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Le débat ethno-culturel: cette malédiction qui paralyse la politique française

La question politique fondamentale en France n’est pas ethnique ou culturelle, elle est civique et sociale. Pendant des siècles, les querelles de notre histoire ont porté sur la citoyenneté, le parlementarisme, l’égalité entre les Français, la justice sociale, la construction de l’Etat, la liberté de l’Eglise, l’indépendance des nations etc…. Or, depuis les années 1980, le débat politique français est empoisonné par des questions d’identité ethno-culturelles profondément étrangères à notre histoire. Certaines forces politiques ou sociales les ont instrumentalisées; beaucoup de Français les ont tout simplement subies. C’est avant tout l’américanisation de nos élites qui a conduit à formuler en termes culturels et ethniques ce qui était en fait une question politique et sociale: la fin de la nation démocratique, égalitaire, indépendante issue des Trente Glorieuses au profit de cette “sécession des élites” dont a parlé Christopher Lasch. L’entretien des questions “identitaires” a servi à verrouiller le débat politique français pour camoufler le séparatisme social du monde dirigeant. Or ce subterfuge, qui aura duré quarante ans, est en train de s’émousser définitivement. Emmanuel Macron en aura été le dernier metteur en scène en même temps que le fossoyeur.

Après la Seconde Guerre mondiale, la France s’était reconstruite et développée comme une société homogène de classes moyennes. Lorsqu’il publia Démocratie Française, en 1976, Valéry Giscard d’Estaing croyait qu’il s’agissait d’une dynamique qui allait continuer longtemps. Son livre était en fait le chant du cygne des Trente Glorieuses.

Les crises des années 1970, la soumission au modèle monétaire allemand et la mondialisation ont fait éclater cette société homogène, la remplaçant progressivement par l’écart croissant entre France métropolitaine et France périphérique (selon les termes du géographe Christophe Guilluy, dont les analyses rejoignent celles de David Goodhart sur les Anywheres (les nomades de la mondialisation) et Somewheres (les gens à la mobilité géographique et sociale limitée) et de Joel Kotkin pour les Etats-Unis).

1983-1984: l’irruption du débat ethno-culturel

Parallèlement à ces changements sociologiques, le débat politique français s’est structuré autour d’un antagonisme profondément étranger à notre histoire. Nous étions sommés de prendre position sur le racisme, sur l’antisémitisme, sur l’immigration, le multiculturalisme, l’Islam….Soudain tous les débats et les points de vue politiques étaient mesurés à l’aune du jugement que l’on portait sur un homme, Jean-Marie Le Pen; sur son parti, le Front National

L’obsession du Front national ne fut pas seulement le produit du machiavélisme de François Mitterrand, qui voulait diviser la droite modérée en l’enfermant dans un dilemme grotesque – le fameux “plutôt perdre les élections que perdre son âme” de Michel Noir. Elle ne fut pas seulement le résultat de la mobilisation post-soixante-huitarde motivée aussi bien par l’investigation des compromissions vichyssoises et collaborationnistes que par l’idéal d’une société multiculturelle.

Non, il faut comprendre que quelque chose de plus profond se jouait, dont même les acteurs politiques et les médias n’avaient qu’imparfaitement conscience. La politique est le plus souvent mue par des forces qui nous dépassent, nous échappent ou relèvent de la “fausse conscience” voire de l’inconscient.

En réalité, le débat “ethno-culturel” (pour ou contre l’immigration; pour ou contre l’Islam; pour ou contre Le Pen) a eu pour effet de rendre toute discussion sur les vraies questions impossibles. Pouvait-on être contre “l’Europe” à moins d’être lepeniste? Pouvait-on s’interroger, comme de Gaulle le faisait encore, sur le contingentement de l’immigration, sans être un nazi en puissance? Pouvait-on s’interroger sur les relations entre Islam et République sans être un cryptofasciste?

Surtout, un réalignement des allégeances politiques a eu lieu qui faisait que, pour appartenir à la droite ou à la gauche “de gouvernement”, on devait passer le plus de temps possible à combattre le spectre d’un retour aux années 1930 ou 1940; et le moins de temps possible à s’interroger sur ce qui se passait d’essentiel: l’arbitraire croissant de la politique monétaire américaine; la “révolte des élites”, pour parler comme Christopher Lasch; le choix de désindustrialisation de l’économie française etc….

