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Poutine l’Africain

 

Après le coup de sang fatal de Prigojine, Poutine a pris le contrôle de sa société militaire privée. Pour l’intégrer dans les forces officielles de la Russie. Plus question de laisser se développer un État dans l’État. Mais pas question non plus de renoncer à la politique africaine du Kremlin.

Une politique militaire mais aussi technique et politique. Des futurs dirigeants civils et militaires Africains sont formés à Moscou. Une fois leur diplôme en poche, ces Noirs repartent dans leurs pays pour s’y rendre utiles.

Une restructuration opérationnelle logique et efficace

À la mort de Prigojine, le groupe « « Wagner » a été divisé entre les trois principaux services de sécurité : GRU services de renseignements de l’État-Major et actions paramilitaires à l’étranger, FSB sécurité intérieure, contre espionnage et anti-terrorisme, SVR espionnage extérieur, infiltration et destruction des ennemis de la Russie. Réunis dans des actions communes, ils coordonnent l’Africa Corps.

Chaque service fournit ses propres recrues. Les « Wagner » n’ont pas le choix. Soit ils signent avec le ministère de la Défense, sous statut spécial. Soit ils se retrouvent civils. Après, il y a des adaptations locales, selon les pays africains où les réseaux «Wagner» sont toujours présents. Il eût été maladroit de les dissoudre. Ils rendent de nombreux services. Sur un continent où les relations humaines l’emportent souvent sur l’idéologie.

Le vice-ministre de la Défense Iounous-Bek Evkourov supervise les opérations. Cet homme lige de Poutine a du poil aux pattes. Bien que sunnite, il a été volontaire pour se battre au côté des Serbes contre les islamo-mafieux kosovars. Cela lui a valu la médaille de « héros de la Russie »… Victime de plusieurs tentatives d’assassinat, il est intervenu depuis un quart de siècle dans tous les coins du monde où ça chauffait. Sa religion l’aide à se faire accepter en Afrique, et en particulier au Sahel.

Il se partage le travail avec Andreï Averyanov, un autre fidèle de Poutine, ancien patron des renseignements militaires. À l’un, les relations diplomatiques et la planification. À l’autre, les actions qu’on doit tenir secrètes, au moins jusqu’à leur réussite. Averyanov n’est pas un tendre. Mais il est assez piquant d’entendre les suppôts de la CIA lui reprocher ce qu’eux-mêmes font tous les jours.

Une force de frappe concentrée sur l’Afrique

L’Africa corps compte dans les 10 000 hommes. Soit moitié moins que les «Wagner». Le chiffre exact relève du secret défense. En principe, ils ne vont pas se battre en Ukraine. Une autre structure ultra-confidentielle, spécialisée dans les sabotages et l’élimination des cibles prioritaires s’y emploie avec d’anciens «Wagner».

En Afrique, c’est le changement dans la continuité. Là où « Wagner » opérait avec une certaine autonomie, concluant des deals avec des roitelets locaux, Africa Corps doit prendre ses ordres à Moscou et aider les États que Poutine a décidé de favoriser.

Une constante qui souffre une exception en Centre Afrique. Où Dimitri Sytyi, un surdiplômé au look de rock star, ancien cadre de « Wagner » que des Français ont essayé d’assassiner, est devenu un proche du président Faustin-Archange Touadéra. Il gère les actifs économiques du pays, ses opérations de communications et l’ambassade russe de Bangui, mais ne dédaigne pas d’apparaître en treillis parmi les chiens de guerre.

Ailleurs, on a renoncé à créer de nouvelles entreprises chargées d’exploiter les ressources naturelles, en particulier dans le secteur minier. La Russie a fait un tri parmi les sociétés en place, gardant les mieux gérées, fusionnant ou supprimant les autres. Toutefois la réputation des « Wagner » et leur implantation servent toujours pour maintenir le prestige des Russes et permettre des recrutements de supplétifs sur place.

Les militaires russes « classiques » et les anciens « Wagner » ont appris à travailler ensemble. Comme pour l’installation récente d’une base militaire à 20 kilomètres de Ouagadougou. Pour faire du Burkina Faso, où les Français ont été virés il y a un an, une pièce maîtresse du dispositif africain du Kremlin.

Une redéfinition des intérêts à moyen et long terme

Au Kremlin on a réexaminé, et révisé si nécessaire, les opérations des « Wagner » pour s’assurer qu’elles étaient alignées avec les intérêts de la Russie.

