construction de portefeuille. Pour moi, dans la catégorie « investissement », c’est la plupart du temps un placement assez médiocre qui présente un avantage réel, c’est que son cours tend à monter quand tout le reste baisse. Il est donc tout fait raisonnable de réfléchir aux moments où je dois l’introduire dans un portefeuille pour limiter les dégâts, sans lui prêter pour cela la moindre caractéristique philosophique, affective ou religieuse.Mais des que tout le reste se remet à monter, en général il déçoit. Donc l’or n’est ni une monnaie ni un placement miracle mais tout simplement un investissement comme un autre qui a une caractéristique intéressante de plus: c’est un outil assez utile pour mesurer la peur. Quand l’or se met à monter, c’est en général que les gens ont peur. En fait l’or est une espèce de « trouillomètre», coté tous les jours. Donc, si un homme comme moi qui s’essaye à être rationnel et qui n’est pas un « gold bug » envisageait l’or en tant que placement, c’est tout simplement parce que je craindrai que mes autres actifs ne se mettent à baisser. Si donc j’achète de l’or -qui encore une fois n’a absolument aucune utilité économique- c’est parce que je penserai qu’une panique financière a commencé – ou est à la veille de se produire. Je ne comprends pas très bien pourquoi, mais en bon pragmatique, je constate.Le lecteur doit donc se poser deux questions aujourd’hui.
- Sommes nous à la veille ou au milieu d’une sérieuse crise financière ?
- Le « trouillomètre» a-t-il déjà atteint des niveaux de panique ou est il encore à un niveau raisonnable ?
A la première question, j’ai déjà répondu maintes fois depuis quelques mois dans ces colonnes et la réponse est oui. A la deuxième, nul ne peut répondre puisque l’or, ne servant à rien, ne peut avoir de valeur d’usage. Comme il vient de baisser de 1900 à 1200, on peut se rassurer en se disant qu’il est moins cher qu’en 2011…
Et donc , je ne vois pas d’inconvénient à ce que les lecteurs fassent entrer dans leur portefeuille 10 % d’or, et pour leur édification, j’ai calculé la performance d’un portefeuille qui aurait été investi depuis Septembre 2015 à 50 % en actions US, 40 % en obligations longues US et 10 % en or. Voici le résultat, qui est légèrement inferieur pour l’instant à mon portefeuille de référence 50 % actions 50 % obligations. ConclusionMon portefeuille de référence reste le 50 /50… Il n’est cependant pas déraisonnable d’introduire un peu d’or dans son portefeuille si cela permet à l’investisseur de mieux dormir. Pas de dégâts pour l’instant ni pour le portefeuille de référence (à 104, pas sur le graphique) ni pour un portefeuille qui aurait 10 % d’or, alors que les actions US ont baissé de 14 % et la plupart des autres marchés de beaucoup plus. Encore une fois, le but ultime de toute gestion dans les mois qui viennent est de limiter les dégâts et non pas de performer brillamment.