Toutes ces questions ont été rarement abordées; et quand elles l’ont été, cela n’a jamais duré longtemps. Prenons la trajectoire d’un Jacques Chirac, élu sur le thème de la “fracture sociale” en 1995; obligé à une cohabitation de cinq ans avec une majorité de gauche de 1997 à 2002; réélu de manière grand-guignolesque par 80% “d’antilepénistes” en 2002; et finissant sur une lourde défaite: le refus du traité constitutionnel européen par le peuple français en 2005.

En réalité, la politique française est maudite depuis qu’elle a substitué le débat “ethno-culturel” aux vraies questions: la défaite des socialistes aux élections de 1986, 1993, 2002; les défaites de la droite en 1988, en 1997; l’incapacité de Nicolas Sarkozy et François Hollande à obtenir un second mandat; les secousses profondes de la présidence Macron (Gilets Jaunes, manifestations contre la tyrannie sanitaire; rejet de la réforme des retraites; émeutes urbaines;…): voilà ce qui caractérise une France où dirigeants, médias, corps social s’interdisent de poser les vraies questions et, de plus en plus, traitent systématiquement d’extrême-droite ou de complotistes ceux qui ne rentrent pas dans le “cercle de la raison”.

Le principe constructeur de notre nation depuis vingt siècles: la “romanité”

Posée en termes ethnoculturels, la crise politique française est insoluble. Notre identité est romaine. Nous avons été civilisés par Rome. La Gaule catholique a absorbé les invasions barbares. Nos rois étaient “empereurs en leur royaume”, selon la belle expression du Moyen Âge (et de fait, la monarchie française a toujours été plus unificatrice de “ses peuples”, comme disaient nos rois, que ses sœurs européennes) ; la Révolution française a été une crise d’adolescence menée par des élèves des Jésuites devenus des renégats du catholicisme mais restés d’excellents latinistes ; et elle a débouché sur le très romain empire napoléonien. La république coloniale était elle aussi romaine dans son impérialisme.

Dans Europe. La voie romaine, Rémi Brague a décrit la capacité européenne à “s’approprier l’étranger”; l’intelligence, héritée de Rome, à reconnaître l’éventuelle supériorité culturelle des mondes extérieurs pour en faire une synthèse propre qui soit une innovation. Je pense qu’on peut aller plus loin en soulignant que, de toutes les conquêtes romaines, c’est la France qui a le plus consciemment repris à son compte le savoir-faire politique et civique romain.

C’est une intuition qui parcourt l’oeuvre de l’historien français Claude Nicolet – même s’il a tendance à la limiter à la romanité post-révolutionnaire. La France est d’abord “gallo-romaine”, qu’elle soit catholique ou laïque; monarchiste ou républicaine; qu’elle ait tendance à se limiter à son “pré carré” ou qu’elle construise un projet impérial. Il faut relire l’historien et philosophe du droit Michel Villey pour comprendre les ressorts de cet universalisme concret qui a permis le meilleur de notre histoire.

La romanité, c’est aussi la conscience de la frontière – le limes. La France ne peut exister comme nation que si elle se vit comme un Etat souverain chérissant ses frontières – lieux de passage vers l’assimilation.

Il est un dernier point essentiel à mentionner: nous sommes Romains parce que, fondamentalement, nous croyons à l’égalité entre les peuples. L’indifférence anglo-saxonne à l’égalité entre les peuples, qui peut déboucher, concrètement, sur des situations “d’apartheid”, nous est profondément étrangère. Notre histoire a répété aussi bien la capacité assimilatrice de Rome que sa tentation impériale parce que, fondamentalement, tout être humain peut devenir un citoyen français, quelle que soit son origine. Pensons à cette originalité française qu’est la “Légion étrangère”.

L’abandon de la romanité

Constatons que, depuis cinquante ans, la classe politique française, les médias, les intellectuels ont largement abandonné la romanité. Quand de Gaulle reprend à son compte la Communauté européenne, il veut en faire une “organisation de l’Europe occidentale” sous la conduite de la France. Aujourd’hui, Emmanuel Macron prétend nous soumettre à cette chimère américano-germanique qu’est l’Union Européenne.

Ce qu’on appelle “1968” se caractérise par l’expulsion du latin des lycées en même temps que l’abandon du modèle “gallo-romain”, si caractéristique, où chacun peut devenir Français, quelle que soit sa religion, sa culture ou son origine ethnique. Et depuis presque un demi-siècle, notre pays oscille entre deux extrêmes: d’un côté, l’illusion selon laquelle on pourrait accueillir des étrangers sur un territoire de souveraineté française sans se préoccuper d’en faire des citoyens français, sans les assimiler à notre histoire, très concrètement, par la langue, par l’école, par le travail, par le service de l’Etat; de l’autre l’illusion opposée selon laquelle il existerait un peuple français originel, définissable ethniquement, en passe d’être submergé ou “grand-remplacé”.