Cela peut conduire à des changements de politique. Comme au Soudan, où l’on est passé d’un partenariat personnalisé entre Prigojine et Hemedti, un des principaux chefs rebelles, à un soutien en demi-teinte au général Abdel Fattah Al Burkhan, dictateur de la République islamique. Celui-ci ayant demandé et obtenu des soldats et des moyens de Zelensky, il fallait lui montrer qu’il pouvait espérer mieux. S’il faisait le bon choix. Pour le moment, cela reste encore assez confus.

Au Niger par contre, c’est la victoire totale. Le gouvernement a rompu ses liens historiques avec la France, et ceux plus récents avec les USA, pour accueillir les Russes à bras ouverts. Au mois d’avril 2024, des quadriréacteurs Iliouchine II-76se sont posés à Niamey avec du matériel militaire, des spetsnaz et des techniciens chargés d’installer des systèmes de détection terrestre et aérienne.

Après les bourdes à répétition de Macron qui prétendait s’ingérer dans la politique du Niger, cette orientation se concrétise depuis fin 2023. Marquée par la visite en décembre du vice-ministre de la Défense russe, le général Iounous-bek Evkourov. Les deux pays avaient signé un protocole pour le renforcement de la coopération militaire. Un mois et demi plus tard, le chef du gouvernement nigérien de transition se rendait en Russie pour y rencontrer Vladimir.

Suite inéluctable : la brutale éviction du millier de soldats US basés à Agadez signifiée le 16 mars. Après avoir refusé de recevoir deux hauts dignitaires de l’administration Biden. Le message est clair. Depuis le putsch, le Niger est un allié et une base de la Russie.

L’arrogance de Macron profite aux flux migratoires

Cet immature inexpérimenté et borné n’avait pas pris en considération le fait que le Niger était un des rares pays africains à coopérer sans trop de réticences avec l’Eurocrature, pour limiter les flux migratoires, émanant de son territoire ou l’empruntant.

Aussi doué en géopolitique qu’en politique intérieure, ne connaissant que la menace pour imposer ses lubies, le freluquet a été confronté à trop forte partie. La pantalonnade de l’ambassade de France à Niamey a marqué les esprits au moins autant que ses sorties nocturnes alcoolisées en compagnie de jeunes éphèbes d’ébène… En France, on le déteste. En Afrique, on le méprise. Partout, on le raille.

En agissant de façon aussi inconsidérée, il a offert à Poutine une nouvelle arme contre la France et les États européens. En soutenant les nouveaux hommes forts d’Afrique de l’Ouest, Mali, Burkina Faso, Niger, Vladimir contrôle, au moins en partie, les canaux de l’émigration.

En 2015, avant Macronescu, l’Eurocrature avait fait adopter au Niger, moyennant une aide économique substantielle, une loi pénalisant le trafic des migrants. Provoquant chez les passeurs nomades des révoltes tribales. Que l’armée française était allée combattre, avec le succès que l’on sait… Mais la Russie a offert mieux. Beaucoup mieux. Avec des méthodes plus expéditives pour venir à bout des rebelles.

La liberté de trafiquer retrouvée a calmé bien des opposants. Cette année, l’oasis d’Agadez, capitale touareg carrefour des migrations, est redevenue comme au temps de la traite des esclaves le centre de fructueuses transactions liées aux transferts de populations.

Au Tchad, où la coopération technique remonte à l’ex URSS, le président Idriss Déby ne tarit pas d’éloges sur les opérations de la Russie contre les djihadistes. Les spetsnaz ne se battent pas avec un bras attaché dans le dos par les drouadloms. La France est encore tolérée, mais la Russie est fortement appréciée.

En Libye, contre un soutien militaire accru et les inévitables bakchichs, la Russie déploie ses troupes et occupe des places fortes par où passent les flux de marchandises mais aussi d’esclaves de temps modernes. Des pourparlers seraient très avancés avec le maréchal Khalifa Haftar pour l’implantation d’une base navale et la cogestion de certains aéroports.

Peu à peu une nouvelle carte du monde se dessine, dont la France est exclue. Une diplomatie proactive aurait peut-être pu limiter les dégâts. Mais Macron-Caligula, fou furieux d’avoir été humilié par Vladimir, et toujours aussi épris de Zelensky, a une idée fixe : faire gagner l’Ukraine. Quoi qu’il en coûte à la France. En Afrique et ailleurs.

Christian Navis