La guerre d’Ukraine permet de comprendre les limites de la stratégie occidentale. Essentiellement une stratégie germano-américaine, étant donné que la manière de penser de l’OTAN est une combinaison des héritages allemands et anglo-saxons de la Seconde Guerre mondiale. A cela vient s’ajouter l’effet terrible de la désindustrialisation avancée de la plus grande partie du monde anglo-saxon et euro-bruxellois. La Russie a certainement eu une stratégie intelligente depuis février 2022. Mais elle a été aidée par les grandes insuffisances stratégiques de l’OTAN.
Au début de la Guerre d’Ukraine, beaucoup de commentateurs attendaient “la prise de Kiev en quelques jours” et la “bataille décisive. Elles ne sont pas venues, et les stratèges de plateau télé – les “Gamelin” chers à Xavier Moreau – ont crié à l’incompétence de l’armée russe.
Soyons indulgents. Beaucoup en Occident – des militaires de profession au public éclairé – vivent de quelques mythes en matière de perception des événements militaires:
+ la rapidité de manœuvre et les batailles de Napoléon.
+ le “Blitzkrieg”, la guerre-éclair hitlérienne.
+ les manœuvres américaines des Guerres du Golfe.
Ces comparaison sont peu éclairantes pour comprendre la Guerre d’Ukraine. Contentons-nous de remarquer que ni Napoléon ni Hitler n’ont été capables de vaincre l’armée russe. En réalité, la raison de fond était la même.
Aussi génial fût Napoléon dans la mobilisation de ses hommes et la capacité à gagner des batailles, jamais il n’a pris en compte le contexte global dans lequel se déroulaient ses guerres. Les ressources économiques dont pouvait disposer la France étaient inférieures à la somme des ressources de ses ennemis. Sur le long terme, le génie des batailles (terrestres) n’a pu empêcher le vrai rapport de force de s’imposer. Si l’on étudie la campagne de Russie, on comprend la supériorité de ce que Jacques Baud appelle “art russe de la guerre”. Koutouzov était un chef militaire laborieux comparé à Napoléon (voir la défaite austro-russe d’Austerlitz en 1805): mais, au moment décisif, en 1812, il sut mieux mobiliser l’ensemble des atouts de la Russie – de l’incendie de Moscou au harcèlement de l’armée française battant retraite en plein hiver.
De même, non seulement un historien comme Karl-Heint Frieser a montré que la “guerre-éclair” de mai-juin 1940 avait été pleine d’erreurs allemandes inexploitées par le commandement français; mais l’étude de la guerre contre l’URSS montre les limites de la stratégie allemande durant la Seconde Guerre mondiale. Le coup de massue initial ayant manqué son effet, le rapport de forces global s’imposa inexorablement, exactement comme contre Napoléon: l’Union Soviétique avait plus d’hommes, une capacité industrielle supérieure; sans oublier l’espace et le climat, qui ne furent pas plus indulgents envers les blindés allemands qu’ils l’avaient été envers l’artillerie tirée par des chevaux de Napoléon.
Illusions américaines
Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont largement accepté le discours des généraux allemands expliquant que l’armée allemande n’avait perdue la guerre contre l’URSS que du fait d’Hitler. Non de la stratégie militaire soviétique.
Autant les USA s’étaient montrés être une puissance naval de premier plan entre 1941 et 1945, autant leur effort terrestre était resté modeste, en comparaison de ce qu’avait entrepris l’Armée Rouge. Plutôt que d’étudier la stratégie de l’armée rouge, les Américains firent leur la conception allemande de la guerre mécanisée et de la manœuvre décisive. Face à un adversaire bien moins puissant comme l’armée irakienne (dont il ne faut pas oublier, cependant, qu’elle a a autant perdu du fait de la vénalité de ses officiers, achetés par les USA que pour des raisons militaires), la conception germano-américaine de la guerre a semblé s’imposer.
Il en va tout autrement de la Guerre d’Ukraine.
La défaite de la stratégie occidentale en Ukraine
L’armée ukrainienne n’aurait jamais tenu aussi longtemps face à l’armée russe si elle n’avait pas été entraînée et équipée par l’OTAN. Cependant, ce sont les erreurs de stratégie qui l’ont emporté!
+ la fameuse “contre-offensive ukrainienne” de l’été 2023 est une espèce de “Blitzkrieg” mené par l’armée ukrainienne sans aviation et en allant de heurter à une force de feu cinq fois supérieure.
+ Les instructeurs européens ont entraîné les officiers ukrainiens sans tenir compte du fait qu’ils avaient été formés selon les conceptions de’ l’Armée Rouge – donc étaient très proches des officiers russes. Une formation “germano-américaine” a été plaquée sur un personnel imprégné de “l’art russe de la guerre”. On a préféré le “commandement participatif par objectif” (mots compliqués pour dire qu’on laisse, comme dans l’armée prussienne du XIXè siècle, beaucoup de marge de manœuvre au subordonné, pourvu qu’il reste dans l’ordre cadre qu’il a reçu). Quand ils invoquaient leur connaissance du terrain et des façons de faire russes, les officiers ukrainiens en formation étaient rabroués.
+ Les Américains ont donné un feu vert à l’Ukraine pour faire la guerre sans tenir compte des forces réelles de la Russie: une mobilisation en fait très partielle; l’envoi aux fronts de troupes composées de militaires professionnels et de volontaires avec des réserves démographiques cinq fois plus importantes que celles de l’Ukraine. La préparation soigneuse de la guerre économique, appuyée sur une modernisation bancaire réussie. Sans oublier la possession russe de l’arme hypersonique et la capacité du pays à produire des munitions et des armes en quantités industrielles.
+ Pour les Américains, la communication est un outil de lutte au service de la guerre. Mais cela va au point de finir par confondre la communication et le réel. Les Occidentaux ont fini par croire en la faiblesse de l’armée russe, la désaffection des Russes vis-à-vis de Poutine; l’effondrement imminent de l’armée russe etc….