Or le multiculturalisme appliqué à la france ne met pas face à face un peuple bientôt soumis, pour parler comme Houellebecq et un autre peuple conquérant, par exemple islamiste. Quand on observe notre pays – et quand on l’aime – on est frappé de voir combien l’abandon du logiciel “romain” a des effets délétères sur tous ceux qui vivent en France. Sur les élites autant que sur les classes populaires. Rappelons-nous, sur le mode humoristique, cette personnalité politique française qui s’est fait une spécialité de dénoncer les “racailles” de banlieue et la “submersion islamo-migratoire” et qui fut pris un jour à oublier de payer ses courses à la sortie d’un grand magasin du centre de Paris.

Ce qui nous menace, ce n’est pas simplement le “séparatisme” ni les “banlieues perdues de la République”, c’est aussi la déviance de nos élites ( pour reprendre le thème d’un livre de David R. Simon à propos des Etats-Unis), la perte du patriotisme dans notre haute fonction publique, le renoncement à défendre notre langue dans le monde, l’abandon de toute politique étrangère indépendante et l’adoption du mode de pensée ethno-culturel anglo-américain.

Pour notre pays nous devons craindre autant l’anomie croissante qui règne dans notre milieu dirigeant que le “séparatisme des quartiers”. A vrai dire, l’éventuelle sécession mentale et organisationnelle de telle ou telle partie de notre territoire n’est que l’écho lointain de cette “sécession des élites” que Christopher Lasch avait identifiée dès les années 1990. Cette sécession des élites a signifié, en France, l’abandon du creuset romain de notre unité nationale. En réalité, l’abandon de notre capacité à exister comme nation.

La France, les musulmans et les BRICS

Avant la visite du président français à Marseille en juin 2023, le renseignement intérieur français, m’a-t-on raconté, avait attiré l’attention de la présidence sur la popularité de….Vladimir Poutine dans la population d’origine étrangère la ville, en l’occurrence venue de l’autre côté de la Méditerranée (Maghreb et Afrique subsaharienne). Autorité politique, clarté des intentions, force des convictions personnelles (chrétiennes), respect des musulmans, conservatisme sociétal, telles sont les principales motivations du respect pour l’actuel président russe dans une partie de la population vivant en France.

Avec le conflit israélo-palestinien, le décalage s’est aggravé entre la politique étrangère officielle de la France et les sentiments d’une partie de la population. Par contraste, on devine le rôle intégrateur qu’aurait une politique étrangère indépendante, menée par un héritier du Général de Gaulle ou de Jean Jaurès.

Si nos dirigeants étaient fidèles à notre histoire, ils auraient dû œuvrer dès le premier instant, en 2022, à l’aboutissement rapide d’une négociation entre l’Ukraine et la Russie. Ils devraient aussi être à la pointe du combat pour que soient enfin respectés les droits des Palestiniens et mise en œuvre la création d’un Etat palestinien, comme l’ONU le réclame depuis…1948.

La politique étrangère ne fait pas tout. Mais, en France, elle est essentielle, car notre nation a besoin d’être indépendante et souveraine, sans quoi elle n’existe pas. De Gaulle – le dernier des “Romains” de notre histoire politique – disait: “Il existe un pacte vingt fois séculaire entre la France et la liberté du monde”. Etre Français, c’est, entre autre chose, être l’héritier du testament politique du Cardinal de Richelieu, des plaidoyers de Jean Jaurès pour les Arméniens massacrés dans l’Empire ottoman et du discours de Phnom-Penh où le Général de Gaulle dénonça la guerre du Vietnam.

Aujourd’hui, où la conduite des affaires du monde oppose les Anglo-Américains, l’Allemagne, Israël, d’un côté, porteurs d’une vision inégalitaire des relations internationales (il existerait une domination occidentale naturelle) et les BRICS, d’un autre côté, porteur de l’aspiration du monde extra-occidental à mettre en place une organisation des relations internationales fondée sur l’égalité entre les peuples, la France, forte de son histoire et de son vaste domaine maritime, grâce à sa présence outremer, ne devrait pas hésiter: notre vocation est d’être avec “le sud global”, sinon dans les BRICS.

C’est bien entendu essentiel pour l’avenir de notre puissance, pour le renouveau de notre économie. Mais aussi parce que cela aura immédiatement des répercussions très positives sur notre capacité à relancer la dynamique d’assimilation dans notre pays.

Assimiler ou cesser d’exister comme nation

Je comprends bien qu’on se pose la question, aujourd’hui, de la capacité à relancer notre vieux logiciel “gallo-romain”. Je vois bien comment des Français issus de la tradition laïque républicaine ou bien de la tradition catholique se demandent ce que devient une France où vivent plusieurs millions de Musulmans. Il y a pourtant un paradoxe à voir un catholique douter de la puissance de l’universalisme dont il est porteur. Et un vieux républicain ne plus croire à la capacité d’assimilation du logiciel politique français.

En réalité, dès qu’on a pris conscience de la “sécession des élites”, on comprend que l’éventuel séparatisme de tel ou tel groupe en est la reproduction: le poisson pourrit par la tête. Nous n’avons pas affaire d’abord à une crise ethno-culturelle ou “civilisationnelle” mais à une profonde crise politique et sociale.

Je cite souvent cet inspecteur général de l’Education nationale à qui j’avais entendu dire, en 1994, qu’il fallait changer les programmes d’histoire au collège et au lycée parce qu’ils étaient “trop gallo-centrés”. Il s’agissait d’un renoncement avoué à l’assimilation des jeunes gens d’origine étrangère. Ajoutez-y le choix de l’alignement monétaire sur l’Allemagne, qui équivalait à un refus d’intégrer les “banlieues” à la vie économique de la nation. Nos élites ont fait le choix de “l’intégration européenne” contre l’intégration des étrangers. Or, en Gribouilles professionnels, ils ont eu tendance à vouloir “en même temps” augmenter les flux migratoires entrants – d’autant plus que le patronat français plébiscitait une main d’œuvre “bon marché” et moins revendicative que les Français démotivés au travail par les 35h et les RTT.

Notre pays est arrivé aujourd’hui à un carrefour de contradictions insurmontables. Il va falloir choisir entre Schengen et la relance de la machine à assimiler – à romaniser: il va falloir choisir entre l’alignement sur l’hegemon occidental en déclin et la participation active de la France au nouveau monde émergent – nos concitoyens d’outremer et ceux d’origine étrangère en métropole étant pour nous des viviers de talents inexploités.

Il va falloir savoir ce que nous voulons: donnons-nous la priorité à la capacité de notre Etat en matière de défense, de diplomatie, de sécurité intérieure, de justice? Tous ces domaines régaliens ont été négligés ces dernières décennies, au profit d’une prolifération de bureaucraties régionales et centrales alignées sur la grande bureaucratie bruxelloise, et dont la caractéristique est de s’occuper de tout sauf de l’essentiel – tuant la vie économique du pays.

D’autres pays peuvent organiser les choses différemment, mais nous n’avons pas d’autre choix que d’assimiler ceux qui vivent chez nous au système français, de recentrer l’Etat sur sa mission fondamentale, qui consiste à protéger le pays des abus extérieurs et à créer, à l’intérieur des frontières, un cadre favorable à l’initiative individuelle et à la création de richesses.

Où en est la crise politique française?

Si l’on essaie de décrire un peu plus précisément cette crise politique qui dure depuis quarante ans, on peut distinguer trois phases.

1983-2002

De 1983 à 2002, le grand affrontement selon les termes du débat ethno-culturel se met en place, avec sa collection de bien-pensants et le grand méchant Le Pen. C’est un débat dont François Mitterrand recueille les premiers fruits, mais dont le grand gagnant, imprévu, est Jacques Chirac en 2002.

2002-2017

Avec la réélection de Jacques Chirac commence une deuxième période, d’une quinzaine d’années. 2003, avec l’opposition ouverte de la France à la guerre d’Irak, représente une courte interruption dans une dynamique d’ensemble, qui est marquée par l’antigaullisme. C’est à ce moment qu’intervient Nicolas Sarkozy, qui gagne, en 2007, une élection présidentielle en alignant autant que possible la “droite de gouvernement” sur un discours “ethno-culturel” conservateur: dénonciation des “racailles”, création d’un ministère de l’identité française, réalignement assumé de la politique étrangère française sur les Etats-Unis etc…

Ce faisant, Sarkozy assèche en partie le vieux Front National de ses électeurs (800 000 voix prises en 2007). Mais il bute rapidement sur une double contradiction: (1) Il ne peut pas aller au bout d’une logique de droite ethno-culturelle (comme le fera par exemple Trump aux Etats-Unis quelques années plus tard): cela reviendrait à se couper de cet establishment qui l’a porté au pouvoir. (2) quand bien même les gouvernements de François Fillon essayèrent d’avancer, entre 2007 et 2012, sur le contrôle de l’immigration, ils se heurtèrent à la résistance d’un appareil d’Etat s’accrochant coûte que coûte à une forme (dévoyée) d’universalisme français.

Nicolas Sarkozy ne fut pas réélu parce que les 800 000 électeurs du Front National qui avaient voté pour lui en 2007 lui firent défaut en 2012. Son adversaire François Hollande fit appel, sur le plan social, au vieux fond égalitaire français; mais comme il se montra par ailleurs incapable de remettre en cause le logiciel des élites mondialisées, il ne fit, comme Sarkozy, qu’un mandat.

Pour boucler l’analyse, trop rapide, de cette seconde période, j’attire l’attention sur le grand raté à droite, celui de la “Manif pour Tous”, en 2013. La pétillante Frigide Barjot avait eu l’idée d’inviter des musulmans parmi les organisateurs des manifestations contre le mariage homosexuel. Ils furent rapidement rejetés par le mouvement, qui se priva ainsi d’un élargissement sociologique et politique de son assise. L’incapacité de la droite tendance Fillon à faire converger le conservatisme sociétal des musulmans de France avec son propre combat, est le facteur caché qui a empêché l’ancien Premier ministre d’arriver au second tour en 2017 – c’est de mon point de vue bien plus essentiel que les polémiques de la campagne sur son train de vie personnel.

L’ère macronienne

En 2017, justement, commence une troisième phase, celle du “macronisme”. Trois décennies de fausse conscience antiraciste et de dissimulation des vrais enjeux politiques et sociaux, ont conduit naturellement à un rétrécissement de la base électorale des “partis de gouvernement”. Emmanuel Macron apparut en 2015-2016 comme celui qui pouvait défendre les intérêts des élites de droite et de gauche, pour prolonger – voire parachever dans l’esprit de certains – la “sécession des élites” version française.

Sur le papier, l’affrontement était “chimiquement pur” entre le candidat de la bien-pensance et la fille de Jean-Marie Le Pen. Mais il s’est passé quelque chose d’inattendu.

Marine Le Pen a instinctivement fait passer l’ancien parti de son père d’une orientation ethnoculturelle à une orientation sociale prédominante.
Cette femme, souvent moquée pour son manque de brio, a pourtant réussi, à force de persévérance, à faire de son parti la première force politique de France en assumant un populisme d’abord défini socialement, face à l’élitisme de Macron.

Le verdict des urnes en 2024

Après le verdict des élections européennes, Emmanuel Macron a voulu absolument une élection législative anticipée. Elle nous permettra, dans trois semaines, de dire plus précisément où l’on en est. Dressons un tableau provisoire, après les élections européennes:

+ Le macronisme et son arrogance de classe se sont effondrés. Malgré tous les efforts du président pour réprimer les mouvements sociaux (Gilets Jaunes, opposition à la réforme des retraites) et bloquer le débat politique (confinements pendant la période du COVID), il n’est plus possible de dissimuler la dislocation de la société française.

+ La gauche française s’accroche à une juxtaposition impossible entre le wokisme (l’identitarisme de gauche venu des USA) et le retour à une vieille rhétorique de “lutte des classes” dans la tradition du socialisme français.

+ Le rapport de forces entre le Rassemblement National (33%), Les Républicains (7%) et Reconquête (5,5%) est comme un plébiscite des électeurs de droite en faveur d’une droite socialement intégratrice plutôt qu’une droite à rhétorique ethno-culturelle ou une droite défendant la “sécession des élites”. Bien entendu, le Rassemblement National est encore au milieu du gué mais la justification, dans les urnes, de la stratégie de Marine Le Pen, devrait accélérer le retour des droites à leur vieux logiciel gaulliste et démocrate-chrétien.

La crise française ne sera surmontée que lorsqu’une personnalité politique, une nouvelle élite, retrouvera intégralement le levier “romain” de notre histoire. Le retour de la politique française dans son cadre naturel de débat est certes loin d’être achevé. Il n’empêche: la parenthèse anti-romaine de notre histoire est en train de se refermer.